JEAN NEDELEC – 1920-1980 : 60 ans de vie militante dans le Finistère


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La petite enfance au Faou

 

Aussi loin que remonte ma mémoire, j’ai des souvenirs qui se situent entre 1920 et 1924. Je suis né le premier mars 1920, dans la commune du Faou, qui, avec ses maisons du 16eme siècle doit son nom à un château, cité dès le 9ème siècle et appelé « le Hêtre ». Ce qui m’a toujours frappé, c’est le peu d’étendue de cette commune, chef-lieu de canton. Dès que l’on quitte la ville, on se trouve déjà sur la commune de Hanvec qui avec ses 6000 hectares est bien plus grande que le chef-lieu qui ne fait que 1200 hectares.

Le premier mars 1920 était un lundi. La maison où je suis né, à neuf heures du matin, faisait face à la rivière, qui, par marée haute, devient un site agréable.

Je garde de cette période de la petite enfance, quatre scènes, que je peux revivre intensément, tant elles sont claires dans ma mémoire, probablement parce qu’elles résultent d’une grande frayeur ou d’une grande tristesse.
Mon plus lointain souvenir remonte aux environs de mes quatre ans. Je me retrouve dans une ruelle, derrière l’Hôtel de Cornouaille. Mes parents avaient acheté une maison, route de Landerneau. L’Hôtel se trouvait face à cette maison. La ruelle rejoignait la route de Rumengol. Je suis en présence d’un grand bonhomme qui me gronde et me menace de sa main grande ouverte, comme pour se préparer à m’administrer une bonne fessée. J’avais dû faire une bêtise quelconque.

Ce grand bonhomme, c’était mon grand-père maternel : Sébastien Rozuel.

Au Faou, on l’appelait familièrement « Sébastien Moko » parce qu’il avait séjourné quelque temps dans le midi de la France, du côté de Toulon. Mon grand-père est décédé le 3 juillet 1924 à l’âge de 64 ans. Je venais à peine d’avoir 4 ans.

Deuxième souvenir, tragique : la mort d’un petit chien, qui appartenait à mes parents, auquel j’étais très attaché comme le sont tous les enfants en général. Revenant de l’école, qui était située à l’autre bout de la ville, je découvris sur le trottoir, devant la maison, un petit cadavre, celui de notre chien, victime d’un accident juste avant mon arrivée. Pourtant à cette époque, la circulation automobile n’était pas intense.
Mais le malheur était là, le chagrin aussi. Je me souviens, sur les hauteurs de « la vieille route » comme nous l’appelions, d’un immense trou où se jetaient toutes sortes de détritus. C’est là que fut lancé le cadavre de notre chien.
J’ai gardé depuis pour la race canine, et les animaux en général, beaucoup de compréhension et d’amour.
Troisième grand choc : l’école du Faou se trouve en bordure de la grande place, appelée « champ de Foire ». C’est là que se tenait le marché aux bestiaux. Le marché aux cochons, se déroulait devant la chapelle saint Joseph, à l’entrée de la route de Rumengol. La place du champ de Foire était vaste et les cirques de passage s’y installaient. Un jour de classe, lors d’une dispute avec un de mes camarades d’école, je lui lançai une pierre qui l’atteignit à l’arcade sourcilière. Le sang se mit à couler. J’en eus d’autant plus peur que l’on me menaça de me donner à manger aux éléphants du cirque présent à ce moment.

Et enfin, ce qui fut la plus grande honte de ma petite enfance. M’étant « oublié » dans ma culotte au sortir de l’école, je me vis dans l’obligation de longer les murs de la ville, afin de cacher cette honte et d’arriver à la maison, sur la route de Landerneau.

Mes liens avec ma commune natale ont continué jusqu’au décès de ma grand-mère maternelle « Jeannie Moko », comme on l’appelait parce qu’elle était l’épouse de « Sébastien Moko » de même que ses enfants portaient tous l’additif Moko, mon oncle Charles Rozuel dit « Charlie-Moko », ma tante Marie, « Marie-Moko », ma mère « Louise Moko ».

De son vrai nom Jeannie Ellouet, ma grand-mère vivait dans la maison de mes parents, habitant une pièce donnant sur l’arrière-cour.

J’allais la retrouver dès que j’avais un moment de libre et notamment pendant les vacances scolaires. Je passais avec elle des moments agréables. Les vacances terminées, je revenais à Brest, ayant toujours dans un sac à provisions quelque poulet ou lapin que la brave grand-mère allait acheter dans une ferme.
A cette époque, il y avait à l’entrée de la ville un Octroi (le nom est resté au quartier). Le car qui nous transportait, s’arrêtait à cet endroit. Un contrôleur montait dans le car et s’écriait : « II n’y a rien à déclarer ? ». Le poulet ou le lapin bien camouflé dans mon sac et glissé sous mes pieds, je me taisais, ne désirant pas payer la taxe qui frappait cette marchandise pour son introduction dans Brest.

Cette grand-mère qui est restée chère à mon cœur est morte le 11 novembre 1932, à l’âge de 71 ans. Ce jour-là, comme d’habitude, je la quittais avec un poulet destiné à mes parents. Un orage terrible se déclarait dans la nuit ; peut-être apeurée, se sentant mal, elle est sortie pour chercher du secours. Avant d’atteindre la route, elle était frappée par un malaise cardiaque. Le lendemain, revenant du Lycée sur le coup de midi, je trouvai ma mère en pleurs et elle m’annonçait la mort de ma grand-mère.


Enfance et adolescence à Recouvrance

 

Vers mes six-sept ans, (je n’ai pas de souvenir précis sur la date), mes parents quittaient Le Faou pour rejoindre Brest où mon père avait trouvé du travail. Ils gardèrent cependant la maison de la route de Landerneau. Elle leur fut utile à plusieurs reprises et, en particulier, en 1943, quand les bombardements de l’aviation américaine sur Brest les obligèrent à quitter la ville.

Mon père, Alexis Nédélec, avait passé 15 ans dans la Marine militaire où il avait terminé avec le grade de second-maître timonier. Il avait beaucoup navigué et me racontait qu’il s’était trouvé dans la Mer Noire, aux alentours d’Odessa, au moment de la révolution bolchevique de 1917 en Russie et de la révolte des marins français emmenés par André Marty et Charles Tillon. Au Faou, il avait trouvé du travail sur le pont de Térénez, pont suspendu qui enjambe la vallée de l’Aulne et relie Le Faou à la presqu’île de Crozon. Il me disait, comment, monté dans une nacelle, il peignait les câbles du pont suspendu. Peintre en bâtiment, il ne dédaignait pas le dessin, et avait réalisé une composition au fusain illustrant cette acrobatie.

A l’entendre, pendant qu’il était embarqué sur les navires de la « Royale », il grimpait à la corde lisse, à la force des poignets, les jambes à l’équerre. C’est vrai que je me souviens de lui, le dimanche matin, en guise de gymnastique, prenant une chaise et s’appuyant, une main sur le dossier, l’autre sur la chaise, et se redressant en force pour se mettre droit, la tête en bas et les pieds en l’air, et cela plusieurs fois. Je n’ai jamais réussi, pour ma part, à accomplir un tel exploit.

En arrivant à Brest, nous avons d’abord habité 13 rue de l’Église ; c’est une vieille rue de la ville où se trouve aujourd’hui un musée « la Maison de la Fontaine ». Nous avons quitté cet appartement pour le bas de la rue de la Porte et enfin la rue Le Guen de Kérangall au numéro quatre où j’ai vécu toute mon adolescence dans ce quartier de Pontaniou.


Perte de la foi catholique

 

Rue de l’église, c’était tout près de l’école publique de la rue de la Communauté, où je continuais ma scolarité après l’avoir débutée au Faou. C’était tout près également de l’église Saint-Sauveur. J’y suivais les leçons de catéchisme afin de préparer ma communion.

Eh oui, j’étais très croyant jusqu’à cette communion solennelle qui fut célébrée en l’église Saint-Sauveur. J’ai encore la photo où je pose avec mon brassard de premier communiant. Tout le mystère qui entoure l’histoire de la religion m’avait pénétré. Je rêvais même de devenir prêtre un jour.

Et le rêve s’est brisé ! Voici comment. J’habitais alors rue Le Guen de Kérangall. Il m’était tombé entre les mains (je ne sais plus comment) un petit ouvrage : « l’Évangile selon Saint Luc ». Je l’avais lu et relu et je l’emportais avec moi au catéchisme qui avait lieu dans un local face à l’église Saint-Sauveur. Je fis part à la brave catéchiste de ma satisfaction à la lecture de ce petit livre. Je la vis se mettre en colère et déchirer l’ouvrage en question. C’était un ouvrage protestant.

Ce fut pour moi un grand choc et c’est là que commencèrent mes doutes, devant tant d’intolérance. Elle ne savait pas, cette brave dame, que ce jour-là elle fit perdre à1’Eglise catholique et romaine un de ses adeptes.


Guerre scolaire déjà

 

Ayant commencé ma scolarité à l’école publique de la rue de la Communauté (habitant rue de l’Eglise, l’école était toute proche), je continuais à la fréquenter, même quand nous déménageâmes rue de la Porte, puis rue Le Guen de Kerangall. J’y avais mes « copains » et j’aimais bien mes instituteurs. Je me souviens, en particulier, de Monsieur Seznec. Il était quimpérois et ses leçons d’histoire me captivaient. Je lisais beaucoup grâce à la bibliothèque de l’école.

Le fait d’avoir continué à fréquenter l’Ecole de la Communauté, me valut un jour de vivre un curieux événement.
De Pontaniou à la Communauté il y a la rue Vauban à descendre, coupée à angle droit par la rue Armorique. En haut de la rue Vauban, face à la place Dixmude se trouve l’école Vauban. J’aurais dû y aller mais comme je l’ai dit c’est l’école de la Communauté qui avait ma préférence. Or, un jour, en descendant la rue Vauban, je fus arrêté à la hauteur de la rue Armorique, par un groupe d’élèves de l’école Vauban qui faisait barrage aux enfants qui fréquentaient l’école privée Saint-Sauveur. Leur ayant dit que c’est à la Communauté que je me rendais, le passage me fut ouvert.

Signe des temps ?


1931 : Année décisive

 

C’est l’année qui va être déterminante pour la suite de mes études. Monsieur Seznec tint à me présenter à l’examen des Bourses, qui se tenait à l’époque dans l’école, aujourd’hui disparue : l’école publique de la rue Monge.

Je réussis à cet examen. Restait à savoir quelle serait mon orientation. Il est bien difficile, à 11 ans, fils d’ouvrier, de prévoir son avenir.

Et c’est alors qu’intervint la grande chance de ma vie, la rencontre avec celui qui fut mon « mentor ». Georges Bozec habitait rue Laurent Legendre, toute proche de la rue Le Guen de Kerangall. Nous étions destinés à nous rencontrer et à devenir d’excellents amis. À peine plus âgé que moi, il était élève au Lycée de Brest (le seul et unique Lycée de la ville). Il y collectionnait les succès scolaires, les prix d’excellence (je possède encore « Histoire d’un Paysan » d’Erckman-Chatrian qu’il avait reçu en prix d’excellence). Son père était cheminot. Veuf et s’étant remarié, il avait eu d’autres enfants et la marâtre de Georges l’obligeait souvent à garder ses petites sœurs et son petit frère, à aider son père qui possédait un jardin. Malgré cela, il trouvait le temps, en plus de ses études, de s’évader, de me rencontrer sur les remparts de Recouvrance où il m’initiait à tout ce qui faisait son plaisir : la littérature, le théâtre, la musique surtout.

Son père était communiste et comme cheminot, il ramenait à la maison les journaux oubliés dans les trains venant de Paris, et notamment L’Humanité.

C’est grâce à ce contact, qu’a commencé mon initiation politique.

Après ses études au Lycée de Brest, puis à Rennes et Paris, Georges deviendra professeur agrégé de français ; la guerre venue, nous nous perdrons de vue ; j’appris par la suite qu’il était devenu pilote de chasse. Juste à la fin de la guerre, il décédera d’une péritonite aiguë.

Pour mieux illustrer le personnage, le mieux est de reproduire ici un extrait d’une longue lettre qu’il m’écrivait de Rennes le 27 février 1936 :

Mon cher Jean
Je suis bien fâché de ce que tu doives être toujours le premier à renouer notre correspondance. J’aurais pourtant mille choses à te dire. Et maintenant encore hélas les limites du temps et du papier ne me permettent pas de te dire tout ce que je voudrais. Bah ! tant pis, je remets cela avec joie aux vacances de Pâques

(Ici un compte-rendu de diverses conférences auxquelles il a assisté).
Puis :

Mon Dieu ! Voilà que j’ai barbouillé déjà un nombre imposant de pages et il faut encore que je te parle d’un autre sujet. Vraiment tu vas finir par penser que je fais preuve aujourd’hui d’un enthousiasme délirant. Mais cette fois tu en conviendras toi-même. Il y a de quoi :
J’ai pris l’initiative, avec quelques copains, un philosophe et un taupin, d’organiser au Lycée même des séances d’auditions musicales. Jeudi dernier nous sommes allés à la recherche d’un phonographe. Nous en avons trouvé rapidement un dont la location nous reviendra à vingt francs par mois. Le copain de philo dont je t’ai parlé possède une soixantaine de disques, qu’il apportera successivement ici. Mais la grosse difficulté était l’autorisation du proviseur. Nous sommes allés tous les trois le trouver hier. J’ai commencé moi-même à lui exposer notre idée et à le persuader de son utilité et de son haut intérêt. Chose vraiment étonnante, il nous a accordé l’autorisation avec une extrême bienveillance et il nous a lui-même indiqué une salle. Si bien qu’à partir de la semaine, prochaine, nous pourrons écouter tous les jours, de midi et demi à une heure et demie, de la musique de choix. Nous avons formé un groupe qui comprend actuellement quatorze membres. Le prix de la cotisation est de trois francs, ce qui nous permettra d’acheter des livres de critique ou d’histoire de la Musique et, peut-être de nous abonner à une revue. Tu penses si je suis content ! Le philosophe en question compte avoir les disques d’un ami, parmi lesquels on trouve notamment : La Pastorale, La Sonate à Kreutzer, l’Appasionnata. Shéhérazade, Siegfried, La Symphonie fantastique, etc… etc…
Pour le moment, nous aurons dès la fin de la semaine prochaine : une sonate et un concerto de Mozart, un concerto de Bach, les Tableaux d’une exposition de Moussorgsky et la Mer de Debussy. Pour le moment, tu vois, nous vivons un peu au hasard, mais plus tard nous irons plus méthodiquement et peut-être même nous ferons des exposés, illustrés naturellement d’auditions. Ça promet !!.
Cette nouvelle ne te surprendra peut-être pas beaucoup mais puisse-t-elle au moins à tes yeux justifier mon excès d’enthousiasme.
Le plus fort, mon vieux, dans cette histoire, c’est que ce ne sont pas des châteaux en Espagne. Tout est réglé et décidé maintenant. L’administration considère notre organisation avec sympathie.
Et là-dessus, Pâques approche à grand pas. Dans trois semaines, le samedi de la sortie, c’est justement le banquet de Khâgne. Ainsi, je ne rentrerai pas chez moi le samedi soir mais le dimanche matin (?)

Que te dirais-je encore de neuf ? Je suis allé mardi dernier à la piscine municipale qui est magnifique (décidément tout est magnifique !). Je me promets d’y retourner chaque semaine.
J’aime à constater que tu prends ton boulot du bon côté. Le bac approche avec une rapidité foudroyante n’est-ce pas? Déjà, sans doute, la constitution des dossiers vous donne des petites émotions ?
A bientôt
Bien à toi
Georges
Saluts amicaux à ta famille.


Apprentissage de la Musique

 

Quand on pense que cette lettre a été écrite en 1936 où on ne connaissait pas les moyens modernes qui nous permettent de mieux apprécier la musique : 33 Tours, C.D, modulation de fréquence (F.M.), que l’écoute se faisait à l’époque, comme le dit Georges avec un « phonographe » et des disques 78 tours, on imagine en effet quel enthousiasme il fallait pour réaliser ce qu’il décrit.

