La défense de l’Ecole laïque et des instituteurs en mai 1927

Les visiteurs prendront connaissance ci-dessous d’un article paru dans Le Citoyen du 5 mai 1927 (n°18, 20è année) qui témoigne de la violence des propos tenus à l’encontre des instituteurs et  de la détermination sans faille de certains de leurs défenseurs.

SONS DE CLOCHE : Nos Instituteurs outragés!

Le Bulletin paroissial de Ploudalmézeau, Finistère, a commis une petite infamie en écrivant ces lignes : « Qui doit aller au Folgoët? Les hommes qui ont reçu le baptême et qui ont au cœur l’amour de N. S. J. C., les hommes de l’Entente catholique fondée en notre pays par Monseigneur l’Evêque pour défendre notre foi et obtenir la liberté pour notre Religion ». « Vous avez la liberté », nous disent les gens sans foi ! Liberté ! alors que sont interdits nos religieux, même ceux qui ont versé leur sang pour défendre le pays ! Liberté ! alors que les frères ni les sœurs ne peuvent enseigner en s’habillant comme ils veulent, ni vivre en communauté.

Et que, d’autre part, les gens sans foi ni loi sont chargés d’instruire les enfants et les prostituées peuvent tenir leur bordel comme elles veulent (Hag etretant, an dud difeiz hag direiz a zo karget da gentelia ar vugale, hag ar merc’hed fall a all derc’hel o bordel ma keront).

L’homme de Dieu qui a écrit ces lignes a lâchement outragé une corporation qui accomplit silencieusement et modestement la tâche méritoire d’instruire la jeunesse. Elle n’y a pas trop mal réussi, si j’en juge par les résultats. Durant quarante ans, elle a instruit les trois quarts des enfants qui ont porté à son apogée le bon renom de la République française dans le monde.

Et qui donc oserait soutenir que les parents qui ont reçu l’instruction dans les écoles de l’Etat et qui, dès la fondation d’une école privée dans leur commune, abandonnent l’école laïque pour confier leurs enfants à l’école privée, par crainte de représailles cléricales, ont été formés par des maîtres sans foi ni loi ? Qui donc a constaté dans l’enseignement de ces maîtres un manquement à la neutralité scolaire ou une violation passagère des droits de la conscience de l’enfant ?

L’enfant laïque sorti de nos écoles a comme prototype le petit poilu du Faouët. Ecoutez une fois de plus ce que Jean-Corentin Carré écrivait à son maître, l’instituteur public Mahébèze « Le sentiment de l’honneur, c’est à l’école que je l’ai appris et vous êtes, M. Mahébèze, un de ceux qui me l’ont enseigné. Je souhaite que tous les petits écoliers du Faouët comprennent les leçons que vous leur donnez comme je les ai comprises. La vie, en elle-même, n’est rien si elle n’est bien remplie. »

°°°°°

Hier, j’assistais dans une commune très réactionnaire, au milieu d’une foule considérable, admirative et attendrie, aux obsèques de Manuel, un instituteur qui fit des prodiges au front. Le général Marchand, qui s’y connaissait en bravoure, l’avait surnommé le brave des braves et vantait son héroïsme comme légendaire. Manuel ne fut pas un exemple isolé. Aucune corporation n’a plus que celle des maîtres de l’enseignement public payé à la guerre un plus large tribut de Vies précieuses offertes généreusement à la patrie pour son salut et pour la sauvegarde de la liberté du monde. Et les institutrices ne le cédaient en rien pour le patriotisme et le culte du devoir à leurs époux tombés au champ d’honneur !

J’ai conservé pieusement, deux lettres qui me furent adressées par des veuves d’instituteurs : « Monsieur le Député,Je suis très sensible au témoignage de sympathique intérêt et aux sentiments de condoléances que vous avez bien voulu m’adresser dans la grande douleur que me cause la glorieuse mort de mon mari. Je n’oublierai pas que mon cher disparu a fait le suprême sacrifice pour l’accomplissement de ses devoirs, pour la Patrie. Je n’oublierai pas non plus qu’il laisse un nom honoré que moi et notre fils porterons fièrement. Si sa tâche est terminée, la mienne commence pour faire de son fils un Français digne de son père. »

Et cette autre : « Monsieur le Député, Je vous remercie vivement de la lettre que vous avez eu la bonté de m’adresser ; j’en ai été très touchée. Ma douleur est et restera profonde, mais le salut de la France, je le sais, exige des sacrifices qu’il faut savoir lui faire, mon mari était brave, je ne puis être lâche. Il me reste un fils pour lequel je dois vivre. Je veux en faire un honnête homme et un bon Français ».

Messieurs de Ploudalmézeau et autres lieux, salut, chapeau bas !

Georges LE BAIL. (D’après Le Citoyen du jeudi 5 mai 1927, n°18, 20è année)