Publication de La Terre des Prêtres (1924)

Beaucoup d’anciens élèves-maîtres des EN primaires de Quimper  débutèrent leur carrière d’instituteur dans les écoles publiques du Léon (au nord/nord-ouest du Finistère). Ils y découvrirent les joies du métier et celles de la terre des prêtres! C’est en 1924 que Yves LE FEBVRE publia  La Terre des Prêtres, un ouvrage qui fit grand bruit.Les visiteurs trouveront ci-dessous les échos lointains de quelques articles de presse ayant annoncé ou relaté cet évènement littéraire.

YVES LE FEBVRE

Le bureau d’un hôtel moderne — machine à écrire, téléphone, ampoules bariolées — est au XX* siècle un décor tout trouvé pour faire connaissance et lier conversation avec un homme d’action et un poète. C’est ainsi qu’à la faveur des élections législatives je devais rencontrer M. Yves Le Febvre, directeur de la Pensée Bretonne. A vrai dire, je n’avais de lui presque rien à apprendre si ce n’est son visage. Plus jeune que je ne le pensais, de taille plutôt petite, les cheveux noirs rejetés en arrière, la barbe en pointe, la voix vibrante et, à la longue, un peu acide aux heures de polémique ardente, ce fils de Renan à la fougue de Lamennais s’efforce, non seulement — comme le voulait Mallarmé — de donner un sens plus pur aux mots de la tribu mais surtout de lui donner, à cette tribu, une orientation morale. — Et le progrès de ce mouvement, commencé il y a une douzaine d’années, est incontestable en Bretagne, champ auquel il semble avoir borné son action. Il y est arrivé par une logique qui paraît avoir dominé les actes de sa vie : d’abord historien des temps préhistoriques avec les Contes Celtiques, puis de la Gaule et de la France jusqu’au Moyen Age avec la Gaule conquérante, les Barbares, l’Ombre romaine, les Féodaux, s’il est venu d’un bond à notre époque, c’est, comme le faisait remarquer Anatole Le Braz, que la Bretagne, ces dernières années, vivait encore sous le signe médiéval avant la pénétration quasi-totale aujourd’hui des chemins de fer. Et maintenant, son œuvre essentielle terminée, Yves Le Febvre contribue à l’écrire, cette Histoire, mais dans la vie même, par ses actes, par une large politique républicaine qui sera la matière des historiens de demain. Des nouvelles, Sur la pente sauvage de l’Art, des contes, des Cahiers bretons, un roman, la Terre des prêtres composent ou composeront son bagage littéraire futur. Un jour, la Bretagne lui donnera entièrement la place qu’il mérite, en compagnie de Le Dantec, de Réveillère, de Clémence Royer, sur un plan différent sans doute mais fort honorable. Si j’écris aujourd’hui ce bref médailIon à son éloge, à l’éloge de cet écrivain pétri par les douceurs du Trégor et les tempêtes de la mer, c’est que j’ai pensé à tout cela quand, la veille d’un scrutin qui ne devait pas plus lui sourire que, jadis, il ne sourit à l’illustre auteur de la Vie de Jésus, nous cheminions sur la route animée de la gare, baignée par un crépuscule doré qu’emplissaient les arabesques de nos rêves.

Auguste BERGOT, (Le Citoyen du 24 juillet 1924).

Le nouveau roman d’Yves Le Febvre

La Terre des Prêtres paraîtra au mois d’octobre aux éditions de La Pensée française. Il fera revivre le vieux Léon avec sa foi étroite et fanatique. Il marquera de quelques traits vigoureux cette terre si riche et si belle, que domine un clergé tout puissant, aux passions humaines et qui évoque le souvenir demeuré vivace des « Moines rouges » du Moyen Age Ce roman qui vise à brasser une matière nouvelle de Bretagne soulèvera peut-être quelques colères ; mais les lecteurs de La Terre des Prêtres diront si cette Bretagne léonaise n’est pas la plus vivante et la plus vraie et si Mac’harit, Mone Abjean, Lomic Floch et le docteur Moreau ne sont pas des types essentiellement représentatifs de la « race ».

In La Pensée Bretonne, 10è année, n° 91, juillet 1924

A PROPOS D’UN ROMAN : LA BRETAGNE TRAGIQUE !

