Nouvelles Locales QUIMPER
Le Monument de l’ENG non inauguré en 1924
Aujourd’hui, jeudi 3 juillet 1924 à 11 heures, a lieu, à l’école normale des garçons de Quimper l’inauguration du monument élevé à la mémoire des normaliens et des instituteurs du département tombés au champ d’honneur. Nous rendrons compte de cette cérémonie dans notre prochain numéro.
Jeudi, le tirage de notre journal était commencé lorsque nous apprenions que l’inauguration du monument élevé, dans la cour d’honneur de l’école normale des garçons, à la mémoire des 169 normaliens et instituteurs du Finistère tombés au champ d’honneur, avait été différée à la suite d’un incident survenu la veille à la réunion de l’Amicale. Certains membres de l’Association avaient exigé qu’à la cérémonie il n’y eût notamment pas de discours chauvin, que des discours fussent supprimés, et en particulier les chants. Le bureau de l’Amicale démissionna et fut remplacé par un bureau provisoire composé de membres protestataires. Les autorités préfectorale et académique décidèrent, en présence d’un pareil différend, l’ajournement de l’inauguration, estimant qu’il n’y avait pas, autour de cette cérémonie, l’atmosphère de sérénité et de recueillement qui convient.
Et les parents des disparus, qui étaient venus de tous les coins du Finistère pour assister à l’inauguration du monument, s’en retournèrent le cœur triste… Cet incident a produit une pénible impression dans tout le département. Les amis de l’Ecole laïque s’en affligent. Nous espérons, malgré tout, que les difficultés seront aplanies, et qu’un accord prochain permettra de procéder, dans les conditions de dignité qui s’imposent, à l’inauguration du Monument élevé pour glorifier la mémoire des Membres du Personnel enseignant du Finistère tombés au champ d’honneur.
D’après Le Citoyen du 10 juillet 1924 (n° 28, 27è année)
AUTOUR D’UN SCANDAL E : Un guet-apens communiste.
L’inauguration du monument aux instituteurs finistériens morts pour la France est décommandée.
Il s’est produit, il y a quelques jours à Quimper un scandale — il n’y a pas d’autre mot — qui a produit dans toute la région une profonde et douloureuse émotion et qui n eu des échos jusque dans la presse parisienne. Nous en eussions déjà parlé dans notre dernier numéro, si le silence (inexplicable à notre sons, parce qu’on ne saurait, dans aucun organe, consentir à « étouffer » de pareils incidents) n’avait été demandé, pour vingt-quatre heures, à la presse. Le scandale dont il s’agit est d’autant plus grave qu’il a été délibérément provoqué à propos d’un honneur à rendre aux morts de la grande guerre et qu’il a eu pour auteurs des instituteurs publics, moralement obligés de donner, en dehors de leurs fonctions, l’exemple de la sagesse et de la tenue, et d’enseigner, dans leurs fonctions mêmes, le respect dû à tous les défunts, la tolérance nécessaire à l’égard de toutes les opinions, le culte de la Patrie el l’amour de notre pays. Hâtons-nous de dire que ces instituteurs se réclament des doctrines du communisme et que nous ne les confondons pas ,comme des généralisations injustes, passionnées et injustes ne manquent certainement pas de le faire, avec l’ensemble du corps enseignant laïque qui, quoi qu’on puisse dire, se compose en grande majorité d’éducateurs irréprochables, soucieux en toute occasion, de la dignité de leur rôle et de la belle mission que la nation leur a confiée. Les journaux quotidiens ont relaté en détail les laits. Nous nous bornons à les résumer.
