C’est toujours la République laïque qui est menacée.
Dans son remarquable discours, si sage, M.René Renoult ne pouvait toucher à toutes les questions. Mais, s’il n’a point abordé la question de la laïcité et du cléricalisme, ce n’est peut-être pas faute de temps, c’est peut-être aussi par un souci d’élégance, une crainte de la raillerie, et pour ne pas avoir l’air d’être un disciple de M. Homais. Oui, c’est peut-être par une sorte de bon goût qu’il a gardé le silence sur le péril et la défense de la laïcité. Comme le parti socialiste, pour d’autres raisons, qui sont de prudence et d’espoir, garde le même silence sur le même sujet ; c’est un peu trop commode pour nos adversaires. Ce qu’il faut dire, ce que je veux dire, c’est qu’aux élections générales de 1928, c’est par l’Eglise que se fera l’union des modérés, des conservateurs de toutes nuances, contre les républicains de gauche, unis ou désunis. Quand il s’agit de dénoncer le péril clérical, l’histoire devrait nous guérir de la peur du ridicule. Tous les grands mouvements de réaction en France, depuis la Révolution, ont été animés, conduits par l’Eglise catholique. C’est par l’Eglise qu’en 1850, en 1873, les partis de droite ont mené leur bataille de réaction sociale. Sans l’Eglise, leur troupe bigarrée se serait aussitôt dispersée. C’est l’Eglise qui les a menés au combat en un front unique et discipliné.Tout annonce qu’il en sera de même, en d’autres modalités, aux élections générales de 1928.
Ce n’est point pour nos beaux yeux que le pape actuel, politique avisé, a procédé, à l’égard de la République française, à un ralliement d’un nouveau genre. Cela a consisté à intervenir dans nos luttes politiques intérieures pour mettre hors de combat certains extrémistes de droite et tuer un royalisme qui est mort depuis longtemps en France, et qui, même si on le ressuscitait artificiellement, ne peut offrir aucun espoir solide au pape ni faire courir aucun danger sérieux à la République. Le pape ne donne rien pour rien. Ce qu’il veut, c’est saper peu à peu la laïcité en France, parce que c’est en France qu’elle est le plus redoutable, y étant la plus parfaite, la mieux organisée. La France est dans le monde la grande puissance laïque, la seule qui soit fière et franche. Pour l’Eglise, c’est un exemple funeste et à détruire. Pour atteindre la République laïque, il faut atteindre d’abord l’école laïque c’est à-dire atteindre l’avenir.
D’où cette campagne contre l’école laïque, campagne concertée, campagne sournoise ici, effrontée là, et dont l’arme principale est la calomnie, ce gaz empoisonné. Systématiquement, dans les départements de l’Ouest, on discrédite les instituteurs et les institutrices publics par d’odieuses légendes, A l’aide du mensonge, on vide les écoles de la nation. On essaie d’habituer l’opinion et l’idée d’une proportionnelle scolaire, qui aurait pour but et pour .résultat de faire payer par la République les frais des écoles où on éduque les enfants contre la République.
Ce même pape, qui chez nous condamne l’Action Française, favorise en Allemagne les ultra-nationalistes, leur facilite l’accès au pouvoir. Contradiction ? Duplicité ? Non I II espère obtenir ainsi que dans les régions catholiques du Reich, l’école confessionnelle, qui est l’exception par rapport à l’école simultanée, devienne la règle, et que ce soit l’école simultanée qui devienne l’exception. C’est la même politique contre la laïcité que, par des gestes différents, le pape soutient en Allemagne, comme en France, comme partout, Il joue son jeu. Jouons le nôtre en nous défendant. Le danger est sur nous, sous nous, à côté de nous, sournois et agissant. On veut, je ne saurais trop le répéter, cléricaliser la France par l’exemple de l’Alsace, au lieu de laïciser l’Alsace par l’exemple de la France.
Si une majorité modérée, conservatrice sort des prochaines élections générales, voilà la République que nous fera l’Eglise. Ce danger, — qui ne se voit à plein que dans certaines régions de la France, — c’est un devoir de le dénoncer à toute la France. Car le dénoncer, c’est déjà presque le conjurer. Masqué, le cléricalisme pourrait triompher, par un coup de surprise et d’équivoque. Démasqué, il est déjà moins dangereux. Il y a dans le peuple français un fond historique et solide de laïcité, et, dès qu’il voit le piètre dans la politique, ce peuple se cabre. Mais encore faut-il qu’il le voit, qu’on le lui signale. Si on ne l’avertissait pas, occupé comme il l’est à son travail, il pourrait être pris an piège. Averti, et si ses chefs républicains sont unis, il déjouera encore une fois la conspiration clérico-conservatrice. A. AULARD. Républicain»
D’après Le Citoyen du jeudi 26 mai 1927, n°21, 20è année.