Penser contre son camp !

Itinéraire politique d’une intellectuelle de gauche

 

Tel est le titre paradoxal de l’ouvrage de Nathalie Heinich paru le 15 mai 2025 chez Gallimard.

Selon cet éditeur : « Querelle de l’art contemporain, neutralité des sciences sociales, mariage homosexuel, féminisme, islamisme, censure, wokisme, gauche radicale : autant de sujets qui, depuis une vingtaine d’années, ont beaucoup agité le monde intellectuel français et, en particulier, la gauche, de plus en plus éclatée, voire bouleversée, par des retournements rompant avec ses valeurs historiques – protection des plus faibles, universalisme, laïcité, rationalité, liberté d’expression.

Cet essai propose un retour réflexif sur les prises de position de l’auteure depuis la fin du XX siècle, controversées par une partie de la gauche et qui, en cela même, témoignent de mutations allant bien au-delà d’opinions personnelles. Ne pas « penser comme nous » : telle est, parfois, la condition pour rester fidèle aux valeurs fondatrices d’une famille politique. »(Cf. Penser contre son camp)

 

Le propos de l’Association Lacanienne Internationale  (ALI) sous la plume de Jean-Pierre Lebrun (28 mai 2025)  semble devoir être médité au moment d’aborder un sujet dont l’actualité est d’autant plus évidente que d’autres périls se font jour.  

 Pour cet auteur il s’agit  d’ «un petit livre  qui mérite toute notre attention. Il est l’oeuvre de Nathalie Heinich, sociologue émérite au CNRS et s’intitule Penser contre son camp itinéraire politique d’une intellectuelle de gauche. Cet ouvrage est un petit bijou de rigueur éthique où son auteur refait le parcours qui a été le sien en se confrontant, problème après problème, à la façon dont se reniait son entourage de gauche qui a toujours été – et est resté – celui auquel elle s’est sentie appartenir.

 L’ouvrage témoigne d’un courage que l’on ne peut qu’imaginer et admirer pour garder le cap de la perception éthique de l’auteur au travers des grandes questions qu’elle aborde chapitre après chapitre dans son livre comme autant de sujets relevant de son travail de sociologue au CNRS : l’art contemporain, le statut d’artiste, le pacs et le mariage homosexuel, le féminisme, l’islamisme, la censure, le wokisme… pour finir par énoncer qu’elle a dû apprendre à penser contre son camp au risque d’être reniée par une partie de sa famille politique.

 Car, effectivement, c’est au travers de ses prises de position dans des articles et interventions auxquelles chaque fois elle renvoie, que Nathalie Heinich – qui nous a fait le plaisir de venir à l’ALI récemment – fait entendre son trajet, les problèmes qu’elle rencontre avec une gauche tentée par le communautarisme en même temps que demeurée arc-boutée à l’antiracisme de la génération d’avant. Bref avec une gauche à l’agonie [1] qui ne veut continuer à penser qu’en restant dans le sillage de ce qui a fait hier sa fortune, que Jean-Pierre le Goff , sociologue auteur de Mai 68, l’héritage impossible [2], a qualifiée de gauche culturelle – ou sociétale – pour la distinguer de ce qu’elle aurait pu et dû rester : une gauche politique soucieuse du social plutôt que du sociétal.

 C’est la rigueur sans coup férir de Nathalie Heinich qui lui fait tenir sa route au milieu des problèmes de société qui n’ont fait que se suivre les uns les autres depuis un demi siècle. Et c’est en cela que son livre constitue un véritable exemple de rigueur éthique, car c’est ce souci qui lui fait tenir envers et contre tout, jusque dans son propre milieu, de ne pas penser comme tout le monde mais au contraire de peaufiner sa propre perception des enjeux multiples auxquels elle se trouve confrontée et de garder inexorablement le parti de rester fidèle à elle-même.

 Ce livre risque néanmoins de passer inaperçu, tant l’ampleur de ce qu’il vient mettre en cause est d’importance. On sera tenté de s’en débarrasser comme d’un ouvrage encombrant, simplement parce qu’il témoigne clairement qu’il est toujours possible de tenir le cap de sa parole même dans un air ambiant qui ne laisse quasiment plus de place à l’énonciation.

Le livre de Nathalie Heinich est à cet égard remarquable et démontre à merveille que s’énoncer est toujours possible, même dans un monde où tout invite à se soumettre aux idéologies ambiantes. Il suffit – façon de parler – d’un peu de courage ! N’est-ce pas Czermak qui disait que c’est ce “un peu de courage” que l’on était en droit d’attendre d’une cure analytique.”

 [1] J.P. Le GOFF, La gauche à l’agonie, 1968-2017, éditions Perrin, 2017

[2] J.P. Le GOFF, Mai 68, l’héritage impossible, La découverte, 1998-2015

Penser contre son camp tel est donc le défit que les défenseurs convaincus (s’il en reste) d’une gauche républicaine doivent avoir le courage  de relever s’ils souhaitent pouvoir un jour reprendre en main  les destinées du pays, préserver les libertés essentielles  et promouvoir le progrès social.  Il ne s’agit pas pour autant de penser contre soi-même mais de continuer  de le faire par soi-même.

On devine ainsi le contenu fondateur de l’ouvrage de Nathalie Heinich,  la nécessité  de le lire et d’en connaître les analyses . Le visiteurs de ce site pourront d’ores et déjà consulter la recension qu’en fait  Phillipe Foussier dans un article mis en ligne dans Mezetulle le 28 juin 2025 .

Elle est accessible en cliquant ici .

On retiendra ici que pour ceux qui sans ambages, se réclament  de la gauche républicaine de progrès, que la laïcité doit demeurer la garante de la liberté de conscience contre l’enrégimentation par toutes les bigoteries de la création.

Que Catherine Kintzler soit une nouvelle fois remerciée de nous avoir permis ce nouvel emprunt à Mezetulle.