A l’heure où j’écris cet article, au retour de l’été, la maison d’édition La Pensée Française prépare le lancement de mon roman : LA TERRE DES PRÊTRES. La présentation du livre est parfaite, à la fois élégante et simple et je n’ai qu’à en remercier mes éditeurs, devenus tout de suite mes amis, dont la firme part à la conquête de Paris et de la France et connaîtra, sans doute, bientôt les forts tirages des Fasquelle, des Grasset, des Crès et des Flammarion. Quant au roman, j’aurais mauvaise grâce à le louer. J’en ai donné plusieurs extraits dans La Pensée Bretonne. Ces extraits m’ont valu des lettres amicales. J’espère que le volume ne décevra pas l’attente de mes amis. C’est mon vœu le plus cher. Je désire qu’il complète la série des œuvres que j’ai déjà publiées sinon à la gloire, tout au moins pour la défense et pour la justification de la vieille province où plongent mes racines d’homme et où, chaque année, ma maturité retrouve ma jeunesse avec une émotion plus grave. J’entends, en effet, affirmer tout d’abord que La Terre des Prêtres demeure conforme à l’unité profonde de mon œuvre bretonne, liée par la qualité de son inspiration, non seulement aux « Nouvelles Léonaises », mais encore à mes « Essais sur la Pensée bretonne » et à mes « Essais sur l’Histoire bretonne ». Tout cela se clarifiera peu à peu. Dans les années lointaines, lorsque nous aurons disparu les uns et les autres et.que nous n’aurons plus à compter avec la haine partisane ou la sottise cléricale, je souhaite que mes amis inconnus retiennent cette considération, si toutefois quelque chose survit de mon effort solitaire, obstiné pour une Bretagne française, libre et républicaine.

Ce n’est pas à dire que La Terre des Prêtres soit un livre de combat. Je me défends par avance contre un tel reproche. C’est un roman de mœurs paysannes, une étude de l’Ame bretonne et un drame, — un drame avant tout. Je l’ai écrit aussi consciencieusement que possible. Il vise à redresser du point de vue de la vérité psychologique une certaine conception littéraire, faite de mièvreries sentimentales, dont les chansons de Botrel sont le type le plus parfait. On trouve le point de départ de cette conception littéraire dans ce chef d’œuvre d’émotion intime qu’est la « Marie » de Brizeux et l’on en peut suivre le cheminement et l’évolution à travers Emile Souvestre, Anatole Le Braz et quelques autres jusqu’au poncif breton actuel. A mon sens, il y a là un travail de redressement à opérer pour la pensée et pour l’art bretons. Il faut remonter aux sources. Cette mièvrerie et cette sentimentalité sont étrangères au caractère véritable de la face qui est rude et forte. Il faut les reléguer au magasin de décors de cette Bretagne d’opéra-comique que des impresarii intelligents ont inventée pour « faire marcher le commerce ». Il faut les mettre sur le même plan que ces fastueuses mascarades, où Parisiennes et bourgeoises de « chez nous » revêtent pour un jour les costumes de velours, les tabliers brodés et les coiffes blanches des plus beaux de nos cantons. Je ne suis nullement insensible à la splendeur vive et chatoyante de ces kermesses. Il y a dans ces défilés somptueux de drapeaux et de reines une grâce émouvante. Il y a surtout un plaisir rare pour les yeux et j’applaudis, sans arrière-pensée, aux organisateurs de ces beaux cortèges qui adaptent à nos climats et à nos saisons les bals travestis, les mi-carêmes parisiennes et les fêtes de fleurs provençales. La seule chose que je veuille dire, c’est que personnellement je demeure plus intéressé par les reflets de la pensée à travers les âges, le jeu éternel des passions humaines et les drames de la vie et que je demande autre chose à la Bretagne.

Pour en revenir à mon roman — puisqu’aussi bien je le présente au lecteur — il ouvre dans mon esprit un cycle de romans bretons dont plusieurs avant sont sur le chantier et paîtront successivement au cours des années qui viennent. J’ai voulu évoquer, dans La Terre des Prêtres, le vieux Léon, la sombre et riche terre de paysans et de prêtres qui va da Saint-Pol à Lesneven et même au-delà, vers le pays plus sauvage encore des « Pagans »… On ne manquera pas d’attaquer le livre et d’en dénoncer les tendances anticléricales. J’ai prévu l’objection. Elle est plus apparente que réelle. Parlant de ce pays léonais, où la religion domine la vie publique et la vie privée, il était à peu près impossible d’échapper à un tel reproche, a moins de tomber dans l’excès contraire et de faire du livre une apologie de la religion et de la théocratie. La matière, dans ces communes, prête sans doute difficilement au juste milieu. La seule chose que je puisse dire pour ma défense, c’est que je me suis efforcé de la traiter avec modération et avec impartialité. Le roman est vrai et demeure dans la vraisemblance pour qui connaît cette partie de la Bretagne. Il ne comporte aucun outrage aux hommes ou aux idées. Je connais à fond cette terre fanatique et laborieuse pour y avoir vécu sept années. Je me suis efforcé d’en retenir les nuances d’âme et les nuances de ciel. Je suis resté volontairement en deçà de la vérité, à bien des égards. Nul n’oserait nier que cette partie de la Bretagne ne soit devenue l’apanage d’une théocratie dominatrice où revivent les mœurs, les passions et les pensées du moyen-âge. La religion y est, cependant, plus formulaire que réfléchie, plus superstitieuse et plus imprégnée de paganisme que chrétienne. La crainte de l’enfer l’emporte comme moyen d’action sur l’amour de Dieu. On y brûlerait volontiers encore les hérétiques et les libertins, si la République n’était là pour les protéger. La domination spirituelle et temporelle du clergé y atteint un degré insoupçonné. Si l’on veut en mesurer la puissance, il faut relire le dossier de l’élection Gayraud et le discours à la Chambre de ce républicain modéré que fut Louis Hémon. Ce n’est pas sans raison et sans droit que j’ai pu évoquer naturellement, en marge du roman, la guerz fameuse de « Katelic Moal et des trois moines rouges » recueillie par La Villemarqué et qui figure dans le « Barzas-Breiz ». La gwerz est de toute la Bretagne et de tous les temps ; mais, elle est avant tout léonaise.