C’est Georges qui m’a conduit aux goûts artistiques qui embellissent la vie, c’est lui qui m’amena aux cours de l’Harmonie Municipale de Brest, où j’ai d’abord appris le solfège, puis à jouer du saxophone et à participer aux différents concerts que l’Harmonie donnait sur les places de la ville : place Guérin, place Sanquer.

Ce saxo me fut bien utile pour gagner quelque argent de poche. Je me souviens d’une sortie à Belle-lsle-en-Terre, dans les Côtes-du-Nord ; nous étions partis sept musiciens, tous issus de l’Harmonie Municipale, avec à la tête un trompettiste de talent, nommé Houbart. Nous y sommes restés trois jours, pour animer la fête locale. C’était en juillet 1939 et au retour sur Brest, nous discutions des nuages qui s’amoncelaient déjà sur le front de la Paix. En effet, deux mois plus tard, c’était la guerre.

Encore un souvenir qui me revient. En 1937, Georges et moi étions partis à Paris. C’était l’exposition Universelle. Nous avions décidé un soir, de nous rendre à l’Opéra où était donnée en concert la Neuvième Symphonie avec chœurs de Beethoven. Impossible de rentrer dans la salle, nous n’avions pas la tenue adéquate. Grande fut notre déception d’apprendre qu’une telle soirée était réservée à une « élite » bien habillée.


Les années de Lycée

 

C’est donc sur les conseils de Georges que je décidai d’entrer au Lycée de Brest. Je n’y étais pas préparé et n’avais jamais songé à cette éventualité. Pourtant, muni d’une Bourse d’externe surveillé, – de plus, les études au Lycée devenant gratuites en 1931 -, il n’y avait pas à hésiter.

C’est ainsi qu’en octobre 1931, je franchissais la porte du « Petit Lycée », rue D’Aiguillon, dont le directeur était un Faouiste, Monsieur Joseph Lavenant

Situé en plein cœur de la ville, le Lycée de garçons occupait un vaste complexe de bâtiments répartis de part et d’autre de la rue Voltaire entre la rue Jean Macé et la rue d’Aiguillon. Ancien couvent, il se composait de plusieurs hautes constructions de trois étages d’aspect sévère.

Le Petit Lycée, auquel on accédait par la rue d’Aiguillon face à la cité d’Antin, s’étendait jusqu’au Cours d’Ajot qu’il dominait d’une terrasse surélevée, aménagée en cours de récréation sans débouché s’articulant autour de deux autres petites cours sans végétation.

L’entrée du Grand Lycée, plus ancien, se faisait rue Voltaire par un portail donnant accès à une cour d’honneur exiguë entourée de galeries à arcades, plantée en son milieu d’un araucaria et garnie sur une face d’une glycine dont les fleurs mauves étaient au printemps le seul également de cette ambiance austère.
De part et d’autre de ce « point central », des couloirs conduisaient à trois cours : celles des « grands » et celle de

la préparatoire à Saint-Cyr du côté de la rue Jean Macé. Les classes, d’un accès commode, s’ouvraient directement sur les galeries où de larges couloirs étaient correctement éclairés sur l’extérieur, mais tout y était demeuré sommaire et même vétusté, certains locaux restant encore disposés en gradins avec un simple mobilier de bancs et de longues tables étroites.

L’hiver, les locaux étaient simplement chauffés au moyen de poêles-canons Godin placés au milieu des salles et dont le long tuyau s’échappait au dehors par une ouverture ménagée dans la fenêtre : chaque matin, un agent du Lycée venait allumer et remplir ces poêles.

On pouvait accomplir une scolarité complète dans ce Lycée en commençant par les classes élémentaires de dixième, neuvième, huitième, septième, en poursuivant par des études secondaires partagées entre un premier cycle (sixième, cinquième, quatrième, troisième) et un second cycle (seconde, première. Philosophie ou Mathématiques Elémentaires), au-delà desquels s’ouvraient les deux classes préparatoires à Navale et à Saint-Cyr.
Les enseignements définis par les programmes de 1931 se répartissaient entre trois filières : A (Français, Latin, Grec), A’ (Français, Latin, Sciences) la plus suivie, B (Français, Sciences, Langues).

Cette classification présentait l’inconvénient de privilégier les matières dotées d’épreuves écrites et de forts coefficients aux examens (Philosophie, Français, Latin, Grec, Mathématiques, Histoire et Géographie, Physique et Chimie) au détriment de celles qui pouvaient paraître secondaires ou qui n’apparaissaient que dans certaines sections : tel était notamment le cas des Langues vivantes réduites à l’anglais (très majoritairement enseigné), à l’allemand et à un peu d’espagnol.

En 1932, en face de treize professeurs de lettres, le Lycée n’en comptait que six d’anglais, un seul d’allemand et un seul d’espagnol. Cette formation avait par contre l’avantage de concentrer l’enseignement sur un petit nombre de matières à réflexion plutôt que de le disperser sur une masse de connaissances diffuses.

La population scolaire du Petit et du Grand Lycée était importante et croissante : de mille à douze cents dont un bon tiers de pensionnaires originaires de l’agglomération brestoise, de la presqu’île de Crozon (appelée « l’autre côté de la mer ») et de l’ensemble du Léon. La fréquentation du Lycée en 1931 ne répondait pas aux mêmes critères qu’aujourd’hui. On n’allait pas au Lycée pour devenir gendarme, comptable, commerçant ou instituteur (il y avait pour ce dernier emploi l’Ecole Normale à Quimper). Il y avait à Brest d’excellentes formations spécialisées pour conduire à ces métiers.

L’école Primaire supérieure (l’E.P.S.), qui jouxtait le Lycée du côté de la place Wilson, assurait avec le Brevet et une éducation professionnelle très correcte des débouchés honorables.

Entraient au Lycée des enfants qui avaient l’ambition d’accéder par la suite à des études supérieures, c’est-à-dire d’atteindre le niveau d’exigence des Facultés (les plus proches étant celles de Rennes) ou des grandes Écoles. L’existence à Brest des trois classes préparatoires à Navale, à Saint-Cyr et plus tardivement à l’Ecole Coloniale affirmait cette vocation.

Le Lycée était donc considéré comme un lieu de passage aussi bref que possible : quand on pouvait « sauter » une classe on en profitait allègrement, aboutissant à l’obtention du diplôme du Baccalauréat (en deux parties) qui vous ouvrait les portes de l’Enseignement Supérieur.

C’est ce qui explique qu’un seul Lycée était suffisant pour l’agglomération Brestoise. La contrainte qu’imposaient à un grand nombre d’élèves examens et concours donnait à la scolarité un caractère de gravité austère qui ne convenait pas à tous et qui créait des tensions qu’il n’était pas toujours facile d’éviter. Il régnait dans ce Lycée une domination masculine : tous les enseignants étaient des hommes et il n’y avait pas d’élèves féminins (sauf quelques très rares exceptions d’externes en Mathématiques élémentaires : on les appelait les « Matheuses »).

Elles venaient du Lycée de Jeunes Filles suivre certains cours : il n’y avait que la rue Jean Macé à traverser.

La richesse des effectifs entraînait l’existence de classes très chargées avoisinant les quarante élèves (sans parler des deux classes préparatoires à Navale et à Saint-Cyr qui atteignaient la cinquantaine). Elle imposait aussi le maintien d’une discipline relativement stricte : le Conseil de Discipline, fréquemment réuni, mettait à la porte temporairement ou même définitivement, à peu près un élève par semaine, ce qui ne faisait somme toute que moins d’une trentaine par année scolaire, pour des motifs généralement liés à des incidents survenus à l’internat.

Cette rigueur provoquait parfois des conséquences savoureuses : un élève de grande classe ayant grossièrement traité son professeur de « vieux c.. » s’était vu exclu de l’établissement, sanction dont la gravité exigeait l’aval de l’autorité académique de Rennes. Or, celle-ci renvoya le procès-verbal de la séance du Conseil de Discipline en demandant de préciser la nature des deux lettres remplacées par des points.

Le corps professoral, en grande partie formé d’agrégés, était composé de deux éléments : un solide bastion d’enseignants chevronnés qui avaient décidé de faire carrière dans ce Lycée, bien intégrés au mode de vie brestois et à ses habitudes, ainsi qu’au caractère de la population scolaire : tels étaient les Auffret (sur lequel je reviendrai), Foulon, Fremin, Gardinier, Grange, Guilcher, Lautrou, Lozach, les frères Lhostis (l’un était professeur de physique, l’autre répétiteur de l’étude surveillée de treize heures trente à quatorze heures trente, que j’étais tenu de suivre à cause de ma bourse), Messager, Muzet, Nicolas, Surirey, au Grand Lycée, mais aussi les professeurs du Petit Lycée : Guillerm, Ricordel sans oublier le sympathique directeur de ce dernier : Joseph Lavenant, tous formaient une solide armature dominée par la forte personnalité du professeur Edmond Soufflet.

Leur ancienneté et leurs qualités pédagogiques leur conféraient une relative indépendance de comportement vis-à-vis de l’autorité administrative du Proviseur. Ils bénéficiaient en outre d’une notoriété flatteuse dans la ville où certains étaient mêlés aux activités politiques et culturelles. C’était le cas de Soufflet, Foulon, Messager et de trois autres : Rabardel, Hamon et Nemo sur lesquels je donnerai plus de détails.

Le second élément du personnel enseignant était composé de jeunes professeurs, plus ou moins débutants, venus passer un an ou deux dans ce Lycée renommé avant d’atteindre l’établissement convoité d’une ville de Faculté ou de Paris.

Dans la période qui précéda la guerre de 1939-1945, les événements politiques résonnaient à l’intérieur du Lycée.


1936 : Le Front Populaire

 

1936, armée de la victoire de la gauche aux élections législatives. Mon père, adhérent au Parti Socialiste (S.F.I.O.) et à la C.G.T., m’avait communiqué sa joie de la victoire du Front Populaire. J’arrivai au Lycée, le lundi matin, tout heureux et parlai autour de moi de ce succès des forces de gauche.

Je me vis, apostrophé par plusieurs élèves, étonnés de ma satisfaction et qui eux, au contraire, faisaient plutôt triste mine. Il est vrai que, fils de notaires, médecins, commerçants, etc…, ils ne pouvaient comprendre la joie d’un fils d’ouvrier de l’arsenal, produit plutôt rare dans le Lycée d’avant-guerre.


1938 : Les Accords de Munich

 

1938, année de la signature des funestes accords de Munich entre Chamberlain, Daladier et Hitler qui livraient la Tchécoslovaquie à l’Allemagne. Je me souviens de la vision des actualités cinématographiques de l’époque. C’était au cinéma Armor à Recouvrance. Je revois encore, Neville Chamberlain et Edouard Daladier descendre de l’avion qui les ramenait de Munich et Daladier affirmant, ayant à peine mis les pieds à terre : « Nous avons sauvé la Paix pour une génération !!! »

Les élèves de la classe de Navale au Lycée se souviendront longtemps de la déclaration de leur professeur d’histoire, lors de son discours inaugural de la rentrée de 1938, après ces accords de Munich : « Messieurs, l’année prochaine vous aurez la guerre. »


Distribution des prix

 

Chaque année, aux alentours du 12 juillet, c’était la distribution solennelle des Prix, célébrée en grande pompe dans la salle des Fêtes de la Brestoise (société de gymnastique), en présence des autorités civiles et militaires sous la Présidence traditionnelle du Préfet Maritime, qui, suivi du corps professoral en robe, ouvrait la séance aux accents de la Marseillaise jouée par la Musique de la Flotte.

C’était l’occasion d’énumérer en public les nombreux succès remportés dans les divers examens et concours et surtout de remettre les prix d’honneur et de multiples volumes de prix aux meilleurs élèves.


Ma vie au Lycée de Brest

 

Comme je l’ai déjà signalé, les études dans les Lycées étaient payantes jusqu’en 1931. Cela tombait bien pour mes parents et moi, car avec la bourse « d’externe surveillé », mes études secondaires (a part un certain nombre de fournitures) ne coûteraient rien.

A onze ans, quand on entre au Lycée dans les conditions de l’époque et qu’on est fils d’ouvrier, on est un peu désarmé devant les choix proposés. À la question posée « quelle filière choisissez,vous ? », A ou B. c’est vraiment, au hasard, que ma réponse fut B.

En 1931, le choix était simple : B, filière scientifique ; A, filière littéraire avec grec et A’ avec latin.

Ayant choisi la filière B, j’allais le regretter par la suite, mais les dés étaient jetés. Étant donné mon parcours ultérieur dans l’enseignement, la filière A m’aurait été plus utile et convenait mieux à mon tempérament.

De même pour le choix d’une deuxième langue : allemand ou espagnol ; ce fut l’espagnol qui fut choisi, toujours au jugé.

Dès mon entrée au « Petit Lycée » et pendant les huit années que durèrent mes études, j’allais m’astreindre à parcourir quatre fois par jour, à pied, le trajet de la rue Le Guen de Kérangall au fin fond de Recouvrance à la rue Voltaire, à proximité du cours d’Ajot.

Les cours finissaient à midi et du fait de ma position « d’externe surveillé » je devais être de retour au Lycée à treize heures trente.

De treize heures trente à quatorze heures, c’était la demi-heure obligatoire d’étude pour bénéficier de la bourse. Je me souviens du répétiteur de cette étude, un brave homme, Monsieur L’Hostis qui avait par ailleurs un frère que j’eus comme professeur de Physique au « Grand Lycée ».

C’est dire que le laps de temps pour déjeuner à midi était très court. Il en était de même pour mon père qui travaillait à l’arsenal. La conséquence, en ce qui me concerne, fut l’habitude prise de manger vite, ce qui étonnait plus d’un, quand, par la suite, j’étais au restaurant avec des amis.

Ici, j’ai plaisir à noter que, pour échapper à cette « étude surveillée », je profitais parfois de l’existence du pont tournant, appelé le « grand pont » par contraste avec le pont Gueydon, le « petit pont », situé en contre-bas. Ces ponts reliaient Recouvrance à Brest.

Ouvrir le pont était une manœuvre laborieuse et longue. Ce travail était confié aux « vétérans » de la Marine Nationale qui sortaient des grosses perches des entrailles du Pont et les enfourchaient dans des mécanismes mis en place en même temps, et « vire au Cabestan ».

Les vétérans tournaient en rond en poussant sur leurs perches. Le pont s’ouvrait par le milieu, laissant le passage aux navires. Il fallait ensuite le refermer, ce qui prenait encore beaucoup de temps.

Dans notre cerveau de Lycéen, nous trouvions cela un peu archaïque et nous rêvions d’un procédé plus moderne. La guerre est passée par là, c’est chose faite maintenant.

Je profitais de cette ouverture du Grand Pont quand cela tombait à l’heure de rentrée au Lycée pour échapper à l’étude de treize heures trente.

Pour expliquer le retard il fallait passer au bureau du surveillant général : Monsieur Mauviel, appelé « Pisse-Raide ».

Le passage du « Petit Lycée » au « Grand Lycée », de la rue d’Aiguillon à la rue Voltaire, était pour nous un événement important. Nous avions déjà des échos qui nous parvenaient de la vie au « Grand Lycée ». Nous savions que tel professeur était craint, que d’autres se faisaient chahuter. On parlait beaucoup, par exemple, d’un professeur de français qui s’appelait Monsieur Auffret, surnommé « Fil à Voile ». Nous étions prévenus qu’en arrivant dans sa classe, il fallait observer pendant une demi-heure un silence absolu, mais au premier coup de la demi-heure de l’horloge de l’établissement, qui était très sonore, le chahut devait se déclencher au grand dam de « Fil à Voile ».

Et c’était ainsi chaque année (Je possède une photo, prise en classe par un certain Repars, où l’on voit « Fil à Voile » à son bureau).

J’ai travaillé dur dans ce Lycée et j’ai réussi chaque année à dépasser la moyenne, ce qui m’a évité de redoubler et m’a permis d’arriver normalement à 17 ans à l’épreuve du Baccalauréat première partie, à l’issue de la classe de Première.

Ayant passé cette première partie avec succès je pouvais aller en terminale, c’est-à-dire la classe de Mathématiques Elémentaires, dite « Mathélem ».

Cette classe admettait quelques jeunes filles venues du Lycée féminin.

Ce fut une année difficile. J’arrivai en juillet 1938 à l’épreuve du Baccalauréat de Mathématiques Elémentaires. J’avais trouvé ma composition médiocre. Cependant me rendant au Lycée de la rue Voltaire pour prendre connaissance des résultats qui y étaient affichés, je vis mon nom sur la liste ! Je rentrai tout heureux en informer mes parents.

