La question des inventaires (suite au vote de la loi de séparation de 1905)

Questions à M. l’évêque de Quimper à propos de la conservation des biens mobiliers des églises (d’après Le Citoyen n°3 ,14 avril 1906.

Par lettre circulaire du 5 novembre 1900, M. l’évêque actuel de Quimper a institué une commission diocésaine d’architecture et d’archéologie. Dans cette circulaire, il s’est préoccupé, très légitimement à nos yeux, du mobilier liturgique et artistique des églises.

« Nous avons aussi, dit-il, un mobilier liturgique très précieux : des calices, des patènes, des reliquaires, des croix processionnelles, des bannières, des ornements sacrés d’un goût véritablement exquis et souvent d’une richesse incomparable. Tous ces objets sont-ils environnés d’assez de soins? Ne les voit-on pas, ici ou là, relégués dans des coins obscurs et humides, enfermés dans des coffres malpropres où ils s’oxygènent ou se couvrent de poussière? Parfois aussi ils sont mal gardés et exposés aux voleurs, ce qui n’est pas aujourd’hui un danger imaginaire. Enfin, MM. les curés et recteurs peuvent être surpris par des brocanteurs de passage qui leur font des offres merveilleuses en échange d’objets qui sont jugés sans utilité pratique et sans valeur apparente, alors qu’au point de vue de l’art et des antiquités ils ont un prix considérable. C’est ainsi que dans différents diocèses beaucoup d’églises ont été dépouillées de ce qu’elles avaient de plus précieux.

La Commission instituée par nous se fera un devoir de connaître tous les objets de prix renfermés dans nos églises et nos sacristies. Elle saura ensuite prendre les mesures nécessaires pour en assurer la conservation et le bon entretien ». La circulaire de M. François-Virgile, évêque de Quimper, se termine par les prescriptions suivantes :

« Art. 2. Il est institué dans notre diocèse une Commission d’archéologie et d’architecture dont le principal devoir est de veiller à la CONSERVATION et à l’ENTRETIEN de nos monuments religieux et du MOBILIER DE NOS ÉGLISES ET SACRISTIES ».

« Art. 5. Nul objet mobilier, quel qu’il soit, dés qu’il paraît avoir un caractère artistique ou archaïque, ne pourra être vendu, échangé ou même modifié, sans avis préalable de la Commission et sans une autorisation formelle de notre part ».

Voilà les mesures que l’évêque de Quimper a été obligé de prendre il y a 6 ans pour faire cesser des aliénations nombreuses d’objets du culte dans les églises du Finistère.

Nous avons expliqué dans le précédent numéro du Citoyen que M. Ribot et plusieurs membres de la droite avaient réclamé tant au sein de la commission qu’à la Chambre un contrôle judiciaire et administratif destiné à assurer la conservation des objets du culte. Voici les déclarations faites par M. Briand dans la séance du 7 mars 1906, où l’affichage de son discours a été voté :

«: M. ARISTIDE BRIAND.- Toujours à propos de la même question il s’était produit un incident plus particulièrement significatif au sein de la commission. Plusieurs de nos collègues de droite avaient, bien avant la discussion générale, manifesté les inquiétudes les plus vives relativement à ce que pouvaient devenir certains objets du culte.

M. GEORGES BERRY. -Quoi donc ?

M. ARISTIDE BRIAND.- L’un d’eux, même nous avait demandé, s’il ne serait pas bon que le gouvernement prit l’initiative d’un projet de loi séparé tendant à faire inventorier d’urgence les objets du culte ayant une valeur artistique afin de les mettre à l’abri des dilapidations possibles. Les arguments que l’on développe dans ce sens n’étaient certes pas à l’honneur des membres des conseils de fabrique ni du clergé. On nous affirmait, en effet, que depuis qu’il est question de la séparation, des brocanteurs parcouraient les campagnes et, avec la complicité des curés et de fabriciens ignorants, emportaient sur des voitures, de véritables chargements d’objets artistiques. La conclusion était qu’il fallait, à tout prix, faire obstacle à ce vandalisme. Or, quel moyen pour atteindre ce but, sinon l‘inventaire ? ».