Le jeudi 3 juillet il avait été entendu que serait inauguré, dans la cour de I’ Ecole normale de garçons de Quimper, le monument, dû au ciseau du sculpteur Armel Beaufils et élevé par souscription publique (ce détail a son importance) et par les soins de l’Amicale des Instituteurs à la mémoire des maîtres finistériens de l’enseignement primaire tombés pour la France, au cours des hostilités de 1914-1918. Un comité, pris dans le bureau de l’Amicale, et présidé par M. Canévet, directeur d’école à Pont-l’Abbé, avait été chargé de mener à bien cette oeuvre de commémoration. Il y avait pu y avoir — comme il arrive souvent — quelques tiraillements au début sur des points de détail el d’exécution d’une intention sur laquelle tout le monde, au fond, était d’accord. Mais le comité, auquel ii convient de rendre d’autant plus nommage qu’il a été victime d’un véritable guet-apens, avait rempli sa mission avec conscience et dévouement depuis deux ans. Maintenant le monument était prêt. Il ne restait plus qu’à procéder à la cérémonie, et, au cours de cette cérémonie, dont le caractère par lui-même ne pouvait être qu’émouvant, à glorifier les bons Français qui n’avaient pas seulement enseigné le patriotisme en paroles mais qui avaient donné l’exemple en se sacrifiant à la défense de leur pays. C’est alors que le guet-apens — nous répétons le mot à dessein — s’est produit. L’Amicale tenait son assemblée générale à Quimper, le mercredi 2 juillet. Comme d’habitude, cette réunion en quelque sorte familiale comportait un banquet et une petite fête dansante. Selon l’usage aussi, il semblait que l’assemblée dût s’occuper exclusivement de discussions corporatives et de questions professionnelles ou de solidarité mutualiste. Mais elle avait compté sans les communistes. Tandis que beaucoup de membres de l’Amicale, non prévenus du « coup » qui se tramait, négligeaient de se rendre à l’assemblée générale, les instituteurs commuuistes eux, avaient battu le rappel des « camarades ». Ils arrivèrent en nombre à la réunion et ayant constaté qu’ils étaient la majorité, passaient aussitôt à l’exécution de leur plan de conspiration, arrêté soigneusement par avance. La séance, à peine débutée, ils interpellèrent le bureau de l’Amicale au sujet du programme de la cérémonie d’Inauguration du monument. Violemment, ils s’élevèrent contre la décision selon laquelle devait être jouée la Marseillaise, l’hymne national ; ils protestèrent contre l’exécutions prévue de chœurs patriotiques, contre l’ingérence annoncée des autorités et de « politiciens » et contre les discours — patriotiques encore — qui seraient prononcés, soit par les représentants du gouvernement, soit par des parlementaires. Selon eux, en un mot, le comité entendait glorifier la guerre… et non ceux qui étaient morts pour la défense du pays. Une stupeur douloureuse frappa le bureau ; des instituteurs, indignés de cette scène, se retirèrent, laissant le champ encore plus libre aux énergumènes. Finalement, mis en minorité au renouvellement partiel de ses membres, le bureau démissionna. Il fut aussitôt remplacé par un bureau provisoire qui, lui, annonça son intention d’honorer les victimes du devoir et les héros de la guerre à sa façon. On parla, paraît-il, de chante l’Internationale plutôt que la Marseillaise ; il fut question de censurer , sinon en les soumettant au regard de l’œil de Moscou, du moins de par Ieur propre autorité des nouveaux élus, les discours des autorités et des « politiciens ». C’est dans une agitation compréhensible que la séance fut levée.
Ici il nous faut ouvrir une parenthèse. Il n’est pas besoin de souligner la neutralité déplorable des auteurs de ce petit coup d’Etat. S’agissant de soldats tombés sur le cham p de bataille, la passion politique n’avait pas à intervenir. L’esprit de parti n’avait pas à se manifester. Il n’y a pas deux façons d’honorer les héros : la façon communiste et la manière socialiste, ou républicaine ou réactionnaire. On les célèbre avec tout son cœur, en pensée et en amour. Les instituteurs morts pour la patrie n’ont pas, en fermant les yeux pour toujours, exigé spécialement le rite moscovite ni le dithyrambe proprement communiste. Ils ont donné leur sang, leur vie et c’est tout. Et, puisque paraît-il, certains des « chambardeurs » de l’autre jour tenaient à manifester simplement pour le « recueillement »- entrecoupé peut-être des couplets de l’Internationale — leur hommage aux « victimes de la guerre », rien ne les eût empêcher, en tout état de cause , de se recueillir, quel que fût le programme de la cérémonie « officielle». Mais ce qui ajoute à l’odieux de l’attitude des instituteurs communistes, c’est que, nous l’a-t- on assuré , plusieurs de ceux qui renversèrent le bureau, ne figurent même pas parmi les souscripteurs du monument ; c’est que des élèves de 3 è année de l’Ecole normale , qui se firent remarquer par leur zèle communiste, ne sont même pas cotisants à l’Amicale, étant statutairement exemptés de la cotisation ; c’est que certains de ceux qui tenaient moins à louer un sacrifice qu’à élever une malédiction communiste contre la guerre ne l’ont même pas faite. Bella matribus detestata : tout le monde est d’accord là- dessus ; mais les morts méritaient d’abord que les vivants ne se fissent pas la guerre entre eux, à l’heure de célébrer le martyre des défunts. Quant aux souscripteurs du monument qui n’appartiennent pas à l’enseignement ; quant aux familles mêmes des héros, les communistes aussi auraient pu et dû se demander si à l’outrage aux morts (car c’en était un que la querelle misérable soulevée pour abattre le bureau… et le remplacer), ils n’ajoutaient pas une incorrection en ne se souciant en aucune manière du sentiment de personnes associées, par l’amitié ou par l’affection, à une œuvre de piété.