Le lendemain matin, une autre surprise, désagréable celle-là, m’attendait. Mon père, la « Dépêche de Brest » à la main, me réveilla en disant qu’il ne voyait pas mon nom sur la liste des admissibles. Rapidement, je me rendis au Lycée. Effectivement sur la liste de la veille mon nom était barré ; il y avait eu une erreur d’homonymie.

Force me fut de redoubler la classe de Mathématiques. En juillet 1939, j’avais enfin mon Baccalauréat complet.

À cette époque, l’oral se passait à Rennes. Il n’y avait pas d’université à Brest. Tôt le matin, c’était le départ, par train. Durant le voyage, nous avions le temps d’imaginer les questions qu’on pourrait nous poser. L’arrivée à Rennes, l’attente le long de la Vilaine, devant les bâtiments froids et sévères des Facultés, tout cela nous angoissait énormément. Venaient les interrogations, devant des professeurs que nous ne connaissions pas et qui nous impressionnaient d’autant plus.

Le soir, après l’annonce des résultats, c’était la joie, les défilés dans les rues de Rennes, les bolées de cidre (à 0,50 Franc) dans les estaminets avant de reprendre le train pour Brest, avec au cœur la hâte d’informer les parents.


Souvenirs de quelques professeurs du lycée de Brest

 

Guillaume Messager : Militant socialiste à Brest, Guillaume Messager s’est beaucoup impliqué dans la vie de la Cité. Dans son Parti (S.F.I.O.), il s’est montré très unitaire avec le Parti Communiste qu’il a souvent critiqué, mais aux moments difficiles il a toujours prôné l’alliance PS-PC qu’il assurait être la seule tactique efficace. C’est ainsi qu’en 1935, il se prononce fermement pour cette alliance aux Élections Municipales, ce qui lui vaut au second tour, d’être un des trois élus de gauche du Conseil Municipal de Brest.

En février 1940, Guillaume Messager témoigne de son inquiétude sur la façon dont est menée la guerre contre l’Allemagne. Il rejoindra la Résistance et fera partie de la délégation spéciale qui administrera Brest au lendemain de la Libération.

Charles Foulon : également militant socialiste à Brest, Charles Foulon était né à Marseille le 19 août 1912. Je l’ai connu comme professeur de Français au Lycée où il exerça de 1933 a 1941. (Il avait dans ce même Lycée, un frère, professeur de gymnastique).

Il était entré au Parti Socialiste (S.F.I.O.) en 1934, secrétaire des jeunesses Socialistes de 1935 a 1940. Il milita également au sein de la Ligue des Droits de l’Homme dont il fut, un temps, trésorier départemental.

Résistant dans les rangs de « Libération Nord », il fut incarcéré à Angers et Fresnes en 1942. Libéré, faute de preuves, il revint dans le Finistère au maquis de Scrignac où sa femme était infirmière. Membre fondateur du premier P.S.U. (pas celui de Rocard), il milita de 1948 à 1960.

Comme Guillaume Messager, Charles Foulon fut à Brest un des socialistes les plus unitaires. Il se fit estimer des militants ouvriers qui eurent à le connaître.

Décédé à Rennes le 13 février 1997 à l’âge de 84 ans.

Louis Rabardel : Né en 1911 dans les Côtes-du-Nord, Louis Rabardel était issu d’une famille de militants qui comptait parmi les fondateurs du Parti Communiste Français dans ce département.
Il arrive comme professeur au Lycée de Brest en 1935 où il adhère à la cellule locale et devient rapidement secrétaire brestois du mouvement « Paix et Liberté », grand mouvement pacifiste de l’époque.
Louis Rabardel a été un des organisateurs des grandes manifestations du Front Populaire en 1936 puis celles du 14 juillet 1937, 1938 et surtout la dernière, le 14 juillet 1939 à laquelle j’ai participé, et qui après quelques hésitations, (nous étions peu nombreux au départ), s’ébranla pour descendre la rue Jean Jaurès jusqu’à la place Wilson. En cours de route, les indécis sur les trottoirs s’étaient joints aux manifestants. Sur le rebord du kiosque à musique, Louis Rabardel prit la parole pour féliciter ceux qui avaient eu le courage de participer au défilé.
Je me souviens encore de lui, quand au moment de la guerre d’Espagne, juché sur un muretin, près de la grande Poste, sur les Glacis, il exhortait les Brestois à se mobiliser pour soutenir la République espagnole et dénoncer la « non intervention ».

Louis Rabardel participa activement à la Résistance et finit comme lieutenant-colonel F.T.P.
Il épousa la fille d’un député socialiste allemand. Heinrich Koenig, réfugié dans le Lot-et-Garonne et qui participa lui aussi à la Résistance, qui fut arrêté par la police française, livré aux Allemands et mourut sous la torture à Bochum, sa ville natale.

Après la Libération, Louis Rabardel, professa au Lycée Condorcet à Paris.

Marcel Hamon : Né le 14 avril 1908 à Plufur, dans les Côtes-du-Nord lui aussi, Marcel Hamon est arrivé au Lycée de Brest en octobre 1930 comme répétiteur. Il adhère au Parti Communiste Français en janvier 1934. Après un court passage à Pantin d’octobre 1934, à octobre 1935, il revient à Brest comme professeur de français. J’ai suivi ses cours pendant un an. Je me souviens de lui comme d’un professeur exigeant sur le plan du travail.

Entré dans la Résistance, Marcel Hamon était connu sous le nom de « Colonel Courtois ».

Après la Libération, il est élu député des Côtes-du-Nord de 1945 à 1951, puis de 1956 à 1958. Il fut aussi Maire Communiste de Plestin-les-Grèves et conseiller général des Côtes-du-Nord.

Louis Nemo : Pendant un an, j’ai eu comme professeur d’anglais ce Nemo. Je me souviens d’un professeur assez effacé et se faisant passablement chahuter.

Ce que je ne savais pas, c’est qu’il faisait partie du mouvement autonomiste breton « Breiz Atao » ce qui l’amena à produire des pamphlets violemment antisémites et à collaborer activement avec les nazis. Il prit le nom de Roparz Hemon. je possède toujours la Grammaire Bretonne écrite par lui sous ce pseudonyme, éditée en 1941 par Skridou Breizh (Grammaire très bien faite par ailleurs). À la Libération il partit en Irlande où il mourut en 1978. Il est enterré à Brest.


Entrée dans l’éducation nationale

 

Je savais qu’à l’issue du Baccalauréat, un certain nombre de Lycéens ne pouvant aller en Faculté à Rennes, préféraient passer dans la foulée des concours administratifs : contributions, douanes etc…

En 1938, c’eût été possible pour moi. Mais hélas, en septembre 1939, c’était la guerre et les concours étaient supprimés. Alors, que faire ?

Il se trouvait que, par suite de la mobilisation, des postes devenaient disponibles dans l’enseignement. Je me résolus donc à faire une demande à l’Inspection Académique.

En date du 14 octobre 1939, je recevais une délégation pour assurer un service d’intérimaire, à partir du 16 octobre, à l’école Primaire de garçons de Concarneau.

Que faire dans une classe de cours moyen, avec son Baccalauréat en poche, mais sans aucune préparation à ce métier délicat de pédagogue. J’étais entré dans l’éducation nationale comme on s’engage dans la Marine.

C’est à Concarneau que j’allais toucher, à la Perception, mon premier traitement d’Instituteur : 763 francs.

Après quelques jours passés à l’hôtel, j’allais avoir une chance inouïe. Le directeur de l’école primaire, pour m’aider, me suggéra d’accepter une place de surveillant au collège. Après quelques études surveillées le soir (il y avait un pensionnat), je pouvais bénéficier de la nourriture et du coucher, ce qui me faisait une économie sérieuse. J’acceptai, bien entendu.

Hélas, cette chance n’allait pas durer. J’étais intérimaire et, à l’époque, l’Inspection Académique pouvait vous « balader » d’un bout du département à l’autre.

En date du 25 novembre 1939, je recevais une note très courte : « par nécessité de service, je suis dans l’obligation de vous relever de vos fonctions d’intérimaire à Concarneau. Ci-joint une nouvelle nomination.» Un nouveau poste m’était désigné : Le Trévoux. C’était tout près de Quimperlé, ce qui m’éloignait encore plus de Brest. J’allais y enseigner du 26 novembre 1939 au 9 mai 1940.

Je trouvai au Trévoux une pension bien agréable, pas chère où j’étais soigné « aux petits oignons ». Je me souviens que la dame qui la tenait, faisait office de préposé aux P. T. T.. Pendant l’hiver, j’avais attrapé une bonne grippe ; elle m’apportait le soir une infusion bien chaude.

Cependant là encore, mon séjour allait être de courte durée.

En date du 9 mai 1940, je recevais de l’Inspection Académique, une nouvelle nomination pour le Cours Complémentaire de Plogoff, chargé de l’enseignement des Maths. J’allais connaître à Plogoff, une belle parenthèse. J’étais tout près de la pointe du Raz et je m’y rendais souvent pour admirer le coucher du soleil. Je connus à Plogoff ma première aventure féminine et j’en garde un bon souvenir. C’était la sœur d’un de mes élèves. Il y eut un prolongement inattendu. Alors que j’étais mobilisé à La Rochelle, je reçus une lettre qu’elle m’expédiait de La Turballe, en Loire Inférieure ; c’était le 3 juillet 1940. J’ai connu Plogoff sans courant électrique, je faisais mes corrections, dans ma chambre d’hôtel, à la lampe à pétrole.

C’est à Plogoff que j’ai reçu mon ordre de mobilisation qui m’amena sur le coup de midi à boire avec quelques amis et pour la première fois un pernod.

Je regagnai Brest d’où je partais le 9 juin pour rejoindre La Rochelle.

De juin 1940, à janvier 1941, j’ai noté sur un vieux carnet, dont une partie avait servi à prendre des résumés de cours de maths du temps où j’étais élevé au Lycèe de Brest, les différentes étapes de mon périple à travers la France.

J’en donne ici un résumé, et je tiens surtout à relater un événement tragique survenu dans la nuit du 6 au 7 octobre 1940.


Juin 1940 – Mobilisation

 

Parti de Brest par le train de deux heures quarante, j’arrivais à La Rochelle à seize heures quarante. Nous étions plusieurs appelés dans ce train. Accueillis à la gare, nous fûmes conduits directement à la caserne Mangin. Nous sommes restés cinq jours avec nos habits civils avec lesquels nous allions creuser des tranchées sous l’œil étonné des passants. Ce n’est que le 14 juin que nous furent remis : calot, souliers, treillis. La vie va se dérouler, monotone, entrecoupée d’alertes, de nuits passées dans les tranchées, jusqu’à l’arrivée des Allemands, le dimanche 23 juin 1940. Six jours avant, le 17 juin, attablés à un café de La Rochelle, nous avions entendu, à douze heures trente, le Maréchal Pétain, annoncer d’une voix tremblante l’Armistice, et nous avons vu pleurer autour de nous des soldats venant du Front.

Il faut dire que nous, jeunes appelés, nous étions désemparés, livrés à nous-mêmes, les officiers ayant disparu dans la tourmente.

Nous sommes restés dix-huit jours prisonniers des Allemands. Nos camarades casernés à Saint-Nazaire et faits prisonniers, sont partis pour l’Allemagne. Notre sort fut plus heureux car le mercredi 10 juillet à trois heures du matin ce fut l’embarquement dans des camions allemands qui nous véhiculèrent jusqu’à Roumazières en Dordogne.

De douze heures trente à vingt trois heures, un train nous amena dans un coin perdu entre Sarlat et Périgueux. Nous étions versés dans les chantiers de jeunesse de Pétain. C’est en Dordogne que je fis la connaissance de Daniel Trellu avec qui j’ai vécu pas mal d’aventures par la suite.

Nous sommes restés en Dordogne jusqu’au samedi 14 septembre, date à laquelle, à nouveau un train nous fit traverser la France pour nous rendre dans l’Ain. Passant Bourg-en-Bresse, c’est dans la petite commune de Simandre-sur-Suran qu’on nous installa, d’abord dans une école, puis dans un camp éloigné du bourg.

Nous étions cinq Brestois. Avec moi, il y avait : Claude Le Goff, fils de commerçants qui tenaient le magasin de tissus « Le Goff-Breton » de la rue Jean-Jaurès, Alain Le Gall, Emile Philippot qui jouait au foot à la Légion Saint-Pierre, Jo Quéran de l’Etoile Saint-Laurent. Claude Le Goff, ayant fait de vagues études de médecine à Rennes, devint chef-infirmier et me désigna comme adjoint. Daniel Trellu était devenu chef des écuries. Football, théâtre, musique étaient nos occupations favorites. Cependant un drame terrible venait endeuiller notre séjour dans le chantier de jeunesse numéro 3 dans la nuit du 6 au 7 octobre 1940.


Dimanche 6 octobre 1940

 

Ce matin, deux équipes de sixte s’en vont pour Saint-Etienne-du-Bois. je pars avec elles emportant quelques médicaments. Pris le train jusqu’à tknirg-En-Bresse et de là, conduits en camion jusqu’à Saint-Etienne-du-Bois.
Pas de veine au tournoi. Notre équipe A se fait battre 2 à 1 après prolongation, par le vainqueur du tournoi. Notre équipe B, avec un bon premier match 5 à 0, subit un échec 3 à 1 devant l’autre finaliste.

Dînons après ces matchs à Saint-Étienne. Nous nous amusons très gentiment et repartons sur le coup de dix heures à pied, (pas d’autres moyens de locomotion), vers Simandre, à douze ou treize kilomètres.

Marchons d’un bon pas jusque non loin de Treffort où nous nous reposons dans une ferme, d’autant plus que certains avaient mal aux pieds.

Or, c’est ici que commence le drame. Le fermier nous offre un tas de paille sur lequel nous montons illico pour nous coucher et, aussitôt allongés, pour nous endormir.


Lundi 7 octobre 1940

 

Le lendemain matin, cinq heures trente. Le Goff nous réveille afin de partir au plus tôt pour Simandre. Mais ici, un fait, qui restera gravé dans ma mémoire, va tous nous confondre. En effet, Quenard, qui était descendu un des premiers, nous lance ce cri, à nous qui étions toujours en haut : « Maleyrot est mort !»

Maleyrot dormait avec nous sur le tas de paille. Il est tombé dans son sommeil et est mort avec le « coup du lapin », son cou ayant heurté violemment un timon de charrette.

Maleyrot était le goal de l’équipe A, un camarade sympathique et costaud. Mais nous nous contentions de sourire, croyant que ce brave Quenard se trompait. Nous ne pouvions croire à une telle mort, ayant été toute la journée avec Maleyrot. Nous descendîmes cependant et nous constatâmes qu’en effet ses mains et son visage étaient froids.

Nous le conduisîmes au plus vite à la ferme, bercés par un espoir, car son corps était encore tiède.

Là nous le déshabillâmes, le frictionnant, pour tenter, comme des fous, de le ramener à la vie.

Hélas, rien n’y faisait.

En fin de compte, nous partîmes chercher le médecin de Treffort qui mit fin à tous nos espoirs en nous disant qu’en effet, Maleyrot était bien mort.

Quel coup ! Le Goff resta près du corps. On prévint les autorités compétentes et nous reprîmes tristement, sans un mot, le chemin de Simandre.

Le soir, le corps de Maleyrot arrivait, déjà en bière. Son cercueil était installé dans l’infirmerie, recouvert du drapeau national. Et tous, nous défilâmes devant Jacques Maleyrot qui nous avait quittés pour toujours.

Dans ces notes de « guerre », il manque évidemment beaucoup d’événements qui me sont revenus en mémoire par la suite.

En arrivant à la caserne Mangin à La Rochelle, il nous fut imposé une épreuve de connaissances comme au certificat d’études :

Une dictée, une rédaction (lors de votre arrivée, vous avez rencontré un train de réfugiés. Dites vos impressions. Résolutions) et quatre opérations.

Épreuve que je fus amené à corriger par la suite avec d’autres collègues.

De ce que ma mémoire a retenu, quelques faits qui m’ont particulièrement frappé.