S’il était nécessaire de prendre des mesures de conservation en 1900, n’était-il pas plus indispensable d’y avoir recours en 1906, après le vote de la loi, pour éviter le détournement et la vente des objets du culte et des richesses mobilières des Eglises qui pouvait être la conséquence d’une panique vraie ou simulée parmi les fabriciens et chez les membres du clergé ?

Les inventaires prescrits par la loi, n’étaient pas faits. Le double n’en existait pas dans les mairies. La loi et les prescriptions des circulaires de l’administration des cultes n’avaient pas été observées. N’était-ce pas le moment ou jamais de remplir, pour la sauvegarde de tous les droits, une formalité jugée indispensable en 1809 et en 1882. Qu’en pense M. l’évêque de Quimper, chef du diocèse ?

Le poids de la Loi de Séparation de 1905 dans la campagne électorale du printemps 1906.

Au congrès républicain du 7 avril 1906 à QUIMPER, on préparait les prochaines élections législatives…
(d’après Le Citoyen, n°3, 14 avril 1906).

La lutte contre les adversaires de la République et je m’en voudrais d’insister plus longtemps sur un choix qui s’impose à l’unanimité de nos suffrages. Puisque j’ai pris la parole je tiens à en profiter pour vous exhorter à observer pendant toute la période électorale, l’entente parfaite qui doit être la loi de tous les vrais républicains. L’union entre les républicains de toutes nuances est absolument nécessaire et nous devons tous prendre ici l’engagement de soutenir avec la plus grande fermeté celui qui sera proclamé par le Congrès comme candidat du parti républicain aux élections législatives dans la 2° circonscription de Quimper. Vous appartenez, mes chers amis, à l’élite du parti républicain de cette circonscription ; que chacun de vous, dans sa sphère d’influence, ne manque pas de montrer autour de lui le devoir qui nous incombe. Ce devoir est bien simple, c’est d’assurer le succès du candidat républicain. Soyons donc fortement unis et après avoir acclamé le nom de M. Le Bail, luttons avec confiance pour le maintien des positions acquises et pour la nouvelle victoire de la République dans la 2° circonscription de Quimper.