J’entends bien que sur ce point notre jugement peut varier. Il est loisible aux catholiques de se réjouir de cette puissance du clergé en Bretagne, comme à nous de le regretter et de nous en affliger. Le romancier, lui, a le droit de constater le fait, de s’en saisir, de l’utiliser pour le conflit des passions et des intérêts. Le jeu s’en déroulera nécessairement dans une atmosphère un peu particulière, qui mêle la superstition à la piété et qui conduit au mysticisme ou au fanatisme. L’essentiel est de demeurer dans la vraisemblance. Je n’ai pas voulu écrire un livre à thèse, ni renouveler le vieux procès du libéralisme philosophique contre le célibat des prêtres ou contre la confession, bien que j’en fasse état, incidemment. J’ai visé simplement au drame et rien qu’au drame. Parce que le péché de la chair est sacerdotalement la règle en Bretagne, en dépit de tous les vœux et de toutes les mortifications, il faut que la religion emploie toute sa puissance, tous ses moyens, tous ses efforts à en effacer ou à atténuer les terribles conséquences. Il faut, chaque jour, dans l’intérêt même de l’Eglise, piétiner des étincelles, afin d’éteindre les incendies qui consumèrent jadis Sodome et Gomorrhe. Si indignes qu’ils puissent être, les prêtres ne doivent pas être soupçonnés. Mais piétiner des étincelles, c’est piétiner des âmes. Et voilà tout le drame de La Terre des Prêtres.

Une autre particularité me frappe, lorsque je confronte ma connaissance de la Bretagne et ma vision personnelle avec les conceptions littéraires que j’ai dénoncées plus haut et toute la mièvrerie sentimentale d’un certain poncif : c’est la qualité même du tragique breton. Je m’étonne que nos écrivains régionalistes n’aient pas mieux saisi ce caractère de la Bretagne, qu’ils ne l’aient pas mieux compris et qu’ils n’en aient pas mieux tiré parti. La Bretagne est Shakespearienne. Elle était Shakespearienne avant la lettre dans ce beau drame passionné de Tristan et Yseult qui reste un de nos chefs-d’œuvre à travers l’adaptation de M. Joseph Bédier. Aucune histoire n’est plus tragique, plus riche en drames variés que l’histoire bretonne. C’est une mine inépuisable. Quant à la Bretagne contemporaine, il suffit de suivre au jour le jour la grande presse d’information pour discerner que si le drame avait disparu du reste du monde, il se réfugierait dans nos landes, sous notre ciel de brumes et de tempêtes. Je feuillette les journaux au cours de la seule année 1924. Après l’affaire Seznec qui va se dérouler, pleine d’ombres encore, devant les Assises du Finistère, nous avons eu le drame de Louargat, étrange aventure digne du génie tourmenté de Shakespeare, où l’on accuse un amant d’avoir enseveli sa maîtresse, humble couturière, dans quelque caveau de cimetière villageois, dans l’une de ces tombes qui nous sont familières, herbeuses et fleuries, sous leur croix de fer rouillé ou de bois vermoulu. L’émotion n’en est pas éteinte qu’éclate le drame de Lannion, l’assassinat du comte de Kerninon, qui montre que les mêmes passions terribles battent dans les cœurs aristocratiques et dans les cœurs roturiers. Et entre ces grandes tragédies que d’autres drames, que d’autres meurtres qui ouvrent des perspectives infinies sur le cœur humain ! J’en ai connu et instruit comme magistrat et j’en sais tout l’intérêt, tout le tragique. L’erreur serait de n’en voir que le dessin et de ne pas discerner les sanglantes arabesques des sentiments, des intérêts, des passions.