Il faut croire qu’être Instituteur en juin 1940 n’était pas une situation particulièrement bien vue des officiers ou sous-officiers de la caserne.

Au premier « interrogatoire« d’un maréchal des logis sur le degré de nos connaissances le dialogue suivant s’installa Quels sont vos diplômes ? Avez-vous le certificat d’études ?

Ma réponse :   Non.

Étonnement du sous-officier.

– Qu’avez-vous alors ?

– Le baccalauréat. (Je venais d’être reçu en juin 1939 et je précisais que je venais de faire quelques mois d’enseignement).

Est-ce le même « margi » qui vint un soir dans la chambre demander si quelqu’un connaissait l’anglais

Bien entendu, je me déclarai, d’autant plus qu’ayant vécu quelques semaines à Brest avec des Ecossais fraîchement débarqués dans la ville et que l’on rencontrait le soir dans les bistrots de la rue de Siam, je parlais assez correctement cette langue.

Je croyais que c’était pour la bonne cause ; nous étions à la veille de la grande débâcle.

Le lendemain matin, on m’expédiait aux écuries nettoyer autour des chevaux.

Heureusement pour moi, des camarades de chambrée, paysans bretons venus avec moi à la « corvée », me dirent, voyant ma crainte d’approcher des chevaux, de rester tranquille et qu’ils feraient le boulot.

Je n’avais pas oublié cette « vexation », quand, le 20 juillet 1940, en Dordogne, on fit appel à quelqu’un connaissant l’espagnol. J’hésitais avant de me prononcer. Cette fois-là ce fut pour effectuer un bon travail avec les réfugiés espagnols chargés du ravitaillement.

Le 27 juin 1940, jour où les Allemands sont venus prendre les armes au dépôt, cela m’a rappelé les soldats arrivant du « front » avec des chaussures usées, rafistolées et demandant en échange une paire neuve avant de continuer la route et à qui il était répondu invariablement « non ».

Les Allemands, eux, en ouvrant le magasin, embarquèrent dans leurs camions : armes, chaussures, vêtements.


Passage de la ligne de démarcation

 

Janvier 1941

C’est la fin de la période des « Chantiers de Jeunesse » pour les appelés de juin 1940. C’est le retour « régulier » vers les familles de zone occupée.

Pas pour tous, puisque Daniel Trellu (rencontré en Dordogne et qui deviendra lieutenant-Colonel Chevalier dans la résistance) et moi, nous décidons de rester dans ce camp de Simandre-sur-Suran où nous avions vécu quatre mois.

Daniel est instituteur, sorti de l’Ecole Normale de Quimper ; j’ai commencé des suppléances dans l’enseignement en septembre 1939 (à Concarneau, Le Trévoux et Plogoff).

Nous demandons à partir pour le Maroc avec l’espoir d’y enseigner.

Seuls, dans les baraques en bois du camp, ayant pour unique occupation les soins aux chevaux, nous attendons les réponses à nos demandes de postes d’enseignants au Maroc. Elles nous parviennent rapidement. Un poste d’instituteur au Maroc, c’est possible, mais il faut attendre la rentrée de septembre. C’est un peu long. N’empêche, on se débrouillera d’ici là.

C’est alors qu’intervient un événement qui bouleversera nos plans.

Le jeune frère de Daniel, (qui périra plus tard, comme aviateur pendant la guerre), arrive de Quimper. Il vient lui demander de revenir dans le Finistère pour « raisons familiales ». Daniel se laisse convaincre.

Mais retourner en zone occupée : Comment ?

Nous ne sommes plus en règle, nous n’avons pas de laissez-passer. Le jeune frère nous rassure. Il a bien franchi la ligne de démarcation, clandestinement, de zone occupée en zone libre. Nous repasserons par le même chemin.
Ce chemin se situe dans le département de la Haute-Vienne. Il a été jalonné par un brave curé de campagne : le curé de Châtain.

Nous décidons de quitter Simandre au petit matin, de passer par Lyon (on y vendait des corbeaux sur la place du marché), et de regagner la commune de La Geneytouze, à la limite de la ligne de démarcation.

Le curé de Châtain a fait admettre aux Occupants qu’il administre deux paroisses, et qu’il est dans l’obligation de franchir la ligne chaque jour ou presque, pour servir ses paroissiens.

Et c’est ainsi qu’il fait passer, presque quotidiennement, de zone occupée en zone libre, ceux et celles qui fuient l’Occupation allemande. Et aussi du courrier (mais j’en parlerai plus loin).

Nous voilà donc à La Geneytouze. Nous rencontrons quelques paysans qui nous dissuadent de vouloir franchir la ligne. D’après eux, la surveillance se renforce, les Allemands sont de plus en plus méfiants et organisent de nombreuses patrouilles avec chiens policiers.

Un peu inquiets tout de même, nous entrons dans le café du village. Là-bas, au loin, nous avons aperçu, tout au bout de la route nationale, le poste de contrôle des Allemands. Plus près de nous, celui de la gendarmerie française.

Au comptoir du café, le curé de Châtain est là, en soutane, avec des jeunes qui viennent de franchir la ligne, grâce à lui. Reconnaissant le frère de Daniel, il nous rassure de suite : « Ce soir, vous coucherez en zone occupée ».

Tout à coup surgit un capitaine de gendarmerie français. Il vient droit à notre abbé et lui murmure à l’oreille

« Vous pouvez y aller. La patrouille vient d’avoir lieu. »

Sans attendre, nous nous mettons en route, bien entendu par un chemin différent de la Nationale.

Passant devant un poste de contrôle français sur ce réseau secondaire, nous bénéficions d’un amical salut des gendarmes. Sitôt passé le poste, le curé nous confie :

« Nous sommes dans le « No man’s land ». Si nous sommes pris ici, notre compte est bon. Un seul ennui aujourd’hui et cela va nous retarder : je suis venu à pied et j’ai un certain nombre de paroissiens auxquels j’ai promis de rendre visite.»

Il faut savoir qu’ordinairement, le curé de Châtain circulait en 201 Peugeot, ce qui lui faisait gagner du temps. Et surtout lui permettait de passer du courrier dans les deux sens.

Bref, de ferme en ferme, et après avoir bu quelques verres de « remontant », nous voilà, à la nuit tombante, tout près d’une rivière enjambée par un petit pont de bois.

Du lieu ou nous nous trouvons, le curé nous dit :

– « Vous voyez, ce pont ; vous allez longer cette prairie et passer le pont. Une fois franchi, vous serez en zone occupée, vous trouverez asile dans la première ferme sur votre droite. Quant à moi, je vais continuer ma route et passer devant le poste allemand qui se trouve au-delà du sommet de cette côte. Nous nous reverrons demain matin, si tout se passe bien »

Et tout s’est bien passé. Ce soir-là, nous avons couché dans la ferme au-delà du pont. C’est comme si nous y étions attendus : un bon civet de lapin, des draps bien frais dans un excellent lit. Et un sommeil réparateur.

Le lendemain matin, fidèle à sa promesse, le curé était parmi nous, nous proposant de passer à son presbytère avant de reprendre la route vers la gare la plus proche.

Le presbytère de Châtain, en cette matinée de janvier 1941 !

Je revois encore la grande salle donnant sur la cour où déambulaient les officiers allemands.

Un jeune homme s’affairait dans cette salle à ouvrir les enveloppes adressées à « Monsieur le Curé de Châtain ». A l’intérieur, une autre enveloppe avec une adresse en zone libre et parfois un billet de banque pour le curé.

« Je dis pourtant à mes correspondants de ne pas mettre d’argent ! »

C’est cette correspondance que le curé passait en fraude sous le châssis de sa voiture.

Un verre de vin blanc pour trinquer et l’abbé nous presse de quitter au plus vite la commune. Nous repartons, à pied, en direction de la gare, distante de quelques kilomètres.

Mais voilà, l’ami Daniel avait dans le secteur, un camarade d’École Normale. Il fallait bien aller le voir, d’où une visite imprévue à ce camarade et un retard inévitable.

Après avoir repris des forces, grâce à un bon casse-croûte, nous nous retrouvons à nouveau sur la route.

Soudain, un bruit de moteur, nous nous retournons :

c’était la 201 du curé de Châtain.

– « Vous êtes encore là. Grimpez dans la voiture et dégageons au plus vite. Les Allemands se doutent de quelque chose. Une descente a eu lieu ce matin à la poste de Châtain. »

L’homme était visiblement inquiet. Il nous conduisit rapidement à la gare. Direction : Poitiers, Le Mans, La Bretagne.
Qu’est devenu le curé de Châtain ? Le département de la Haute-Vienne en a-t-il gardé le souvenir ?
Autant de questions que je me pose encore aujourd’hui.


En guise de conclusion sur cet épisode de Simandre-sur-Suran

 

Les 7 et 8 juillet 1972, se tenait à Bourg-en-Bresse, l’Assemblée Générale de la Ligue Française de l’Enseignement. J’y participais en tant que délégué de la Fédération des œuvres Laïques du Finistère.

Le 8 juillet dans l’après-midi, j’abandonnais l’Assemblée Générale pour un « pèlerinage » à Simandre-sur-Suran. Je prenais le train à la gare de Bourg-en-Bresse qui me permit de descendre à la halte de Simandre. Il n’y avait plus la gare classique que nous avions bien connue durant l’hiver 1940-1941, avec son sympathique chef. Mais une simple halte.

Quittant la halte, je suivais la rue principale qui me menait au restaurant Tissot, là où Claude Le Goff, lors de son arrivée d’argent frais de Lyon, nous offrait, aux cinq Brestois, un repas qui nous changeait de l’ordinaire de la roulante.

Il faisait chaud. J’avais soif. Je commandais une bière.

A la jeune serveuse, je demandai si Monsieur Tissot était toujours le propriétaire du restaurant. Elle me répondit que oui et alla chercher son patron.

Tout étonné de trouver là, venu de Brest, un ancien du chantier de Jeunesse de Simandre, ce brave Monsieur Tissot eut les larmes aux yeux au récit de nos souvenirs communs. Il se rappelait bien l’équipe de football, lui qui était un ardent supporter et qui avait prêté un terrain pour la pratique de ce sport, de Claude Le Goff qui lui rendait, après la guerre, de temps en temps, quelques visites. En repartant, après cet émouvant contact, je me rendais jusqu’à l’emplacement de ce qui fut notre chantier de Jeunesse. J’y reconnaissais quelques signes et notamment quelques traces de dalles en ciment, soubassements de nos baraques.N’ayant aucune idée des horaires des trains devant me ramener à Bourg-en-Bresse, je décidais de repartir à pied.

Il faisait de plus en plus chaud. Je tombai la veste. J’étais heureux.

Par la départementale 98, je rejoignais la départementale 936, (voir la ligne rouge sur la carte). Les gens travaillaient dans les champs, je les saluais au passage.

J’étais loin de l’Assemblée Générale de la Ligue de l’Enseignement où, à ce moment précis, le Président Faure soutenait une motion qui soulevait, je le sus à mon arrivée, pas mal de passions.

Arrivant sur la départementale 936, je commençais à me sentir à l’étroit dans mes souliers. Mes pieds s’échauffaient, d’autant plus que la route étroite et la circulation dense m’obligeaient à marcher sur la berme.

J’aurais bien voulu trouver un automobiliste compatissant et voilà… le hasard fait bien les choses.

Sortant d’un champ, une 4CV s’arrête, un homme en sort. Me voyant traîner la jambe, il se propose de me conduire à Bourg-en-Bresse où il se rend lui-même.

Et, curieuse coïncidence, c’était lui aussi un ancien des chantiers de jeunesse de 1940-1941. Lorrain, il était resté dans la région, s’étant marié à une Bressane.

Que de souvenirs à évoquer en commun, tout cela devant une bonne bière qui me récompensait de cette longue marche qui laissa incrédules les camarades de la Ligue de l’Enseignement, que je retrouvais attablés à la terrasse d’un café, à l’issue de l’Assemblée Générale.


Janvier 1941 : Retour à Brest

 

Après avoir franchi la ligne de démarcation, zone libre-zone occupée, en Haute-Vienne, Daniel Trellu et moi, nous nous séparons à la gare du Mans : lui vers Quimper, moi vers Brest.

L’arrivée à Brest se fait dans la joie des parents retrouvés. Quelques jours de repos et il me faudra bien penser à trouver du travail.

L’Inspection Académique contactée ne peut me reprendre, car je suis toujours suppléant. Que faire ?

Par chance, j’obtiens quelques tuyaux. Les entreprises françaises se sont « adaptées » à l’occupation allemande. La firme Bergtcamp est l’alliance de l’Allemand Berger et du français Campenon. Il est possible de s’y faire embaucher dans les bureaux situés à Laninon, près de la base sous-marine.

Du travail de secrétariat, cela me convient. Par des camarades du Lycée déjà dans la place : Le Page, Plantec, me voilà dans un bureau à établir les feuilles de paie des ouvriers travaillant dans cette base sous-marine.

Il y avait aussi une restauration dans l’entreprise et des femmes y travaillaient. Une d’entre elles me plut particulièrement par sa gentillesse et son sourire. Elle s’appelait Marie Gouez, nous l’appelions Mimi et nous eûmes le bonheur de nous fréquenter pendant plusieurs mois.

Ce bonheur dura jusqu’à ce que je découvre dans la « Dépêche de Brest » l’annonce d’un concours de « Contrôleur des douanes », concours que je n’avais pu passer en 1940 à cause de la guerre. Je me remets à travailler, par correspondance, à la maison, pour préparer ce concours que j’allais passer à Saint-Brieuc. Malheureusement, c’était l’échec.

Cette coupure dans ma vie me sépara un temps de Marie Gouez puis ce fut ma rupture définitive.

Marie avait une amie corse que désirait fréquenter Maurice Le Page qui travaillait avec moi à l’entreprise Bergtcamp et que je connaissais depuis toute ma jeunesse passée à Recouvrance.

Il nous arrivait de sortir tous les quatre. Un jour, Marie et son amie corse me firent savoir qu’elles voulaient continuer à me fréquenter mais pas Maurice Le Page. Ne voulant pas rompre mon amitié avec ce dernier, je cessais de rencontrer celle pour qui je gardais dans mon coeur tant de précieux souvenirs.

À la suite de l’échec au concours des Douanes, je me retrouvais à nouveau dans un bureau, mais cette fois-ci en pleine ville, rue de Gasté. Il m’arrivait parfois d’apercevoir furtivement Marie qui travaillait, elle aussi, non loin de là. Ce n’était pas sans émotion.

J’ai appris quelques années plus tard son décès.


1942 – Nouveau départ dans l’Éducation Nationale

 

Je reçois de l’Inspection Académique une lettre en date du 08/10/1942 :

« Je vous serais obligé de bien vouloir me faire connaître par retour du courrier si vous êtes toujours à ma disposition pour exercer des fonctions d’enseignement.

Il me serait possible dès maintenant de faire appel à vos services. Vous êtes toujours inscrit sur notre registre du personnel auxiliaire. Depuis quelle date êtes-vous libéré du service militaire ?»

C’était la bonne nouvelle que j’attendais. J’acceptais sans hésiter. Mais je fus dans l’obligation de demander un mois de délai, à cause du préavis dû à mon employeur. Malgré l’insistance de mes « patrons » pour me garder, je quittais un emploi où je gagnais 4000 francs par mois pour retrouver une classe où j’atteignais à peine 1800 francs, car là était mon avenir ; c’est ce que je fis savoir à mes employeurs.

En date du 3 novembre 1942, ma nomination arrivait pour l’école de la Communauté à Brest. Il y était précisé que j’assurerai le service « provisoirement » en qualité d’intérimaire, dès que possible et qu’il s’agissait d’une réouverture.

Curieuse coïncidence : j’allais retrouver l’école où j’avais été scolarisé jusqu’à l’âge de onze ans, âge où je passais le concours des Bourses qui me permettait d’entrer au Lycée de Brest.

Le « provisoire » dont parlait la convocation de l’Inspecteur d’Académie n’allait pas durer longtemps.

La classe de fin d’études m’était confiée, c’est-à-dire la classe des « grands « , et ceci allait avoir une certaine importance pour l’événement qui va suivre.


