La laïcisation de nos institutions c’est-à-dire leur libération de l’emprise exercée par le cléricalisme de l’Eglise catholique telle qu’amorcée lors de la Grande Révolution fut une entreprise laborieuse. Ses acquis n’ont jamais cessé d’être contestés , voire remis en question, par tous les cléricaux alors qu’ils ont un rôle essentiel dans la stabilité de notre société, le progrès social et le bien public. L’exercice de la fraternité et de la tolérance tout comme l’exclusion des violences verbales et physiques en sont les leviers au sein de la vie citoyenne. La laïcisation et la laïcité institutionnelle qui en résulte sont aussi à l’origine de relations apaisées entre des citoyens émancipés et leurs mandants issus du suffrage universel.
Cependant l’observation des évènements récents à cet égard fait ressortir nombre d’ agressions plus ou moins directes à l’encontre non seulement des principes mêmes de la laïcité mais aussi des démarches volontaristes et émancipatrices ayant conduit à les mettre en application. Ceci est patent dans l’organisation, le fonctionnement et le devenir des institutions républicaines telles l’Ecole publique. C’est ce constat affligeant qui conduit à ouvrir sur ce site une nouvelle rubrique traitant de la délaïcisation . Programmée et mise en œuvre par des acteurs élus de la vie publique et des grands commis de l’Etat dûment instruits par des cabinets conseils en stratégie tel MBB pour « McKinsey – Bain- BCG » , nous en mesurons tous les dangers pour notre société. Nous clamons haut et fort-alors qu’il en est encore temps- qu’il s’agit de préserver les acquis et de les promouvoir et non de déconstruire. Cette action laïque devrait en effet se manifester d’autant que les contempteurs patentés de la laïcité républicaine sont confrontés à l’effondrement spectaculaire de leur édifice catholique faisant suite notamment aux révélations de la Ciase…On sait qu’au même moment s’expriment d’autres violences cléricales et obscurantismes lesquelles prennent aussi à revers les principes mêmes de la laïcié .
Il s’agit donc ici de contribuer à ranimer les activités militantes des associations et organisations de défense et d’action laïques pour se prémunir des agressions à la laïcité au sein ces collectivités publiques. A cet effet on se contentera d’énumérer des faits qui paraissent révélaleurs en termes de délaïcisation. Ainsi :
1.Alors que le 5 avril 2023 dernier, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, interpellé lors d’une audition sénatoriale, sur les critiques formulées par la Ligue des Droits de l’Homme quant à l’action des forces de l’ordre à Sainte Soline, a indiqué que, dans ce contexte, les subventions accordées par l’Etat à la LDH devraient en effet être examinées, avant d’enjoindre les collectivités territoriales à faire de même. Loin de remettre en cause ces propos, la Première Ministre a renchéri en questionnant certaines prises de position de cette Association. Remettre en cause les subventions publiques à la LDH : un mauvais signal pour la démocratie
2. L’arrêté du ministre de l’Éducation nationale du 12 avril 2023 modifie en profondeur le rôle, la composition, et les compétences du Conseil des Sages de la Laïcité. Cette instance, mise en place en 2018, avait à l’origine pour mission de « préciser la position de l’institution scolaire en matière de laïcité (…) » et de conseiller administration, responsables d’établissements et enseignants face aux difficultés rencontrées pour la mise en œuvre de ce principe.
On a pu apprécier, notamment, le Vade-mecum de la laïcité, refonte rigoureuse, par ledit Conseil des Sages, d’un « Livret laïcité » du ministère qui laissait beaucoup à désirer. Il refusait notamment toute comparaison entre « savoir » et « croyance ».
Laïcité et discriminations sont dans un même bateau, laïcité tombe à l’eau… Que reste-t-il ?
Désormais, la laïcité a été diluée dans un brouillard d’objectifs divers. Selon le décret, le Conseil « étudie les conditions de respect et de promotion des principes et valeurs de la République à l’école et dans les accueils collectifs de mineurs, notamment [c’est nous qui soulignons] la laïcité, la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, la promotion de l’égalité des sexes et la lutte contre les discriminations ». Il ne manque qu’un raton laveur à cette énumération qui noie la laïcité dans les discriminations — autrement dit qui « invoque le principe de non-discrimination contre celui d’égalité », comme l’écrit la professeure de droit Roselyne Letteron dans un article sévère ; (https://libertescheries.blogspot.com/2023/04/le-conseil-des-sages-de-la-laicite-ou.html ) …
On notera que ce site avait déjà accueilli un article dévolu à cette question : (https://asvpnf.com/index.php/2023/04/30/les-petits-accommodements-de-circonstance-au-conseil-des-sages-de-la-laicite/
)
3. Chronique d’une mort annoncée pour les lycées pros : nous ne laisserons pas faire !
Ce jeudi 4 mai 2023, M. le Président de la République a officiellement lancé sa réforme des lycées professionnels qui vise une transformation profonde de nos métiers, nos établissements et nos formations sur le modèle de l’apprentissage.