Qu’on le veuille ou non, voilà la vraie Bretagne. Nous sommes loin des fades chansons où l’on se lie par le petit doigt, des sentimentales aventures et des mièvreries galantes où tant de gens résument la poésie d’une vieille terre et d’une vieille race, par suite de conceptions littéraires surannées que des Bretons d’opéra-comique et de café-concert ont mises à la mode. Il y a autre chose en Bretagne que des clochers à jour, des lits-clos, des paysans à la Watteau et des paysannes à la Trianon. La Bretagne est avant tout une terre de drame. Ce qui vaut dans cette race aux passions fortes, tardivement mêlée à une civilisation utilitaire et raffinée, c’est la qualité du tragique. Je retrouve ce tragique dans nos vieilles gwerz recueillies par La Villemarqué et par Luzel, au même titre que dans «Tristan et Yseult» ou dans nos vieilles chansons de geste. Je le retrouve même dans la vie des Saints de Bretagne, dans cette légende dorée recueillie par Albert Le Grand et qui vaut pour la poésie et pour l’art au même titre que ces gwerz et ces chansons de geste. Je le retrouve enfin, je le retrouve surtout dans l’œuvre de ce Celte d’outre-mer, dont les drames pleins de mouvement, de passion, de pensée et de vie résument ce qu’il y a de plus grand et d’éternel dans le génie breton. J’ai nommé déjà le dramaturge de Stratford-sur-Avon, juste orgueil de l’Angleterre, William Shakespeare.

Yves L E FEBVRE ( La Pensée Bretonne,10è année, n°94, octobre 1924)

BIBLIOGRAPHIE : La Terre des Prêtres.

M. Yves Le Febvre consacre dans le dernier numéro de la Pensée Bretonne, sous le titre de La Bretagne Tragique, un très intéressant article à son roman La Terre des Prêtres, dont la maison d’édition la Pensée Française prépare actuellement le lancement. Nous détachons de cet article les passages suivants que nous sommes heureux de mettre sous les yeux de nos lecteurs : « J’ai voulu évoquer, dit M. Le Febvre, dans La Terre des Prêtres, le vieux Léon, la sombre et riche terre de paysans et de prêtres, qui va de Saint-Pol à Lesneven et même au-delà, vers le pays plus sauvage encore des « Pagans ». On ne manquera pas d’attaquer le livre et d’en dénoncer les tendances anticléricales. J’ai prévu l’objection. Elle est plus apparente que réelle. Parlant de ce pays léonais, où la religion domine la vie publique et la vie privée, il était à peu près impossible d’échapper à un tel reproche, à moins de tomber dans l’excès contraire et de faire du livre une apologie de la religion et de la théocratie. La matière, dans ces communes, prête sans doute difficilement au juste milieu. La seule chose que je puisse dire pour ma défense, c’est que je me suis efforcé de la traiter avec modération et avec impartialité. Le roman est vrai et demeure dans la vraisemblance pour qui connaît cette partie de la Bretagne. Il ne comporte aucun outrage aux hommes ou aux idées. Je connais à fond cette terre fanatique et laborieuse pour y avoir vécu sept années. Je me suis efforcé d’en retenir les nuances d’âme et les nuances de ciel. Je suis resté volontairement en deçà de la vérité, à bien des égards. Nul n’oserait nier que cette partie de la Bretagne ne soit devenue l’apanage d’une théocratie dominatrice ou revivent les mœurs, les passions et les pensées du moyen-âge. La religion y est, cependant, plus formulaire que réfléchie, plus superstitieuse et plus imprégnée de paganisme que chrétienne. La crainte de l’enfer l’emporte comme moyen d’action sur l’amour de Dieu. On y brûlerait volontiers encore les hérétiques et les libertins, si la République n’était là pour les protéger. La domination spirituelle et temporelle du clergé y atteint un degré insoupçonné…» « … J’ai visé simplement au drame, et rien qu’au drame, ajoute plus loin M. Le Febvre, parce que le péché de la chair est sacerdotalement la règle en Bretagne; en dépit de tous les vœux et de toutes les mortifications, il faut que la religion emploie toute sa puissance, tous ses moyens, tous ses efforts à en effacer ou à atténuer les terribles conséquences. Il faut, chaque jour, dans l’intérêt même de l’Eglise, piétiner des étincelles, afin d’éteindre les incendies qui consumèrent jadis Sodome et Gomorrhe. Si indignes qu’ils puissent être, les prêtres ne doivent pas être soupçonnés. Mais piétiner des étincelles, c’est piétiner des âmes. Et voilà tout le drame de la Terre des Prêtres. »

La Pensée Bretonne, Organe littéraire de la Bretagne républicaine Directeur : Y. Le Febvre. Abonnements : 1 an, 10 fr. ; 6 mois, 6 fr. Pour les abonnements, s’adresser à P. Guéguen, gérant de la « Pensée Bretonne », 21, rue du Sallé, à Quimper (Finistère).