1943 – Bombardements américains

 

Nous étions fin 1942. début 1943 à l’époque ou Brest subissait les bombardements les plus violents des Forteresses Volantes Américaines. Cela se passait le plus souvent en plein jour. Je revois encore, un beau samedi après-midi, par la fenêtre grande ouverte, le beau ciel bleu. Et brusquement l’alerte.

Aussitôt c’est le rendez-vous des classes dans 1a cour de l’école afin de diriger au plus vite maîtres et élèves vers l’abri le plus proche. Celui de la rue de la Porte.

Bien entendu d’abord les cours préparatoires, puis les cours élémentaires et les cours moyens. Ma classe était la dernière à partir. Mais déjà les bombes pleuvaient, impossible d’atteindre la rue de la Porte. Sous cette « pluie de fer et de feu », je me réfugiai avec mes élèves sous le porche d’un charbonnier dans le bas de la rue Vauban, attendant que l’orage passe.

Ces bombardements américains me ramènent à ceux qui, quelques mois auparavant, étaient l’œuvre des aviateurs anglais de la R.A.F. Ils arrivaient, eux, de nuit et visaient en rase-mottes la base sous-marine de Laninon où étaient les cuirassés Scharnhorst et Gneisenau. Ce qui se produisait également à la Pointe de l’Armorique, où, soit les cuirassés, soit des leurres, étaient amarrés aux caissons en ciment, mis en place par l’organisation Todt, appelés « ducs d’Albe », encore visibles aujourd’hui.

Rue Le Guen de Kerangall, où j’habitais avec mes parents, l’abri était tout proche, dans ce que nous appelions la « Poudrière », espèce de monticule sur les remparts de Recouvrance. Il m’arrivait parfois, mes parents étant à l’abri, de demeurer à ma fenêtre regardant les balles traçantes de la DCA allemande : véritable feu d’artifice. Je n’éprouvais aucune frayeur, contrairement aux sentiments que j’éprouvais avec mes élèves au bas de la rue Vauban.

Il me souvient qu’un jour de bombardement américain, l’alerte ayant été déclenchée, ma mère et moi nous quittions l’appartement de la rue Le Guen de Kerangal! pour nous rendre à l’abri. A peine l’escalier descendu, les bombes pleuvaient. Nous nous serrons dans l’encoignure de l’entrée : « cette fois-là, on va mourir », me dit ma mère. « Rassure toi, maman, tant qu’on entend le sifflement des bombes, elles ne sont pas pour nous. » Effectivement, mais quel spectacle dehors : maisons effondrées, cratères géants. Dans ces conditions, il était impossible de faire fonctionner les écoles dans Brest. L’ordre fut donné d’évacuer les élèves vers les écoles de campagne.

Nous étions en février. Une note de l’Inspection Académique m’informait que l’épreuve écrite du C.A.P. aurait lieu le 11 février, de treize heures à seize heures, à l’école de la Place Sanquer ; premier pas vers la titularisation et le 18 février j’étais informé que j’avais été déclaré admissible à l’épreuve écrite.

Entre temps, j’effectuais un remplacement de quinze jours, à Kersaint-Plabennec, commune rurale du Nord Finistère. Je m’y rendais à vélo, mais étant donné la situation, je préférais demeurer la semaine dans la commune. Trouver une chambre à Kersaint-Plabennec où l’école laïque n’était pas en odeur de sainteté, n’était pas chose facile. Il m’était signalé que seule une vieille dame osait héberger un instituteur laïque, dans cette bourgade où au restaurant, de la salle où je déjeunais en solitaire, je voyais les autres convives et les tenanciers réciter le bénédicité avant de manger.

Devant la fréquence des bombardements américains, mes parents ayant une maison au Faou, nous décidâmes de quitter le numéro 4 de la rue Le Guen de Kerangall. C’était au début de mars 1943.


Visite de la Gestapo

 

L’appartement de la rue Le Guen de Kerangall !

II m’arrive encore de le revoir en songe, et de me souvenir d’un événement qui risqua de nous coûter cher. Un beau matin de 1942, la Gestapo nous y rendit visite.

Mon père travaillait à l’Arsenal de Brest, face à la Pointe des Espagnols. Un samedi, alors que nous l’attendions pour souper, il n’arriva pas. Je m’inquiétais près de son patron, dirigeant une entreprise de peinture. Il me répondit que mon père avait été arrêté et incarcéré à la prison de Pontaniou. Il me dit que son cas était assez grave. En tout état de cause, il me signala que j’avais intérêt, si j’avais des documents compromettants, à les faire disparaître, car il y aurait une enquête.

Nous avions imaginé qu’il avait été pris écoutant la radio anglaise : c’était un de ses « passe-temps ». Il notait les informations sur un petit bout de papier de façon à les faire connaître autour de lui.

En fait, il ne s’agissait pas de cela. Au moment de la pause du repas de midi, il s’était assis face à la rade afin de dessiner ce qu’il voyait pour nous montrer ensuite le croquis

Deux marins allemands remarquèrent ce « dessinateur » et le dénoncèrent à la police militaire, croyant avoir affaire à un espion.

Ce fut un triste dimanche.

Le lundi matin, c’était effectivement la « descente » de la Gestapo. Une voiture s’arrête devant chez nous, deux hommes au chapeau mou en débarquent. Ils procèdent à une visite complète de l’appartement : lits, matelas, fauteuils, cadres retournés, à la recherche de documents compromettants. Or, il y en avait : je possédais un certain nombre d’ouvrages édités par le Parti Communiste Français. Tout en n’étant pas membre du Parti à cette époque, je les avais achetés avant la guerre. Il y avait en particulier « l’Histoire du Parti Communiste (bolchevik) de l’U.R.S.S. ». J’avais pris soin, avant l’arrivée des policiers, de les camoufler dans la cave, sous une épaisse couche de charbon.

Quelle aurait été la suite des événements si ces « messieurs » les avaient découverts ? S’arrêtant devant une caisse de livres, ils m’interrogèrent sur leur contenu. Ce n’était que des ouvrages m’ayant servi à préparer le Baccalauréat. C’est ce que je leur expliquai.

Ma mère fut consolée quand ils lui dirent que son mari serait libéré dans la semaine. Le samedi suivant en effet, mon père était de retour à la maison ramenant un morceau de pain noir en souvenir de son passage à la prison de Pontaniou.

Cet événement me ramène à mon père. Il était né à Landivisiau le 18 novembre 1886. Des recherches généalogiques m’ont amené à trouver trace d’un arrière-grand-père, Joseph Nédélec, né en 1817 et qui était cultivateur au village de La Poterie en cette ville. Ce dernier avait un fils :


Histoires familiales

 

Hervé Nédélec, né en 1846. Il avait cinq enfants : Alexandre, Alexis (mon père), François, Marguerite et Angèle.

Phénomène étrange : jusqu’à sa mort, mon père m’a caché l’existence de François, de Marguerite et d’Angèle.

Alexandre et Alexis s’étaient établis au Faou et s’étaient mariés avec deux sœurs : Marie Rozuel et Louise Rozuel (ma mère). Ce n’est qu’après la mort de mon père que j’ai découvert, tout à fait par hasard, l’existence de cet oncle François et de ces deux tantes : Marguerite et Angèle, et que j’ai repris contact avec un cousin et deux cousines, déjà vieux.

Il avait dû y avoir un drame dans la famille : ce que j’ai pu savoir, c’est que Angèle, la sœur de mon père, avait un amant et que son mari, un nommé Raoul aurait tué cet amant, été condamné au bagne et libéré pour s’être engagé dans les guerres coloniales. Va savoir !!

Ce qui est curieux : ni mon frère Alexis, mon aîné de neuf ans, ni mon autre frère Louis, non plus que ma soeur Germaine, plus âgés que moi également, n’ont entendu parler de cette étrange histoire.

Très jeunes, Alexis et Louis avaient été placés à l’Ecole des Pupilles de la Marine, située à la Villeneuve, à l’intérieur de l’arsenal de Brest. C’était pour mes parents la solution la plus économique pour la continuation de leurs études.

Alexis a fait toute sa carrière dans la Marine Nationale, gravissant les échelons un par un. Il a pris sa retraite avec le grade d’officier en chef des équipages.

Pourquoi des équipages ? Il y a lieu de faire ici une distinction entre Officier des Équipages et Officier de Marine. Les premiers, comme mon frère, sortaient du rang. Les seconds, étaient passés, en général, par l’École Navale, qui fonctionnait à l’époque au-dessus du lieu-dit « Les Quatre Pompes », au bas de l’artère appelée aujourd’hui Avenue de l’École Navale. « Exilée » à Lanvéoc Poulmic, cette École continue à former les Officiers de Marine.

Hélas, mon frère Alexis ne profita pas longtemps de sa retraite. J’appris son décès subit en février 1975, dans les circonstances suivantes. Ce lundi 3 février, je m’étais rendu avec André Le Mercier au studio de la radio bretonne de Brest. Nous avions rendez-vous avec l’animateur Fanch Broudig. André Le Mercier s’apprêtait à lancer son association « Skol Vrezoneg Ar Merher » (l’Ecole de breton du mercredi).

A peine l’émission commencée, je distinguai un journaliste du Télégramme de Brest, Hervé Quéméner, frappant à la vitre du studio et me faisant signe de sortir. Je connaissais bien Hervé Quéméneur et je me demandais ce qu’il me voulait. C’était pour m’annoncer le décès de mon frère… et l’émission continua sans moi.

Mon autre frère Louis, après quinze ans dans la « Royale », préféra s’orienter vers la marine marchande, bourlinguant de port en port.

J’ai conservé une lettre du Directeur de la compagnie du Port de Beyrouth qui lui était adressée en date du 30 septembre 1957 et qui dit ceci :

« La direction vous exprime sa satisfaction pour la manière dont vous vous êtes porté au secours du cargo en détresse « Wilhem Nubel », le 27 septembre à 70 miles des côtes, l’avez rejoint et pris en remorque, puis ramené à bon port, le 28 septembre, dans les meilleures conditions et sans incident.

Elle vous félicite pour cette opération qui est la première de ce genre réalisée dans les annales du port de « Beyrouth » et dont vous avez tout le mérite.

Elle vous remercie et vous fait remettre à cette occasion, une gratification de 500.L.L.

Signé Charles BAZIN »       .

J’ai su également que Louis avait quitté le port de Toulon, pendant la guerre, à bord du sous-marin Surcouf.

Mon frère s’était installé avec sa famille à Toulon, où il est décédé.

L’autre branche de la famille Nédélec, la lignée de l’oncle Alexandre, qui tenait boutique d’artisan peintre au Faou était composée de trois frères : Alexandre, Charles et Georges, le premier eut un destin tragique. Il avait été remarqué, nageant dans la rivière du Faou, quand la marée était haute, par le Président du Club Nautique Brestois, Noël Kerdraon. Celui-ci invita mon cousin à pratiquer au sein de ce club et Alexandre devint champion de Bretagne du 100 mètres brasse et excellent joueur de water-polo.

Durant l’occupation allemande, son frère Georges prit la direction du maquis de Hanvec, où il termina commandant F.T.P.

Recherché par la Gestapo, c’est son frère Alexandre qui fut finalement arrêté et conduit à la Prison du Bouguen à Brest, où il disparut à partir du 4 avril 1944, probablement fusillé par les Allemands au moment de leur débâcle, quand avançaient vers la Bretagne les troupes alliées. Le stade de football du Faou porte pour toujours le nom de « Stade Alexandre Nédélec »


Découverte de la radio

 

Engagé dans la marine pendant quinze ans, mon père avait été enfant de chœur à Landivisiau. Il en gardait un amer souvenir, si bien qu’il était devenu anticlérical farouche.

Puis, devenu ouvrier, il adhère à la C.G.T. et au Parti Socialiste (S.F. I.O.), participe aux grandes grèves de 1934 et 1936. La guerre venue, il suivait de près les événements.

C’est ainsi que le dimanche 22 juin 1941, sur le coup de onze heures du matin, il vient me réveiller et m’annoncer, avec une joie évidente, que l’Allemagne venait de déclarer la guerre à la Russie. Il pressentait que cela allait changer le cours de la guerre, ce en quoi il n’avait pas tort. il avait entendu la nouvelle sur son poste de T.S.F, acheté en 1937 à la Manufacture de Saint-Étienne. Je revois encore le déballage de ce poste à la maison.

Ma première écoute de la radio remonte aux environs de 1930 (j’avais dix ans). Cela se passait chez mon oncle Alexandre, artisan peintre au Faou. Il possédait bien avant mon père un poste de T.S.F.. Un soir, invité chez lui avec ma famille, je me suis trouvé assis devant ce poste ; je l’ai allumé et, avec émerveillement, j’ai entendu, en manœuvrant un bouton, défiler paroles et musiques. Ce fut un enchantement !

Comme aujourd’hui, un enfant manipule dès son plus jeune âge magnétoscope, ordinateur, CD. Tout est relatif.


Départ de Brest et nomination à Landeleau

 

Je reviens à notre départ de Brest pour Le Faou afin de fuir les bombardements américains. J’ignorais absolument où j’allais et dans quelles conditions allait se poursuivre ma carrière d’enseignant, quand, ayant tourné par la rue Laurent Legendre, nous rencontrâmes le facteur qui vint vers moi et me présenta une lettre de l’Inspection Académique. Nous étions devant l’entrée du Patronage Laïque de Recouvrance. Afin de prendre connaissance du contenu de la lettre, nous entrâmes dans le café du Patro situé juste en face et je lus :

« Je vous prie de vouloir bien vous rendre à Landeleau pour y assurer provisoirement le service en qualité d’intérimaire à partir du (immédiatement) en remplacement (création nouvelle classe pour les réfugiés brestois). »

Lettre datée du 17 mars 1943. J’ignorais totalement où se trouvait cette commune de Landeleau. Je demandai à la patronne du café de me confier l’Almanach des P.T.T. et cherchant sur la carte du Finistère, je découvris l’emplacement de Landeleau;

Et nous voila repartis pour Le Faou, ne sachant pas vraiment comment j’allais pouvoir me rendre dans ce nouveau lieu de résidence, si excentré par rapport à Brest.


Trajet du Faou à Landeleau

 

Ayant installé mes parents dans leur maison, située à l’entrée du Faou, route de Landerneau, je décidais, au petit matin, de prendre la route, valise en main, pour rejoindre la gare de Quimerc’h. Monter à pied la côte de « Ty Jopic » n’est pas une mince affaire. A l’époque, le train reliant Brest à Quimper s’arrêtait à toutes les petites gares : Dirinon, Daoulas, Hanvec, Quimerc’h.

Descendant à Châteaulin, je prenais la ligne qui menait à Carhaix. À la gare de Spézet-Landeleau, au lieu-dit Pont Triffen, j’avais encore une marche à pied assez longue pour arriver au bourg de Landeleau.

À l’entrée du bourg, je découvrais l’église entourée du cimetière et, en contre-bas, un lavoir.

L’école publique se trouvait à l’autre bout de la commune.


Un personnage atypique : Louis Quelfennec

 

J’arrivais enfin dans la classe du directeur de l’école. Ce qui me frappa tout d’abord, ce fut la vue de mes « réfugiés brestois » déjà là depuis quinze jours.

Monsieur Quelfennec, le directeur, me voyant apparaître, eut cette parole : « il était temps que tu arrives ».

En effet « mes » Brestois, alignés au fond de la classe, attendaient une issue à leur situation, et constituaient évidemment une charge pour monsieur Quelfennec.

Celui-ci, brave homme, s’inquiétant de mon sort et apprenant de quelle façon j’avais atterri dans sa classe, me conduisit immédiatement dans sa cuisine, mit sur la table : pain blanc, beurre, cidre.

La vue de ces aliments, notamment du pain blanc, moi qui étais habitué au pain noir de Brest, suffit à calmer mon appétit. J’y touchai à peine.

Ce fut ensuite l’organisation de mon travail : l’installation dans une classe de l’établissement, le lieu où je coucherais avec mes élèves (ils étaient une vingtaine, d’âges différents). Ils s’agissait d’un appartement à l’école publique des filles, mitoyenne avec l’école privée de filles, un mur séparant ces deux écoles.

Monsieur Quelfennec me conduisit au restaurant où je devais prendre mes repas. Il était situé près de l’église autour de laquelle il y avait, à l’époque, le cimetière et un grand lavoir.

