Les journaux cléricaux prennent texte des incidents qui ont éclaté à l’école normale pour vitupérer la laïque et ses maîtres. II n’y a rien de changé dans leur attitude. A toutes les époques, ils ont considéré les écoles de l’Etat comme des foyers de pestilence. Les intolérants ne sauraient tenir un autre langage, puisque les Papes regardent la liberté comme un délire et que les moines qui font les Papes traitent couramment la raison de gueuse effrontée. Les élèves-maîtres de l’école normale doivent aujourd’hui regretter leur escapade. Quelques-uns de leurs camarades avaient eu une attitude incorrecte au cours de précédentes sorties et ils furent punis en conséquence. Du coup, il en résulta un resserrement de la discipline, ce qui ne fut pas du goût de leurs camarades qui revendiquèrent bruyamment les libertés d’antan et eurent la mauvaise inspiration de vouloir se solidariser avec leurs camarades qui n’étaient pas défendables. L’école fut du coup Iicenciée et les jeunes maîtres ont pu, pendant ces vacances d’un nouveau genre, méditer sur les graves inconvénients que présente l’insoumission aux maîtres, aux réglementations de l’école et aux conseils du bon sens et de la raison. Pour comble d’ignominie, une pluie persistante et un temps maussade ont troublé leur quiétude et ne leur ont pas permis de se reposer à l’ombre des grands arbres où le silence dort sur le velours des mousses. Qu’il soit permis à un homme qui les aime bien de leur donner un avis au moment où ils vont quitter la maison d’étude pour le vaste monde. Le divin Platon, dont je lisais au collège les écrits en cachette, nous apprend que sans la vertu toutes les sciences sont vaines et ne peuvent être que nuisibles. Il convient que toujours la raison entreprenne sur le sentiment et les inspirations violentes. C’est en obéissant qu’on apprend à commander, et, le citoyen dans la République est celui qui participe à la fois à l’autorité et à l’obéissance. Les philosophes et les historiens les plus qualifiés de tous les pays et de tous les temps ont pensé ainsi, Aristote, Platon, et Tacite qui vivait sous la tyrannie. L’annaliste immortel ne manquait jamais d’associer ces deux choses: le pouvoir et la liberté, principatum ac libertatem. Ce qui veut dire, en d’autres termes, que le citoyen doit se tenir également éloigné de ces deux abîmes, l’anarchie et le despotisme. Je n’hésite pas à dire à ces jeunes maîtres qui vont devenir, dans quelques mois, les éducateurs de la jeunesse, qu’ils ont commis une faute, et, une faute que les gens d’en face ont tenté d’exploiter aussitôt au profit de leurs établissements. Je préfère, je l’avoue, cette jeunesse un peu bouillonnante à cette autre jeune milice inerte, sortie des mains des jésuites ou des façonniers cléricaux de nos villages,
… toute cette lignée composée de jeunes esprits en uniforme, portant la livrée de la servitude de l’esprit et appelée dans la vie à se comporter comme un bâton aux mains d’un maître… aieut baculum.
Ronsard compare la jeunesse des poètes à la jeunesse des vins : Comme on voit en Septembre des tonneaux angevins bouillir en écumant la jeunesse des vins, Ainsi la poésie en la jeune saison bouillonne dans nos coeurs.
A côté de la jeunesse des poètes, il y a celle des jeunes normaliens qui se forge des mirages et se repait aussi de chimères. Tout cela se dissipera avec le temps… Ce sont brouillards légers que l’aurore soulève et qu’avec la rosée on voit s’évanouir. Après la punition infligée aux jeunes normaliens, j’espère que leur réintégration est proche. C’est la grâce que je leur souhaite à la fin de mon sermon. Les journaux cléricaux, le Progrès du Finistère en fête, ont profité de cette bonne aubaine pour dauber sur le corps enseignant laïque. A l’en croire, dans nos paisibles écoles, l’esprit de révolte soufflerait partout. Il faut être de très mauvaise foi pour conclure et généraliser ainsi. Sans doute il y a quelques très rares instituteurs qui appartiennent à l’idée communiste. Ce n’est là qu’une exception dans un corps enseignant fidèle à sa mission et dévoué passionnément à ses devoirs. Le Progrès du Finistère peut-il d’ailleurs prouver que dans son enseignement l’un de ces maîtres rares ait essayé d’influencer la jeunesse confiée à ses soins ?
Et, voilà l’essentiel !
Ce que les cléricaux incriminent, c’est l’opinion politique de ces maîtres. Il appartient vraiment à ces journalistes de longue ou de courte robe de flétrir ici Ies communistes dont les prêtres séparatistes et leurs affidés sont en Alsace les fidèles alliés dans une sainte alliance contre l’intégrité et l’avenir de la Patrie. En présence de ces inconséquences, je suis tenté de m’écrier avec Zola : « Quels gredins, que les honnêtes gens ! ».
Quoi qu’il en soit, je ne saurais trop recommander la plus grande circonspection aux maîtres qui sont chargés du grand honneur et de la mission redoutable d’instruire la jeunesse, espoir de la République et de la Patrie. C’est par l’éducation des masses que s’accomplira la rénovation sociale, à la fois dans le progrès, dans l’ordre et dans l’harmonie. L’anarchie des esprits ne peut créer que le désordre. Rien ne dure qui n’ait été patiemment édifié. Entre deux attitudes, pour choisir infailliblement la bonne, il n’y a qu’à regarder l’œil de son ennemi quand il luit d’ivresse et de joie, c’est que vous faites fausse route. Instructeurs de la jeunesse, n’oubliez jamais que vous agissez sous l’œil des cléricaux acharnés à votre perte et prompts à profiter de vos faiblesses et de vos défaillances pour discréditer l’enseignement laïque qui est la sauvegarde de la République.
Le Citoyen du 20 juin 1929