La législature 1902-1906. — Mesures anticléricales. Sans haine contre les personnes, j’ai combattu avec énergie depuis 4 ans les doctrines opposées aux miennes et j’ai mené de mon mieux le bon combat laïque et républicain. La Chambre, dont je fais partie, a appliqué la loi sur les congrégations, d’abord à ce que Waldeck-Rousseau appelait les moines ligueurs et les moines d’affaires, puis aux congrégations enseignantes. J’avais pensé à faire des distinctions. J’y ai ensuite renoncé. Les sœurs blanches révoltées ont à jamais perdu la cause de l’enseignement primaire congréganiste. Ce que j’ai entendu frapper c’est une manifestation, une forme inadmissible et dangereuse de la liberté de l’enseignement. Je n’ai pas touché, comme je l’avais promis à la liberté de l’enseignement qui est entière. Vous pouvez vous en rendre compte par ce que vous constatez autour de vous dans vos communes où les écoles libres existent à côté des écoles publiques. Les circonstances m’ont, de plus, amené à voter la séparation des Eglises et de l’Etat. Dans ma profession de foi, j’avais dit : « Il faut que le prêtre, qui doit être l’homme de tous, comprenne qu’en se mêlant aux querelles des partis il s’attire fatalement les représailles du vainqueur.J’estime que le Concordat peut continuer à être appliqué dans un esprit de tolérance mutuelle jusqu’au jour où l’Eglise et l’Etat réclameront leur indépendance. ». Pendant 3 ans j’ai voté périodiquement le maintien du budget des cultes. Je vous dois compte des considérations graves qui m’ont amené à voter la séparation. Elles sont de deux sortes. Le clergé doit être soumis à l’Etat dans le domaine du temporel, et l’Etat n’avait que trois moyens de réprimer les abus du clergé : La déclaration d’abus, les suppressions de traitement et les poursuites pénales. On rendra cette justice au gouvernement républicain que depuis 35 ans il a rarement mis la loi pénale en mouvement contre le clergé. La déclaration d’abus était, d’un autre côté, une mesure vraiment trop platonique et qui mettait souvent les rieurs du côté du clergé. Le respect s’en va, le respect est mort, vous le savez, et les curés avec leur propagande politico-religieuse, n’ont pas peu contribué à le tuer dans ce pays, en déplaçant les bornes et en effaçant les sentiers qui délimitaient les deux domaines du Spirituel et du Temporel. Restait la seule mesure efficace encore : la suppression des traitements des prêtres qui ne craignaient pas de compromettre leur caractère dans des manifestations contre les lois et les ministres de la République ou dans des entreprises illicites dirigées contre la liberté et les droits des particuliers. L’évêque de Quimper n’a pas craint de donner son appui à une œuvre qu’il recommandait aux fidèles du diocèse dans une lettre circulaire du 26 juillet 1903 et qui avait pour objet de former une caisse destinée à restituer aux prêtres frappés, le traitement que le Gouvernement leur supprimait. C’était l’Etat voué désormais à l’impuissance et condamné à subir toutes les avanies de la part d’un clergé révolté et gouailleur. Plus tard est venue la question de la nomination des évêques. De parti pris, le Saint-Siège s’est refusé depuis le 16 juin 1902 à toute nomination. En 1905, neuf sièges épiscopaux étaient vacants. La République ne pouvait renoncer à ses prérogatives essentielles, notamment à la nomination des évêques. Il n’a pas osé faire l’acte d’indépendance dont le second Empire, peu suspect d’irréligion, avait pourtant laissé d’éclatants exemples. Plus tard, c’est le Souverain Pontife qui, dans un document blessant pour la France, a dénoncé à certaines puissances européennes l’offense prétendue que le chef de l’Etat français aurait commise à son égard en rendant visite au roi d’Italie dans la capitale de son royaume. Puis a surgi le double incident des évêques Geay et Le Nordez, qui ont été appelés à Rome malgré I’opposition du Gouvernement, en violation des dispositions du Concordat. Enfin, à la même époque, c’est le Saint-Siège félicitant l’évêque d’Angoulême d’une condamnation que venait de lui infliger un tribunal fran- çais ! Complimenter le condamné, c’était injurier la magistrature qui juge au nom de la République française. Voilà les raisons qui m’ont décidé. Mon vote a été raisonné et je ne saurais le regretter. Sans doute les conventions ne peuvent être révoquées que du mutuel consentement des parties contractantes, mais en cas d’inexécution de ses engagements par l’une des parties, l’autre a le droit de s’adresser aux tribunaux pour faire résilier le contrat. A défaut d’un juge, d’un arbitre placé au-dessus de l’Eglise et de la France, les représentants du peuple n’ont pas hésité à prendre hautement la responsabilité de cet événement, qui va marquer une ère nouvelle dans notre histoire.

La Séparation sera la liberté.

La Séparation sera la liberté pour tout le monde ; pour l’Eglise, qui aspirait à son indépendance et qui avait su la réaliser déjà elle-même ; pour l’Etat, qui avait fait à moitié la Séparation par la laïcisation d’un grand nombre de ses services publics ; pour les fidèles, dont les droits intangibles ne peuvent être menacés par aucun gouvernement digne de ce nom. Pour la centième fois, depuis 35 ans, vous allez entendre dire qu’on va fermer les Eglises et chasser les prêtres. Les faux prophètes en seront pour leurs vaines prédictions. Le parti républicain ne cessera d’assurer le respect de la liberté de conscience et de l’exercice des cultes. Il faudrait être fou pour pénétrer de force dans le domaine inviolable des consciences religieuses. C’est aux hommes religieux à maintenir à la fois l’intégrité de leur foi et l’inaliénabilité de leurs convictions politiques. Ils peuvent se montrer à la fois des chrétiens et de bons citoyens…

G.Le Bail (fut proclamé, à l’unanimité, candidat des républicains de la 2è circonscription électorale de Quimper).

Assertions  de Jules Ferry (1832 -1893); les leçons de l’histoire

1. « Un grand parti ne doit-il pas, à côté des illustrations du passé, préparer les combattants de l’avenir ? » (1863)
2. « Qu’est-ce qu’un gouvernement résolu ? C’est un gouvernement qui sait où il veut aller, qui va jusque là, qui ne va pas plus loin et qui , pour toucher le but qu’il s’est prescrit à lui-même, emploie tous les moyens légaux, tous les bons moyens » (Extrait de la méthode et de l’esprit de suite).