De ce restaurant, on dominait la route d’entrée dans le bourg. Cette disposition me valut plus tard une grosse émotion sur laquelle je reviendrai. Les propriétaires m’ayant vu arriver avec ma mallette, avaient cru à une visite d’un contrôleur du ravitaillement : pendant cette période de disette c’était un personnage important et peu apprécié. Ils mirent à « l’abri » : pain blanc, beurre, viande. Bref, tout ce qui était contingenté. Ma présentation avec monsieur Quelfennec les rassura.

Ce directeur d’école était le type même de l’instituteur rural. Natif du pays, il était aussi paysan qu’enseignant. On le voyait le jeudi traversant le bourg, menant sa vache au champ ! Ayant un pensionnat dans son école, je me rappelle l’entendre, raconter aux pensionnaires et à mes Brestois, quelques épisodes de la guerre 1914-1918, qu’il avait vécue en tant que « poilu ».


La vie à Landeleau

 

Dans ce doux pays de Landeleau allait s’ouvrir pour moi une grande parenthèse faite de calme et de tranquillité. Tout d’abord, mon travail avec mes petits Brestois. Ensuite, mes loisirs.

La classe se déroulait à l’école des garçons, le dortoir était à l’école des filles. Tous les matins, je conduisais les enfants à un lavoir, tout près de l’église du bourg. C’est là que s’effectuait le « décrassage », au grand étonnement des Landeleausiens, déjà dans la rue à six heures. Je prenais mes repas dans ce restaurant où mon arrivée avait provoqué l’émoi dont j’ai parlé plus haut. De l’autre côté de la rue, il y avait un magasin de textiles tenu par monsieur et madame Cam, dont le fils Jean, allait, quelques années plus tard, créer à Brest l’Hypermarché Rallye.

Dans ce magasin travaillait ma future femme :

Marguerite, dont le patronyme était le même que celui de ses patrons.

Nous fîmes connaissance dans les circonstances suivantes. Partant de Brest, j’avais acheté un phonographe d’occasion, que l’on remontait avec une manivelle, et bien entendu quelques disques.

Aux moments de liberté, il me plaisait de me rendre au bord de l’Aulne, accompagné de quelques jeunes filles de la commune. Nous écoutions quelques disques et bavardions. Un jour, Marguerite, par mégarde, brisa un disque. Elle en fut toute malheureuse.

Un dimanche, dans une salle du bourg, je mis mon phonographe au service des jeunes, privés à cette époque de distraction, ce qui leur permettait de faire quelques danses. Marguerite, elle, voulant m’aider, s’offrit pour tourner la manivelle.

Le contact était établi et il allait perdurer, puisque nous sommes toujours ensemble. Elle avait 20 ans, j’en avais 23.

Je ne connaissais rien de sa famille. Un dimanche matin, la patronne du restaurant (qui était de la famille Balpe, une des grandes familles de Landeleau), et qui avait décelé mon attirance pour Marguerite, me dit :

 « Tenez, voilà votre beau-père qui sort de l’église, après la messe. »


Une nouvelle famille

 

Dès ce moment, j’allais entrer dans une tranche de vie qui allait me faire découvrir un monde que j’ignorais.

Les parents de Marguerite habitaient dans un « penty » niché au fond de la vallée de l’Aulne au lieu-dit La Montagne : une petite maison au sol en terre battue, quelques champs et prés autour, des pommiers, un pressoir tout à fait original : encastrée dans un if monumental, une poutre au bout de laquelle il y avait un plateau en bois que l’on chargeait de lourdes pierres au fur et à mesure que le cidre s’écoulait des pommes passées d’abord dans un broyeur et disposées par tranches séparées par la paille (le principe du levier !).

Pierre, le père, exerçait le métier de couvreur. Maryvonne, la mère, avait donné naissance à dix enfants dont le premier était mort trois jours après sa naissance. Il en restait neuf : cinq garçons (Jean, Louis, Marcel, Lucien, Pierre-Louis) et quatre filles (Louise, Marguerite, Marie, Christiane). Elle avait de quoi s’occuper entre la maison, les champs, les animaux (vaches, cheval). Vivait là-encore, la grand-mère, qui ne connaissait pas le français.

C’était un lieu idyllique, loin des routes, la plus proche étant celle qui menait de Collorec à Carhaix en passant par Kergloff;

Du village de La Montagne, on abordait, en longeant la rivière, à un hameau appelé Pénitv Saint-Laurent ou Pont de Pénity sous lequel l’Ellez, se jetait dans l’Aulne. Il y avait là quelques maisons, une boulangerie-épicerie-café, tenue par les époux Tanguy.

Une chapelle, lieu de pèlerinage, était une étape dans la procession de plusieurs kilomètres qui avait lieu le lundi de 1a Pentecôte : la Troménie. Cette chapelle était l’objet de soins attentifs de la part de la famille de Marguerite, famille très croyante.

J’allais, dans ce milieu bretonnant, aller de découvertes en découvertes. Le peu de terre que détenaient les parents de Marguerite produisait quand même quelques céréales : blé, avoine.

Il y avait aussi les prairies, au bord de l’Aulne et bien entendu le jardin potager.

Pierre, le père, outre son métier de couvreur, était aussi un apiculteur avisé et ses ruches en paille étaient bien alignées sur des coussins de pierres. De temps en temps s’échappait un essaim. C’était alors un branle-bas. Mais le père, lui, tranquillement, sans à-coup, sans filet, grimpait dans l’arbre où s’était niché l’essaim, cueillait la reine avec une partie de l’essaim, remettait le tout dans une ruche vide et l’ensemble de la troupe la regagnait ensuite.


Étranger dans mon pays

 

II y avait aussi la grand mère qui ne parlait pas le français, (ça existait encore à l’époque), et qui avait de grosses difficultés pour converser avec moi qui ne connaissais pas, ou si peu, le breton.

À ce propos, je me suis senti comme un étranger dans mon propre pays. Les soirs de battage, à La Montagne, c’était la fête. On y venait en dernier après avoir terminé dans les autres fermes. On savait que le père allait faire danser son monde sur la terre battue, au son de l’accordéon diatonique dont il jouait parfaitement. Et puis venaient les histoires racontées au long de la soirée.

C’est là que je me suis senti humilié. Alors que les rires fusaient en entendant les plus grosses plaisanteries, racontées en breton, je me contentais de sourire n’ayant évidemment pas compris tout le sel de l’histoire. Oui, vraiment, un étranger dans mon pays !


Le mariage pendant la guerre

 

Ainsi se passa l’été 1943 jusqu’au mariage avec Marguerite, le 27 septembre. Mariage fort simple en cette période de guerre mais avec toutefois un bal le soir, à l’école des garçons, au son d’un accordéon, celui de François Salaun, qui était maréchal-ferrant à Plonévez-du-Faou. Quelle aubaine pour les jeunes de Landeleau, privés de festivités de ce genre. Cependant, la rentrée des classes approchait et, à peine marié, il fallait repartir pour de nouvelles aventures.


Reprise de l’enseignement à Saint-Nic

 

Je recevais une nomination pour la commune de Daoulas où s’était replié un collège de Brest sous le nom de Centre d’Humanités Classiques. Je devais y exercer le poste de professeur de Mathématiques à partir du 7 octobre 1943.

Nous nous étions installés au Faou, dans la maison de mes parents. Faire classe à Daoulas alors que Marguerite demeurait au Faou, c’était une situation difficile. Aussi, je décidais de demander ma mutation, arguant de l’absence de logement.

C’est ainsi que nous sommes partis pour Saint-Nic où je devais commencer le 5 novembre 1943. J’allais dans ce poste remplacer un vieil instituteur qui était en même temps secrétaire de mairie. Ecole et Mairie étaient dans le même bâtiment. Monsieur Le Flao, le directeur que je remplaçais avait été emprisonné par les Allemands à Châteaulin. On le soupçonnait d’appartenir à la Résistance. En fait, c’était son fils que la police recherchait, mais à défaut du fils, on avait emprisonné le père.

J’allais trouver une classe difficile et ce n’est qu’au bout d’un certain temps que je réussis à la mener d’une façon normale.

Je me rappelle d’un grand gaillard qui, me voyant dans la rue, me fuyait, gardant ostensiblement son béret sur la tête.

Je crois que c’est en sortant de la classe pour des activités sportives, (je me rendais à pied avec tous les élèves au stade de Plomodiern, commune voisine, à six kilomètres de là), que je réussis dans mon activité de pédagogue. C’est dans cette classe que je passai l’épreuve orale et pratique du Certificat d’Aptitude Pédagogique. Il y a une partie réservée au chant à cet examen. À des élèves qui n’avaient jamais chanté de leur vie scolaire, j’avais essayé en si peu de temps de leur faire partager ce plaisir. À l’issue de l’épreuve, l’Inspecteur me fit la remarque suivante : « Vous jouez bien de la flûte, mais le chant n’est pas une réussite. »

Au bout, ce fut quand même l’admission et ma titularisation.


La vie à Saint-Nic

 

Pendant un temps, Marguerite étant restée au Faou, je la retrouvais le mercredi soir et le jeudi, puis le samedi soir et le dimanche.

De Saint-Nic au Faou, cela faisait trente kilomètres que je parcourais à bicyclette en passant par le pont de Térénez.

Il m’arrivait de croiser des soldats allemands aux abords du pont, et cela ne me réjouissait pas. La nuit tombait vite et j’avais bien hâte de retrouver la maison de mes parents et Marguerite.

Au début de mes difficultés à l’école de Saint-Nic, je me souviens lui avoir dit : « je suis fatigué de cette classe et je n’ai pas envie d’y retourner. » Elle me sermonna en me faisant comprendre que c’était un coup de tête de ma part. Je retournais donc à Saint-Nic où j’arrivais enfin à faire correctement mon travail d’enseignant.

Je logeais dans un hôtel-restaurant tenu par monsieur Le Bris. Je lui parlais de ma situation de famille et avec son accord je demandai à Marguerite de me rejoindre.

Pendant quelques semaines elle aida madame Le Bris à la cuisine. Il lui arriva un soir un accident assez grave : glissant sur le carrelage humide, son bras gauche plongea dans une marmite de potage très chaud ; il s’ensuivit une brûlure relativement importante qui l’immobilisa quelques jours.

Ayant trouvé une maison à louer dans le bourg, nous quittâmes le restaurant Le Bris. Dans cette maison il y avait une cuisinière qui fonctionnait au feu de bois. Pour allumer ce feu, je partais avec des élèves chercher, sur les hauteurs du Menez Hom qui entourent Saint-Nic, des pommes de pin qu’on avait plaisir à entendre crépiter.


Contacts avec les Allemands

 

Un moment important de notre vie à Saint-Nic a été la connaissance d’un soldat portant l’uniforme allemand mais qui était en fait d’origine polonaise, embrigadé de force dans la Wehrmacht. Il s’appelait Roman Rusek.

Il parlait très bien le français et nous eûmes avec lui de longues conversations. Il nous disait combien il était pénible pour lui de porter l’uniforme allemand ; il n’avait qu’un désir, abandonner au plus tôt cet uniforme. C’est ce qu’il fit, au moment de la débâcle allemande, en se réfugiant en Angleterre d’où il nous écrivit une lettre, pleine d’amertume.

Je fus appelé un matin par le commandant de la garnison. Je me demandais pourquoi et j’allais le trouver un peu inquiet. Il se tenait à son bureau, installé dans le bâtiment scolaire. En fait, il s’intéressait à l’Histoire de Bretagne et désirait me demander des précisions sur « le Combat des Trente ». Je ne pus le renseigner ; à l’époque je n’avais pas eu le temps de me plonger dans cette recherche. Cela me gêna beaucoup. Depuis j’ai eu l’occasion de revenir sur ce fameux combat qui se déroula le 27 mars 1351 entre les partisans de Charles de Blois soutenus par les Français et ceux de Jean de Montfort alliés des Anglais, au moment de la guerre de succession du duché de Bretagne. Le combat eut lieu entre Josselin et Ploërmel ; il mit en présence trente chevaliers de chaque camp.

Dernier détail de notre vie à Saint-Nic : le voyage par le petit train de la voie bretonne qui nous amenait jusqu’à la gare de Spézet-Landeleau. Le wagon, en plein hiver, était chauffé par un brasero planté au beau milieu du compartiment.

En 1944, c’est le départ de Saint-Nic et notre repli sur La Montagne en Landeleau.


1944 – Entrée dans la Résistance

 

Dans ce hameau perdu, bordé par l’Aulne, par un bel été, les mois vont se dérouler, marqués par un certain nombre d’événements.

Dès mon arrivée je suis contacté par deux habitants de Pénity Saint-Laurent qui me demandent si je suis d’accord pour faire partie de leur groupe de Résistance. Je leur réponds positivement, bien entendu.

L’endroit où je me trouve est isolé et des maquisards y passent régulièrement, cachant parfois des armes sous les lits, utilisant des postes à galène qu’il m’arrive de faire fonctionner. Le maquis n’est pas loin, cantonné dans un bois, le bois de Château-Gall (Kastelgall).

Un beau jour, ne voyant rien venir du côté de mes amis de Pénity Saint-Laurent, et ne voulant pas rester inactif, je décide de me rendre, avec mon beau-père, au maquis. Dès mon arrivée dans le bois, le responsable me questionne et me demande ma profession. Je lui réponds :

« Instituteur » . Et aussitôt de me dire : « on ne veut pas de toi ici. » Ceci à ma grande surprise. Mon entrée dans le maquis était ajournée.

Je ne me retrouvai dans la Résistance qu’après le débarquement de Normandie. Contacté à nouveau par le groupe de Pénity Saint-Laurent, mitraillette en mains, la décision est prise de marcher sur Carhaix, les Allemands étant toujours dans le secteur. Je me souviens d’une rafale venue d’un tank allemand circulant sur la route départementale.

Arrivés à Carhaix, la ville était déjà délivrée. Beaucoup de camarades partaient pour la Poche de Lorient. J’hésitais, étant nouvellement marié et je rentrai à La Montagne.

Auparavant, lors d’une sortie au bourg de Landeleau, alors que je buvais un verre au restaurant où je me rendais quand j’enseignais aux jeunes Brestois réfugiés, je vis tout d’un coup un groupe de soldats allemands poser leur mitrailleuse sur la route qui longe l’église, face au restaurant. En fait c’était des Russes blancs, alliés de l’Allemagne nazie. Faisant irruption dans le café, ils demandent les papiers d’identité. Arguant de ma qualité d’Instituteur dans la commune, je ne suis pas inquiété.


Une classe sauvage

 

À cette époque, les écoles ne fonctionnaient plus. Me sachant instituteur, des parents sont venus me contacter pour me demander s’il était possible de regrouper des élèves du secteur afin de maintenir leurs connaissances. Il faut dire que Penity-Saint-Laurent est un lieu éloigné de sept à huit kilomètres des quatre bourgs qui l’environnent : Landeleau, Collorec, Plouyé, Kergloff, si bien que les enfants n’abordaient l’école que vers huit ou neuf ans, à moins d’aller en pension à Landeleau, à l’école publique ou à Collorec à l’école privée pour les garçons et pour les filles aux écoles privées de Landeleau et Plouyé.

Je trouvai à Penity-Saint-Laurent une grange appartenant aux époux Tanguy. Avec leur accord, j’y installai, avec l’aide de l’ouverture d’une école publique à Penity-Saint-Laurent.


Sauvetage d’un aviateur allié

 

Encore un souvenir. Il m’arrivait de grimper sur la colline surplombant le village de La Montagne. Assis dans l’herbe, j’entendais le vrombissement des avions alliés se rendant sur Brest pour leurs opérations de bombardement.

Un jour, étant au bourg de Landeleau, sur le coup de midi, j’ai assisté à la chute d’un de ces avions atteint par la D.C.A. allemande. Nous étions plusieurs spectateurs et nous remarquâmes que cet avion laissait s’échapper une fumée noire et nous vîmes la descente en parachute d’un aviateur.

Les Allemands n’étaient pas présents à cet instant. Nous nous sommes rendus à l’endroit que nous supposions être le point de chute. C’était près d’une ferme sur la route qui mène de Landeleau à Plonévez-du-Faou.

En peu de temps l’aviateur était récupéré par la résistance et mis à l’abri. Les Allemands, arrivés sur les lieux, ne purent le retrouver. Il existait à Landeleau un réseau organisé pour le transfert vers l’Angleterre.