Dans son projet global, les jeunes des lycées professionnels ne sont plus considérés comme des élèves en formation mais comme une main d’œuvre immédiatement exploitable. Quant aux personnels, pour les remercier de leur engagement : de vastes plans de reconversion et un pacte pour travailler plus sont prévus.
Déni de dialogue social…Ce projet signe un transfert progressif mais avancé de la voie professionnelle scolaire vers le ministère du travail et à la solde des branches professionnelles. C’est un coup porté au service public d’Éducation. ( cf. Entre les lignes entre les mots du 13 05 2023)
4. Marianne titre le 4 mai 2023 : L’Ecole du renoncement… Peur, indifférence ou militantisme ; ces profs qui lâchent la laïcité , le double jeu de Pap Ndiaye et ainsi Natacha Polony éditrice en chef de cet hebdomadaire pose la question de savoir si « lâché par certains professeurs pris en étau entre l’activisme des islamistes et le multiculturalisme anglo-saxon, abandonné par d’autres,livrés à leur sort par la hérarchie, le principe de laïcité dans les salles de classe a-t-il un avenir ? Ces professeurs qui lâchent la laïcité : les jeunes générations tendent à être influencées par un vision multiculturelle de la société . Si certains enseignants s’autocensurent d’autres n’adhèrent désormais plus à la laïcité à la française. Une poignée de professeurs vont plus loin et militent activement contre la laïcité et la loi du 15 mars 2004 . Cette loi complète sur « la question du port des signes d’appartenance religieuse le corpus des règles qui garantissent le respect du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics. Les convictions religieuses des élèves ne leur donnent pas le droit de s’opposer à un enseignement ».
5 . Les Poids et Mesures : le 11 mai 2023 Marianne titre :
SNU (Service National Universel) : L’étrange défaite
Selon Natacha Polony, nul ne mesure le coût du délitement progressif de la communauté nationale qui transforme la société en champ d’affontement généralisé.Savoir : « La réforme des retraites, refusée par 70% des Français, s’impose finalememnt par l’usage d’à peu près tous les outils qu’offre la Constitution, mais, pour éviter qu’une contestation de la jeunesse ne redonne de la vigueur au mouvement social on sacrifie le dispositif du SNU plébiscité par 75% des mêmes Français …
6. Comment réparer notre démocratie singulièrement abîmée se demandait le même Marianne du 6 avril 2023… en sollicitant les réponses de 12 intellectuels. Tous étaient à peu près d’accord sur le diagnostic et la nécessité d’un changement profond à savoir :
Premièrement, le fossé entre les élites et le peuple grandit au rythme quotidien des coups de pioche administrés depuis 3 ou 4 décennies par un pouvoir assujetti aux marchés à Bruxelles, aux Gafam, aux experts …
Deuxèmement, la profondeur de la tranchée risque de tourner au divorce définitif, voire à une guerre ouverte entre un haut clergé politico-économique et un tiers état périphérique. Les vraies différences entre toutes les « plumes de talent » interrogées tiennent plutôt au solutions destinées à ressouder les deux « forces » en présence. Pour reprendre la terminologie du Général de Gaulle quelques unes comptent plutôt parmi les adeptes de la table rase. En clair, du changement profod, du renversement systémique comme disent les savants. D’autres tels notre référente laïcité , Dominique Schnapper, préfèrent la table basse où les conflits se règlent par la discussion. A condition de réserver une chaise à tout le monde » si le débat est placé sous le auspices de la laïcité. n
7.Mais les dangers et souffrances encourus ne sont pas seulement ceux de notre territoire national … écoutons plutôt Carole Coupez dans Solidarité Laïque n°81 (2è trim. 2023) ils sont planétaires . : « L’éducation, c’est surtout construire du collectif, c’est un champ d’apprentissage, de connaissances, de compétences et de construction de liens sociaux ; si l‘education est une question de transmissions, celles-ci sont pluri-formes et multidirectionnelles. On apprend les uns avec les autre et les uns des autres et on apprend à faire société ensemble . Rappelons des titres de cette revue qui forcent au retour sur soi-même et le local : « pour élever un Enfant, il faut tout un village » et « l’Ecole est source d’apprentissages, de cohésion sociale et de résilience ».