UN CITOYEN

Je suis un citoyen, c’est-à dire que je ne suis ni un courtisan, ni un abbé, ni un gentilhomme, ni un financier, ni un favori, ni rien de ce qu’on appelle puissance aujourd’hui. Je suis un citoyen : c’est à dire quelque chose de tout nouveau, quelque chose d’inconnu, d’inoui en France. Je suis un citoyen, c’est-à-dire ce que vous devriez être depuis deux cents ans, ce que nous serons dans vingt ans peut-être…

Beaumarchais (1732-1799)
D’après le Citoyen du 27 juin 1929

Echos du congrès du Syndicat national des Instituteurs (1922)

Au Congrès du Syndicat national des Instituteurs qui s’est tenu au Hâvre, les deux résolutions suivantes ont été votées à l’unanimité et par acclamation.

I. Le congrès invite le bureau à prendre d’urgence toutes les dispositions propres à assurer la défense de l’école laïque et à exiger le respect aux lois et aux décrets scolaires ; il proteste contre la suppression de postes et même d’écoles, contre la R. P. scolaire, contre les subventions communales aux écoles privées ; demande l’application, sans faiblesse, des lois de laïcité et l’interdiction d’enseigner aux ministres des cultes, ceux-ci devant être assimilés aux membres des congrégations; l’application de la loi qui interdit l’emploi des maîtres auxiliaires, non pourvus du brevet élémentaire, chargés d’une classe dans les écoles privées; l’obligation de mêmes titres pour tous les maîtres, dans les écoles publiques ou privées.

II. Le congrès proteste contre toutes les tentatives de restriction des libertés politiques des fonctionnaires. Il réprouve tous procès politiques de tendance jugés devant les tribunaux disciplinaires exceptionnels et incompétents; s’associe au plan de campagne dressé par la fédération des syndicats de fonctionnaires pour garantir à l’agent d’Etat le libre exercice du suffrage universel et la liberté d’opinion; élève une nouvelle et énergique protestation contre l’esprit de réaction qui se manifeste par la grâce amnistiante.

le Citoyen, vendredi 18 août 1922

Variétés littéraires : L’INSTITUTEUR D’AUTREFOIS

Au moment où le Parlement se préoccupe de relever la situation matérielle de l’instituteur, le hasard nous a fait découvrir une poésie qui nous représente le portrait du vieil instituteur tel qu’il existait dans la première moitié de ce siècle, sous la monarchie. Les vers sont de M. de Chabot. Il y a là un accent vrai qui plaît tour à tour et qui émeut.    

Ce n’est pas un savant que mon pauvre bonhomme !
Mais il en sait assez ; il sait comment se nomme
Monsieur le Sous-préfet…. et monsieur l’Inspecteur,
De sonner l’Angélus il a toujours mémoire,
Et, le dimanche, assis dans sa chape de moire,
Il dort, les yeux ouverts, aux sermons du pasteur.

Il a le nez pointu, l’œil triste et pas de ventre ;
Ne se grise jamais, jamais…. quoiqu’il soit chantre,
Il est instituteur, greffier et sacristain :
Il met, à certains jours, assez bien l’orthographe
Et des autorités, déchiffre le paraphe….
Ce qui me fait penser qu’il sait le chaldéen.

Il cache maints talents sous un modeste voile :
Autrefois, dans sa classe, il faisait de la toile :
Il pèse habilement le tabac des fumeurs ;
Il sait un peu de tout…. et de mille autres choses…
Enseigne le plain-chant, écussonne les roses,
Et dans son jardinet fait pousser des primeurs ;

N’allez pas lui parler, pour Dieu, d’arithmétique,
D’histoire ou de grammaire et surtout de logique,
Il est bien trop sensé pour savoir tout cela!
Que voulez-vous de plus, pourvu qu’il les enseigne!
Plus d’un ne fait pas mieux qui pourtant le dédaigne ;
Je sais de grands savants de cette force-là.

D’après  le CITOYEN, 7, cinquième année, 15 février 1913