Nomination à Loqueffret

 

La fin de la guerre approchait. Il y avait eu la bataille de Stalingrad, le tournant de cette guerre, il y eut le débarquement en Normandie, les Allemands étaient chassés du pays. Il restait quelques poches à Lorient, à Brest.

Les classes allaient reprendre. En octobre je recevais une nomination pour l’école de Loqueffret où je devais remplacer le directeur, monsieur Lémeillat, toujours prisonnier de guerre en Allemagne.

Le 6 octobre je quittais La Montagne avec Marguerite et son jeune frère Pierre-Louis, âgé de cinq ans et demi. Logée sous mon pardessus, il y avait avec nous une jolie petite chienne que nous avons beaucoup aimée et qui portait le nom de Miss.

C’est à pied que nous avons franchi la vingtaine de kilomètres séparant La Montagne de Loqueffret, petite commune nichée dans les Montagnes Noires, à 222 mètres d’altitude.

J’ai repris mon travail d’enseignant ; c’est là que Pierre-Louis a commencé sa scolarité. Il la poursuivra avec nous jusqu’à l’obtention d’un C.A.P. de peintre au collège d’Enseignement Technique du Bouguen à Brest. Nous n’avons pas eu d’entant et nous l’avons considéré comme notre fils.

La vie à Loqueffret se déroula sans problèmes. Il nous manquait quelques meubles. Nous allâmes les chercher chez mes parents au Faou, et avec l’aide du cantonnier de cette commune, nous les transportâmes à Loqueffret. Comment ? mais avec la charrette du cantonnier. Imaginez le spectacle de cette charrette et de son cheval sur les trente kilomètres qui séparent ces deux communes. Et toujours à pied évidemment.

Cependant les événements allaient se précipiter. Le 8 mai 1945, nous fêtions à Loqueffret la fin de la guerre. Ce fut une belle journée prolongée tard dans la soirée.


Au camp de prisonniers de guerre allemands d’Erquy

 

Le 14 mai 1945, je recevais à Loqueffret un ordre de mobilisation pour me rendre à Erquy, dans les Côtes-du-Nord, où avait été installé un camp de prisonniers de guerre allemands. Il s’agissait en fait d’officiers de marine venant de la poche de Lorient, dernier bastion tenu par l’Allemagne.

A mon arrivée à Erquy, je me souviens d’avoir été dans l’obligation de protéger ces officiers qui entraient dans le camp, face aux habitants de la commune. Il est vrai que les massacres commis en Bretagne par l’armée allemande étaient loin d’être oubliés.

À l’intérieur du camp, la vie allait s’organiser. J’obtenais un poste de secrétaire au bureau du lieutenant, un des officiers français responsable.

Des contacts, inévitables, allaient s’établir entre les prisonniers et les gardiens. Ces officiers étaient à la recherche de menus objets, comme du savon, des cigarettes, etc…, et proposaient en échange le peu qu’ils possédaient, comme une montre marine par exemple. Pour ma part, je nouai relation avec l’un d’entre eux, un nommé Karl Weber, avec qui j’eus de longues conversations, qui parlait français et qui réalisa pour moi une série d’aquarelles sur la vie du camp, que je conserve précieusement.

De mai à octobre 1945, le temps allait se partager entre la vie au camp d’Erquy et des permissions de vingt-quatre heures que je m’octroyais pour me rendre à La Montagne en Landeleau.

Mais quel voyage ! Il me fallait d’abord rejoindre la gare de Guingamp, prendre le train Guingamp-Carhaix, descendre à cette gare pour entamer, à pied dans la nuit le plus souvent, la distance de quinze kilomètres qui sépare Carhaix de Pénitv Saint-Laurent, arriver enfin dans le « penty » de La Montagne pour le « repos du guerrier ».

Démobilisé le 26 octobre 1945, j’allais pouvoir retourner à la vie civile et me préoccuper de ma nomination à un poste d’instituteur.


Nomination à Collorec

 

Celle-ci n’allait pas tarder à arriver. J’étais prié de rejoindre l’école de Plonévez-du-Faou. Profitant d’une dernière permission de vingt-quatre heures qui, vu les événements allait devoir se prolonger, je me présentai au directeur de l’école. Monsieur Le Goff. Une surprise m’attendait. Le poste qui m’était attribué était pourvu par son titulaire revenu d’Allemagne comme prisonnier de guerre.

Que faire ?

Ma décision fut rapidement prise : me rendre par la « Satos » à l’Inspection Académique de Quimper exposer la situation.

Reçu par Monsieur Bourbao, secrétaire général de l’Inspection qui, devant ma demande d’obtenir un poste dans la région de Plonévez-du-Faou, parlant de mon mariage pendant la guerre et mon souci d’avoir un logement, me répondit :

– « II n’y a plus rien dans ce secteur. »

Se reprenant, il avoua qu’il restait quand même une école, mais il n’y avait plus que trois ou quatre élèves et qu’il était question de la fermer.

Ma réponse fut brève : « Donnez-moi cette école, il y a au moins un logement. »

Sortant du bureau de Monsieur Bourbao, il était onze heures quarante-cinq, j’aperçois dans le couloir quelqu’un qui demande s’il n’y a plus personne pour les « audiences ». C’était l’Inspecteur d’Académie, Jean Debiesse, nouvellement nommé dans le Finistère. Il allait jouer un grand rôle dans la relance des activités post et périscolaires au sein de la Fédération des œuvres Laïques. J’y reviendrai.

Je lui fais signe que j’ai besoin de lui parler. En fait, il s’agissait pour moi, en souvenir de l’expérience menée pendant quinze jours à Pénity Saint-Laurent – la classe sauvage – de lui exposer la situation de ce hameau perdu entre quatre communes et de la nécessité d’y ouvrir une école.

Se dirigeant vers une carte du département, il me demande de désigner l’endroit.

Aussitôt fait, aussitôt décidé.

– « Trouvez-moi un local et j’ouvre l’école. »

Elle fonctionnera dans plusieurs locaux provisoires ; se verra dotée d’une baraque, pour être finalement construite en dur.

Hélas, fermée aujourd’hui par suite de la dépopulation du secteur et des nouveaux modes de scolarité, elle restera un souvenir des années d’après la Libération, de même que les écoles publiques de Saint-Herbot en Plonévez-du Faou et Saint-André en Châteauneuf-du-Faou.


Collorec (1945 à 1952)

(Sept années de lutte pour la promotion et la défense de l’Ecole Laïque)

 

En 1945 j’allais donc m’installer dans la commune de Collorec, limitrophe de trois autres communes : Plonévez-du-Faou, Landeleau, Plouyé.
Plongeant un regard dans le passé de Collorec, je me suis rendu compte que ce qui m’attendait était la conséquence d’une commune placée pendant de longues années sous la tutelle de l’Eglise et de hobereaux amenant à une population très soumise.
La construction des écoles publiques a rencontré dès le départ l’hostilité des édiles municipaux.


L’École des filles

 

En 1879, Collorec compte 1400 habitants et ne possède aucune école de filles. Sa situation topographique étant éloignée du chef-lieu de canton ou des autres communes, on se trouve dans l’impossibilité de donner aux enfants du sexe féminin une éducation quelconque.

Le 6 juillet 1879, c’est un premier refus du Conseil Municipal pour la construction d’une école de filles.

Le vote est « dû aux conseils et à l’influence du Maire, esprit aveuglé par l’esprit de parti, adversaire des institutions, qui ne comprend pas l’utilité de l’enseignement et ses bienfaits. » Ceci est extrait d’une lettre de l’Inspecteur d’Académie de l’époque ! A cette date, c’est un Monsieur Corbel qui est Maire.

En 1879, Collorec compte 110 filles en âge scolaire, (de six à treize ans). Sur ce nombre seulement quinze à vingt ont la possibilité et les moyens de suivre les enseignements aux écoles voisines.

Finalement, l’école publique de Filles sera construite dans les années 1880 et les travaux achevés en 1886 puis agrandie en 1910.

Dès 1927, l’Ecole comptera trois classes.


École de Garçons

 

     L’École sera construite dans les années 1895. Auparavant elle fonctionnait dans un local situé derrière l’église paroissiale, (c’était l’ancien presbytère), cela depuis 1849. Ce local s’appelle toujours « Ti-Skol Koz » (La vieille école). Dès 1891, cette maison d’école est en très mauvais état et il est décidé de l’aliéner par enchères et d’en affecter le produit pour la construction d’une nouvelle école route de Plonévez-du-Faou. Le coût de l’édifice est estimé à 11748 francs.

A cette date, Collorec compte 137 garçons d’âge scolaire. L’adjudication des travaux aura lieu le 27 avril 1891.


L’école privée catholique

 

Face à l’existence des deux écoles publiques, le curé, recteur de Collorec, Louis-François Simon, son vicaire Tanguy et le maire Jacques Corbel, vont s’activer pour fonder et développer une école chrétienne.

C’est chose faite le 28 octobre 1901. Tenue d’abord par les sœurs de saint Joseph de Cluny, l’école accueille dès le départ vingt-deux élèves de l’école publique de filles. Le dimanche 3 novembre 1901, c’est la bénédiction solennelle.

Après la messe, une procession se forme. Les enfants (garçons et filles) de la classe enfantine portant chacun un oriflamme, sont suivis par les grandes élèves et une trentaine de sœurs (dont les quatre chargées de l’école).

Les prêtres de Collorec et des paroisses voisines accompagnaient la procession ainsi que le Conseil municipal et la population.

Un internat fut ouvert en décembre 1901. A cette date l’école contenait déjà quatre-vingts enfants dont dix internes. L’école des sœurs fut fermée en septembre 1903 ; elle rouvrit plus tard, dirigée cette fois-ci par les Frères des Ecoles Chrétiennes et prendra le nom de École Saint-Yves. L’existence d’une école laïque de garçons et d’une école privée allait poser des problèmes de cohabitation.

Parmi les directeurs de l’Ecole Publique qui m’ont précédé à Collorec, j’ai relevé les noms de Mathieu Berthélémé en 1910, Yves-Marie Rolland en 1924, Jean Caër en 1927, Le Boulch en 1936 et Le Bris en 1940.


Progression de l’École Publique

 

C’est dans cette commune de Collorec que j’allais vivre sept années de combat pour la défense et la promotion de l’école publique, sept années qui ont fait de moi un militant laïque, un militant politique. Curieusement, j’y ai découvert deux aspects de l’Eglise à travers mes contacts avec plusieurs prêtres catholiques : un aspect sectaire, émaillé de nombreux affrontements, un aspect social avec l’amitié qui me lia à Collorec et par la suite avec un jeune abbé, nommé vicaire pendant mon séjour.

Cette nomination datée du 23 octobre 1943 et signée de Monsieur Bourbao que j’avais rencontré quelque temps auparavant à l’Inspection Académique, adressée à Plonévez-du-Faou où je n’exerçais pas et pour cause, m’enjoignait de prendre mon poste de chargé d’école à Collorec le 25 octobre 1945.

N’étant pas encore démobilisé, c’est à Jean Berthélémé, jeune collègue que j’avais connu à Loqueffret, et descendant de Mathieu Berthélémé qui était Directeur en 1910, que fut confiée la classe de trois élèves, ces trois élèves que je trouvai effectivement quand je pris l’école en mains. Je me posais bien évidemment des questions sur l’avenir de cette école publique, quand le destin frappa à la porte.

En fait de destin, je vis entrer dans la classe un grand bonhomme, d’une carrure impressionnante, aux larges mains calleuses, et qui prononça d’une voix sonore cette interrogation :

« Qui c’est le patron ici ? »

J’étais impressionné et un peu inquiet par cette entrée inattendue.

À ma réponse, disant que j’étais le directeur, l’individu me dit tout de go:

– « Voilà, j’ai mes deux garçons chez les frères, mais ça ne me plaît pas. Je préfère qu’ils viennent ici. Ma femme n’est pas d’accord. Il faudrait que tu viennes jusqu’à la ferme pour la convaincre. »

Bien entendu, cette déclaration me mit un peu de baume au coeur, avec la perspective d’avoir deux élèves de plus et ainsi porter l’effectif à cinq !

Yves Hourmant, car c’était son nom, habitait au village de Hars Vian, tout près de Saint-Herbot en Plonévez-du-Faou. Dans la commune on l’appelait « Toer Braz » : « Le Grand Couvreur ».

Hars Vian, ce n’était pas la porte à côté : sept ou huit kilomètres. Mais il fallait y aller.

Un beau soir, nous voilà partis, une collègue de l’école des filles (Madame Bruno), ma femme et moi, direction Hars Vian.

La soirée fut des plus agréables. Madame Hourmant avait préparé un bon casse-croûte, bien arrosé. Dans la discussion, mes paroles durent être assez convaincantes, pour que la mère décide de confier ses deux garçons à l’école laïque.

Ce fut là un bon début qui déclencha dans la commune une succession de départs de l’école privée de garçons vers l’école publique, si bien que dans l’année scolaire, l’effectif se porta à vingt-trois, soit vingt élèves de plus.

Cet événement ne fut pas sans répercussion sur la vie à Collorec. Que se passait-il ? Qui était cet instituteur qui venait de prendre vingt élèves à l’école Saint-Yves ? Des questions se posaient.

J’allais connaître dans cette commune sept années mouvementées, pleines de surprises, d’hostilité de la part de certains habitants, d’amitié et de soutien, d’une autre partie de la population.

Les événements suivants, classés sans ordre chronologique, relatent une partie de ces péripéties qui ont marqué ces sept années.


L’adhésion au Parti Communiste Français

 

La guerre venait de se terminer, le Parti Communiste Français avait joué un grand rôle dans la Résistance. C’était « le Parti des Fusillés ». À la Libération son influence en France était des plus grandes.

Depuis 1936, mes idées avaient cheminé : les luttes sociales du Front Populaire vécues avec mon père, ma vie au Lycée de Brest, 1938, la trahison de Munich, 1939, la guerre, 1940, l’armée et les chantiers de Jeunesse, le passage en fraude de la zone libre à la zone occupée.

Avoir vingt ans en 1940 et perdre ainsi les plus belles années de sa vie, il y avait de quoi réfléchir au devenir du Monde.

Un beau matin est arrivé à l’école, un ouvrier maçon du nom de Louarn. Il avait reçu de la Fédération du Parti Communiste, qui était installée à Quimper, une demande d’organisation d’une réunion publique à Collorec. Se sentant dans l’impossibilité de trouver une salle, il venait me demander de l’aider. À défaut de salle, il restait le préau de l’école. La réunion s’y déroula donc, animée par un dirigeant de la Fédération : Alain Cariou. C’était un formidable débatteur, alliant le breton au français.

Je devais plus tard militer avec lui dans différentes organisations.

Venu en car de Quimper, il fut dans l’obligation de coucher à Collorec. On lui offrit une chambre à l’école et la soirée se termina en discussions, à l’issue desquelles il me proposa l’adhésion au Parti Communiste. Ce fut un oui immédiat, le fruit était mûr. Après tous les événements que je venais de vivre, toutes les lectures que j’avais pu faire, les conclusions que j’en avais tirées, ce soir-là, je devenais membre du Parti Communiste Français. Je le suis resté depuis, malgré parfois certaines déceptions, certains découragements. Mais l’idéal est toujours présent : se battre pour une société meilleure, contre le Pouvoir de l’Argent qui conduit à une société où les Riches et les Pauvres ne sont pas traités à la même échelle.


La réunion à Collorec de Monteil, député M.R.P.

 

André Monteil était député du Mouvement Républicain Populaire, (le M.R.P), héritier du Parti Social Démocrate d’avant-guerre, d’obédience catholique. Professeur de lettres à Quimper, c’était un bon orateur. Venu à Collorec tenir une réunion électorale dans une salle privée, (il en avait trouvé une, lui), il avait rassemblé un fort nombreux auditoire, acquis à sa cause. J’avais décidé de me rendre à cette réunion, assis bien sagement dans mon coin, quand un groupe de jeunes, venus de Plouyé, commune voisine de Collorec, se mirent à chahuter l’orateur. Plouyé était considéré comme une commune « rouge », à l’opposé de Collorec, commune « blanche ».

On me tint pour responsable de ce chahut alors que je n’y étais pour rien.