8. Pendant ce temps l’institution républicaine en péril laisse le champ libre à l’enseignement privé confessionnel qui repose en 2023 une question réglée il y a plus d’un siècle celle de la mixité dont on faisait par le passé l’apprentissage fraternel sur les bancs de l’Ecole publique laïque. C’est ainsi que La Croix du 11mai 2023 titre en première page : « Ecole privée, comment favoriser la mixité ? » … un accord pour encourager la mixité sociale dans l’enseignement catholique doit être signé prochainement. Des annonces sont également attendues pour l’enseignement public… Quoi qu’il en soit ceci en dit long sur ce qui a pu se passer depuis le vote de la Loi de séparation des églises et de l’Etat…
9. Comment aussi passer sous silence les événements politiques qui se déroulent à nos portes et exerçant des effets collatéraux sur notre société en cours de délaïcisation. Le plus marquant résulte du vent de changement qui souffle en Turquie où le Président Erdogan , au pouvoir depuis 20 ans, pourrait souffrir de la désaffection des jeunes au premier tour de l’élection présidentielle qui a cours le 14 mai 2023. On sait qu’en octobre prochain ce pays célèbrera le 100è anniversaire de la République laïque. Selon La Croix du 13 mai 2023 Ataturk, et Erdogan sont deux personnalités qui ont marqué la Turquie. Qu’ont-ils de commun ? On sait que leurs visions politiques sont totalemet oppposées. Le premier est révolutionnaire, le second est contre-révolutionnaire .Le premier voulait que la Turquie aille de l’avant et appartienne à la famille européene. Le second aspire à (nous) ramener 100 ans en arrière, à la période ottomane et souhaite pousser la Turquie hors de l’Europe. Son objectif est que le grand sultanat devienne l’empire du monde islamique.
Araturk cherchait à éloigner la religion de la politique. La laïcité était une sorte de pierre angulaire de la Turquie mais c’est terminé. Désormais le pays est sous forte pression des mouvements islamistes… de là à penser qu’Erdogan veut rétablir une république islamiste. »
Quel que soit le résultat de cette élection on redécouvre ici les éternels recommencements de l’histoire , ce qui laisse à penser que la délaïcisation en cours en France relève finalement de processus politiques et sociétaux dont les dynamiques sont comparables sinon identiques . La constante de temps de référence est de l’ordre du siècle ce qui permet aux citoyens d’apprendre à attendre les lendemains qui chantent
10. Enfin on ne manquera pas de mentionner l’article de Olivier Galland,sociologue , directeur de recherche au CNRS , paru dans Télos le 12 Mai 2023. Il s’intitule : « Plaidoyer pour une école ouverte », école qui selon les vœux de l’auteur serait donc appelée à remplacer l’ école communale laïque d’antan c’est-à-dire une école fermée devenue obsolète à ses yeux .
On soulignera cependant que c’est cette école, prétendûment fermée et où enseignaient les INSTITUTEURS publics, qui permit l’instauration de la République dans nos villes et campagnes ; rien de moins !
Quoi qu’il en soit, selon cet auteur : « Dans plusieurs papiers précédents de Télos, j’ai montré, en me fondant sur les enquêtes de l’OCDE, que l’école française n’était pas parvenue à être une « école de la confiance ». Les élèves français, par rapport à leurs homologues européens, ont plus souvent peur d’échouer. Leur rapport à l’école est trop souvent un rapport de crainte ou d’angoisse. Un autre constat préoccupant est que le fossé s’accroît considérablement entre la culture jeune et la culture scolaire. Pour beaucoup de jeunes, l’école devient ainsi un univers étranger à leur idiosyncrasie. La culture classique que l’école est censée transmettre, notamment à travers les livres, n’intéresse plus. Ainsi, de nombreux jeunes soit craignent l’école, soit s’y ennuient. Ils font leur « métier d’élève » sans enthousiasme ou même, pour certains, avec répugnance. Cet état de fait a des conséquences qui vont bien au-delà de l’acquisition des compétences, car l’école est censée être également un creuset républicain. Il est clair que si les jeunes ont un rapport aussi distancié à l’école, elle échouera également sur ce plan. » (Cf.https://www.telos-eu.com/fr/societe/plaidoyer-pour-une-ecole-ouverte.html.)
11. On pointera , dans ce contexte chargé, le billet plus optimiste du philosophe Henri Pena-Ruiz paru dans Marianne du 18 mai 2023 (n°1366) intitulé « Qui donc lâche la laïcité par lâcheté ? ». Cet auteur en profite pour rappeler à ceux qui ne veulent pas l’entendre « la chance qui est la nôtre en France avec une laïcité universaliste,soucieuse d’émancipation, rêvée par Condorcet et par Victor Hugo.Un vœu comblé par la loi de séparation laïque du 9 décembre 1905 et par celle du 15 mars 2004, qui met les élèves à l’abri du prosélytisme religieux … Alors qui donc lâche la laïcité sinon les hiérarchies des institutions publiques « enlisées dans leur crainte d’affronter le réel et dans les renoncements qui en résultent ».
12. Au final les visiteurs de ce site,amoureux de la laïcité –il en reste- pourront tenter se rassurer en prenant connaissance de la citation de Danièle Sallenave ( In Rue de la Justice, 2022, Gallimard)glânée par un de nos visiteurs qui a souhaité garder l’anonymat : « Rien ne peut me toucher davantage que ce beau mot d’école, qui n’est ni une chose ni un lieu mais les deux à la fois : un endroit où se réunissent deux générations autour de l’idée fondatrice que l’une doit enseigner et l’autre apprendre ». Une citation à inscrire en lettres d’or au fronton des Ecoles publiques laïques de France !
On comprend bien que cette chronique donnera lieu à d’autres épisodes sur ce site.