« Toujours est-il qu’à la suite de l’incident que nous venons de relater, l’Amicale se scinde en deux banquets, les communistes se réunissant à part après leur victoire (I) et les instituteurs qui avaient blâmé l’attitude scandaleuse de leurs collègues s’assemblant de leur côté, autour de l’Inspecteur d’Académie, qui exprima, lui aussi, comme il le devait, son sentiment clair et net de réprobation des faits de la matinée. Que se passa-t-il exactement ensuite, au cours de conférences répétées, dont l’une eut lieu tard dans la nuit, entre le nouveau bureau de l’Amicale et l’Inspecteur d’Académie ? Nous n’avons, au sujet de ces pourparlers, que des renseignements incertains. Nous commenterons ces entretiens quand nous en connaîtrons la teneur exacte. Ce qu’il y a de sûr, c’est que M. MASBOU prit la résolution – nous pensons qu’il ne s’est point décidé sans raison — de décommander la cérémonie de l’inauguration. Le fait seul que le bureau provisoire ait prétendu continuer à discuter avec l’administration, avec le chef du corps enseignant, telles ou telles modalités de cette cérémonie et que, finalement, l’Inspecteur d’Académie en ait été réduit à un acte d’autorité qui devait provoquer une douloureuse déception parmi les familles des morts, ce seul fait, disons-nous, constitue une présomption très forte que les communistes ont persisté dans leur erreur et dans leur mauvaise action. Nous nous demandons même si, à l’heure actuelle, devant l’indignation générale, ils se rendent compte exactement du véritable sacrilège qu’ils ont commis. Et s’ils se doutent aussi du mal — difficilement réparable — qu’ils ont fait à l’école laïque. Car c’est une autre conséquence de leur attitude. Nous n’en parlons pas aujourd’hui. Mais pour être fixé à ce sujet, en attendant que nous exprimions sans détour notre opinion là-dessus, qu’ils veuillent bien lire attentivement le numéro du Progrès qui paraîtra au même moment où ces lignes seront publiées. Il n’est pas difficile de prévoir que les cléricaux se serviront sans ménagement des armes qu’on se plaît à leur mettre entre les mains. Ces mêmes communistes seront édifiés sur l’aide précieuse qu’ils apportent à l’argumentation des ennemis de l’enseignement laïque, et sur le droit que les défenseurs de cet enseignement (au milieu desquels nous nous sommes toujours rangés) ont de penser que ceux qui poignardent le plus cruellement la cause de l’école publique ne sont pas toujours dans le camp de l’école libre. A mauvais entendeurs, salut ! Mais nous avons à leur dire quelques dures vérités. Nous n’y faillirons pas, dans l’intérêt de la « laïque », compromis par une poignée d’agitateurs qui ne s’arrêtent même pas de s’agiter devant les tombes, dont aucun mot ni aucune pensée blasphématoire ne devrait jamais ternir la grande et pure beauté. Louis LE PAGE
A la Chambre.
L’affaire du monument des instituteurs de Quimper a été évoquée mercredi à la Chambre, à la suite des violents incidents et de la bagarre qui ont accompagné le débat sur l’amnistie. Voici quelle a été l’intervention de M. Balanant sur ce sujet et la suite qui lui a été donnée :
M. Balanant demande à interpeller le gouvernement sur les mesures qu’il compte prendre pour que le monument élevé à Quimper aux instituteurs glorieux tombés pour la Patrie soit inauguré le plus tôt possible.
M. François-Albert. — Le gouvernement demande le renvoi à la suite.
M. Balanant. — Je m’étonne de cette réponse du gouvernement. Je lui demande quelles mesures il compte prendre contre le petit groupe d’instituteurs qui prétend bannir la Maraseillaise, notre hymne national,de cette cérémonie. (Exclamations à gauche et sur divers bancs). Je n’insisterai pas, si l’inauguration a lieu bientôt, si la Marseillaise peut être jouée et si aucune parole révolutionnaire ne doit être prononcée. (Applaudissemenls à droite et au centre) .
M. François-Albert. — Je ne peux aborder la question au fond. Il s’agit d’une interpellation préventive, puisque aucun incident ne s’est encore produit à Quimper et que j’ai le vif espoir qu’il ne s’en produira aucun. (Applaudissements). La Chambre ne me fera pas l’injure de me demander de répondre à la question de savoir…
… si la Marseillaise sera autorisée. Quant à l’inauguration, je l’autoriserai à la date que je jugerai la plus favorable pour le recueillement qui convient à une telle cérémonie, (Applaudissements).
M. Balanant maintient que le préfet a fait connaître au gouvernement que l’Amicale des instituteurs avait demandé que la Marseillaise ne soit pas jouée et c’est en raison d’incidents possibles que l’inauguration fut remise.
M. Francois-Albert fait remarquer que cette interpellation ne peut interrompre le débat d’amnistie et prie donc M. Balanant de ne pas insister.
M. Balanant , — Je n’insisterai pas, si vous me promettez de prendre des mesures préventives.
Le ministre ne répond pas ; M. Balanant réclame un scrutin sur la demande de renvoi à la suite de son interpellation. (Exclamations.)
Le renvoi à la suite de l’interpellation Balanant est volé par 375 voix contre 201.