A la sortie de la salle, une foule nombreuse, me talonnant, se mit à m’insulter, criant « Thorez déserteur » (Maurice Thorez, secrétaire général du Parti Communiste Français à l’époque, se trouvait à Moscou en 1940, de même que De Gaulle était à Londres et la droite française lança l’idée que Thorez avait déserté l’Armée Française pour aller s’abriter à Moscou). C’était le slogan anticommuniste de la Libération.

Arrivé devant l’église, je me retournai vers cette masse hurlante, ma femme me tirant par le bras, quand une vieille dame, s’approchant de moi, me cria dans l’oreille : « vaurien! »

Cette insulte eut une suite.


Leçon de morale dans un champ

 

À la fin du mois de juin, les enfants désertaient l’école pour aller « aux petits pois ». Il s’agissait pour eux et pour les grandes personnes de se faire quelque argent de poche en allant ramasser les petits pois destinés à l’usine, les mettre dans des sacs et les peser. J’y allai un après-midi avec ma femme et une brave vieille dame dont le fils était instituteur. A l’époque, suivant son intelligence, l’enfant repéré par l’instituteur était dirigé vers l’École Normale ; repéré par le curé à travers les leçons du catéchisme, il était orienté vers le Séminaire de Pont-Croix.

Cette vieille dame m’avait confié : « Moi, je n’ai plus le droit d’aller faire mes Pâques parce que mon fils a fait l’Ecole Normale, je suis interdite d’Eglise. »

Dans ce champ de petit pois se trouvait également la dame qui m’avait traité de vaurien. La voyant en difficulté pour porter son sac et le mettre sur la balance, je suis allé l’aider.

Ayant pris le sac, je le portai à la balance. La mère de l’instituteur lui dit en breton : « N’eo ket ken cul lampon ! » (ce n’est plus un vaurien maintenant), La leçon avait porté. Me voyant dans la rue en me croisant, elle me lançait un « Bonjour Monsieur ».

Les gens vous traitent de vaurien, de salopard, et le jour où vous faites un petit truc comme ça, ça y est, vous êtes un homme comme les autres.


Importance du breton en réunion publique

 

Pour en revenir à Monteil, il se trouva que, quelques semaines plus tard, ce député de droite tenait une réunion électorale à Plouyé. M’étant aguerri, j’y allais pour porter éventuellement la contradiction ; ça se pratiquait beaucoup en ce temps-là. Je n’eus pas à le faire. Quelqu’un me remplaça, avantageusement, en la personne d’Alain Cariou, qui, en tournée électorale lui aussi, pénétra dans la salle. Il écouta Monteil, monta sur scène et se mit à interpeller, avec humour, la salle en breton. Monteil, à son grand dam, n’y comprenait rien et ne savait plus quoi dire. Il se retira assez honteusement, laissant la place au communiste Alain Cariou.


Création de l’Amicale Laïque

 

Dans ce climat de progression de l’École Publique, il était devenu indispensable de se faire épauler par une association qui puisse regrouper les citoyens disposés a défendre cette Ecole. Ce ne pouvait être qu’une Amicale Laïque.

Avant la guerre 1939 – 1945, ces associations s’appelaient le plus souvent « Amicale des anciens élèves et amis de l’Ecole Publique ».

A la Libération, avec le renouveau du mouvement laïque, la reconstruction de la Fédération des Oeuvres Laïques, sous l’impulsion de Jean Debiesse, Inspecteur d’Académie, le nom d’Amicale Laïque devenait le patronyme le plus répandu.

J’eus la chance de trouver rapidement des volontaires, dont le plus précieux fut Pierre Coquil, cultivateur au village de Menez Rouz, qui prit très vite la fonction de Président. Je n’oublierai pas Mademoiselle Martin qui, malgré son âge, s’avéra un soutien précieux de l’École Laïque. Elle diffusait dans sa petite boutique d’épicerie, outre les journaux locaux. La Terre et l’Humanité, journaux communistes, et ceci dans une ambiance pas toujours facile.

L’association une fois déclarée au journal officiel pouvait commencer ses activités. Elles furent nombreuses et mouvementées. Le siège social était à l’école publique des garçons où en soirée se réunissaient les adhérents. Des projets s’élaboraient. Il fallait de l’argent pour aider l’école car la municipalité de droite ne s’occupait guère de son sort.

Une des premières initiatives fut d’organiser des séances théâtrales. Je devins metteur en scène et acteur et, avec quelques jeunes, garçons et filles, nous puisâmes dans le répertoire traditionnel des patronages : Labiche, Courteline.

C’est par l’intermédiaire de l’Amicale Laïque de Collorec que j’ai commencé à participer aux Assemblées Générales de la Fédération des œuvres Laïques du Finistère, à militer au sein de cette Fédération. J’ignorais alors que j’allais jouer un rôle important dans cette asso­ciation ainsi que dans le Comité d’Action Laïque, né dans les années 1920, comme moi.


Théâtre en breton

 

Mais il fallait aller plus loin.

Comme nous étions dans un milieu bretonnant, je proposai d’aborder le théâtre en breton. Cela intéressa particulièrement les adhérents cultivateurs qui n’auraient jamais accepté de jouer en français. Mais en breton, pourquoi pas ?

Encore fallait-il trouver un répertoire.

Par l’intermédiaire de la revue Ar Falz à laquelle j’étais abonné, je savais que l’homme de la situation s’appelait Armand Kéravel, instituteur à Dirinon, près de Brest. Je me rendais donc dans cette commune ; je lui fis part de mes projets, ce qui l’intéressa vivement. Son choix se porta sur une comédie « An Dakenn Dour » (La goutte d’eau) de Jarl Priel et sur un drame « Ar Bleizi » (Les loups).

Les répétitions commencèrent pour la première pièce, avec de jeunes cultivateurs et Marguerite, parfaite bretonnante

Ce fut un très grand succès, une salle bien remplie et riant de bon cœur. Nous avions marqué un point face à la population, plutôt hostile à l’école laïque.

Sur la lancée, nous décidâmes de changer de registre et d’attaquer le drame « Ar Bleizi ».

Mais là, il m’arriva une drôle d’histoire.

Nous mettons donc en chantier cette pièce dont la trame était la suivante : la scène se passe en pleine campagne, en hiver. La terre est recouverte d un blanc manteau. Un homme, poursuivi par les loups, frappe à la porte d’une ferme pour trouver un refuge. Dans cette maison habitent des fermiers exploités par l’individu pourchassé par les loups. Cet individu, appelé « An Aotrou » (Le Monsieur) dans la pièce, se voit accueilli par l’homme qui lui ouvre sa porte, mais la femme refuse de le recevoir.


Une veillée à Rosconval en Plouyé

 

Cette histoire me rappelle une autre qui concerne également le breton que je lisais parfaitement sans trop le comprendre.

Marguerite avait des grands-parents qui habitaient le village de Rosconval, dans la commune de Plouyé. Nous nous rendions souvent, à pied, de La Montagne à Rosconval.

Un hiver, par temps de neige, il nous est arrivé de passer quelques bons moments avec eux, devant un feu brûlant dans la cheminée.

Je ne sais plus comment cela s’est produit, mais j’ai eu entre les mains un livre, qui fut pendant longtemps le livre de chevet des paysans bretons, « Buhez Ar Zent » (La vie des saints), La Bretagne ayant ses saints particuliers, évangélisateurs du pays.

Ce livre, qu’ils ne pouvaient hélas pas déchiffrer, ne sachant pas lire pour la plupart, était cependant gardé comme une relique, au coin de la cheminée, d’où sa couleur brunie par la fumée.

Ce jour-là cependant, le « miracle » eut lieu. J’ouvris le livre et commençai la lecture d’un chapitre. Je constatai que mes deux petits vieux m’écoutaient attentivement, les yeux émerveillés.

Cela voulait dire que le texte passait bien. Au bas de la page, le grand-père m’arrêtait et me résumait ce que je venais de lire. La grand-mère ne parlait pas le français, mais son mari ayant participé à des guerres coloniales au Maroc pouvait converser avec moi. Se rendant compte que je ne comprenais pas la totalité du texte, il me le résumait et l’aventure continuait.

Quel régal pour eux et quelle joie pour moi !


L’Union Sportive de Collorec

 

Après la création de l’Amicale Laïque, le théâtre en breton, il restait à trouver une autre activité pour occuper plus globalement les jeunes de la commune.

Ce ne pouvait être que par le sport, d’où la mise en place d’une équipe de football : L’union Sportive de Collorec. Le mot « Union » avait bien un sens ; il fallait rassembler toutes les bonnes volontés à travers les joueurs et les dirigeants. Epaulé par quelques instituteurs du canton encadrant les jeunes, pour la plupart enfants des commerçants du bourg les plus hostiles à l’école laïque, j’engageais l’équipe en championnat de district. Elle y tint un bon rang. Des tournois de Sixte avec les équipes environnantes furent organisés.

Le plus dur était de trouver et de conserver un terrain. Nous en avons changé plusieurs fois. C’était des champs aimablement prêtés par leurs propriétaires.


Rencontre avec l’abbé Dolou

 

Et c’est alors que tout marchait pour le mieux qu’est survenue la méchanceté qui me valut la plus heureuse rencontre, celle de l’abbé Maurice Dolou.

Un matin de septembre, rentrant de vacances, j’eus la désagréable surprise de constater que le dernier champ qui servait de terrain de foot avait été labouré.

La raison était évidente. Mécontents des succès remportés par l’Union Sportive de Collorec, de « bonnes âmes » ne trouvèrent rien de mieux que de pousser le cultivateur à labourer son champ, sans préavis.

Plus de terrain, plus d’équipe !

C’est à ce moment qu’arriva dans la commune un jeune abbé fraîchement issu du service militaire. Il venait seconder le recteur de Collorec. Très vite on lui confia le soin de remonter une équipe de football, ce qu’il réalisa en la baptisant « Les Gars de Collorec ».

Malheureusement pour lui, cette équipe essuya, dès le départ, de cinglants revers. Sans l’aide des aînés qui m’avaient soutenu, les jeunes, livrés à eux-mêmes, avaient peu de chance de gagner leurs matchs.
Un jeudi matin, j’eus la surprise d’entendre frapper à ma porte et de voir entrer dans ma cuisine un prêtre portant soutane. Je reconnus notre jeune abbé. Il s’assit à ma table et me confia rapidement l’objet de sa visite.

Mécontent des défaites des « Gars de Collorec », il venait chercher mon soutien pour étoffer son équipe.

« Vous avez, me dit-il, des instituteurs qui vous ont aidé et qui sont de bons joueurs. Ne pourrait-on travailler ensemble ? »

Je lui donnai mon accord avec cependant quelques réserves : l’équipe reprendrait le nom de Union Sportive de Collorec, adhérant uniquement à la Fédération Française de Football.

Devant un bon bol de café, la conversation s’élargit rapidement à d’autres sujets.

De fil en aiguille, il vint à me confier quelques impressions ressenties depuis son arrivée à Collorec, où il était bien reçu par les jeunes. Sachant que j’étais communiste (il y avait eu une élection municipale depuis son arrivée et j’avais constitué une liste d’opposition à la Mairie de Droite), il me dit :

« Je suis prêtre, je crois en Dieu et je défends ma religion, mais si je n’étais pas abbé, je serais un communiste, comme vous D’ailleurs quand j’étais séminariste, nous nous étions abonnés à plusieurs aux Cahiers du Communisme. « 

Puis il me parla de l’élection municipale et entama une charge contre les commerçants du bourg qui confiaient à des journalières le soin de laver leur linge au lavoir en plein air, près de l’église.

« Ces commerçants, me confia-t-il, se moquent de vous parce que dans votre profession de foi, vous avez osé demander de couvrir ce lavoir. »

Nous nous quittâmes bons amis et l’Union Sportive de Collorec repartit de bon pied.
J’eus l’occasion de retrouver Maurice en 1953, dans d’autres circonstances sur lesquelles je reviendrai.
Il quitta Collorec avant moi, ayant reçu une nomination comme Directeur d’une École Privée à Kerlouan dans le nord Finistère.

Le jour de son déménagement, je recevais un pli de l’Inspection Académique. Je devais en faire part à la Directrice de l’École des Filles située à l’autre bout du bourg (à l’époque le Directeur de l’École des Garçons recevait les circulaires administratives et les transmettait à sa collègue de l’École des Filles).

En remontant le bourg, sur le coup de midi, je remarquai le car Sizun dans lequel on embarquait les bagages de Maurice. Il était devant le car, les commerçants sur le pas de leurs portes, le saluaient de la main. Me voyant de l’autre côté de la rue, il vint vers moi et devant les spectateurs ébahis, il me serra longuement la main.

C’est une scène que je ne suis pas près d’oublier.


La vie scolaire

 

Mes activités extra-scolaires passaient évidemment après et en plus de mon travail d’instituteur.

J’avais en charge une classe unique avec tout ce que cela comporte comme préparations.

Du cours préparatoire au certificat d’études, il fallait organiser la journée. En cette année 1945, j’étais très intéressé par la pédagogie de Célestin Freinet. J’avais lu quelques ouvrages sur ce pédagogue qui, contre vents et marée, avait imaginé avant-guerre des méthodes d’éducation nouvelle. J’avais eu l’occasion d’assister à un congrès Freinet à Angers et visionné à ce moment le film « L’École Buissonnière » qui retraçait sa vie.

J’essayai donc d’appliquer ses méthodes dans ma classe, avant tout faire s’exprimer l’enfant.

J’achetai une imprimerie à l’école avec ses caractères en plomb et grâce aux textes libres des élèves, nous imprimions un journal scolaire : « Le Grillon Collorécois ».

Nous le diffusions dans la commune et l’échangions avec celui d’une école de Salon de Provence qui nous parrainait, (le parrainage était dû à une initiative du Syndicat des Instituteurs pour aider les écoles soumises à une concurrence des écoles privées).

Je trouvai rapidement un autre moyen d’expression : la marionnette.

Fabriquer des poupées avec de la pâte à papier, leur donner un visage, construire un castelet, permirent aux enfants de trouver là une occupation qui allait avoir d’heureuses conséquences. Quelques élèves qui ne pouvaient s’exprimer correctement devant moi, devenaient, à l’abri derrière le castelet, un autre personnage retrouvant le sens de la parole.

Puis nous avons imaginé de raconter, à travers ces marionnettes, des histoires puisées dans le folklore local et, un soir de Noël, dans une baraque en bois, nous avons donné un spectacle, aperçu de notre travail devant un public ravi.

Aimant la musique, j’apprenais la pratique du pipeau aux élèves, certains devenant rapidement de véritables virtuoses. Je me souviens du petit Guichoux, jouant devant un Inspecteur médusé, une gavotte endiablée.

Nous avons participé à une fête cantonale à Châteauneuf-du-Faou. Logés dans une remorque de tracteur, jouant du pipeau, notre prestation fut très applaudie, les spectateurs connaissant le combat mené à Collorec pour la survie de l’École Laïque.

Cependant, les examens de fin d’année scolaire approchaient et je devais renforcer le travail scolaire :

Bourses, C.E.P., entrée en Centres d’apprentissage. Quelques succès venaient réjouir les parents de mes élèves, ces familles qui, malgré l’environnement hostile, m’avaient confié leurs enfants.

J’avais entre temps beaucoup réfléchi sur la méthode Freinet et ne gardai que ce que je trouvais réalisable, quant à ma pédagogie personnelle. Tout ne pouvait venir de l’enfant.


Un élève inattendu

 

Un matin, je vis arriver dans ma classe un nouvel élève.

Il avait suivi deux garçons de son village et décidé de venir à l’école publique. J’étais très heureux de l’accueillir, bien entendu, quand vers dix heures j’avais la visite du Directeur de l’École Privée, l’abbé Corentin Le B… Poliment il me déclara :

« Monsieur Nédélec, le petit Grannec est chez vous, mais ses parents ne sont sûrement pas d’accord. Il faut donc les prévenir et voir ce qu’ils diront. »

Je lui fis la promesse d’aller à midi informer ses parents de la situation. Ils furent bien étonnés et me dirent que leur enfant devait retourner à l’Ecole Privée.

Pendant ce temps, ce garçon avait mangé à la cantine. Il retourna dans l’après-midi à l’École Privée.

Cette histoire eut une suite. Quelques années plus tard, l’école publique avait été fermée, faute d’élèves, et transformée en Maison pour tous. Le bâtiment était bien plus beau qu’au temps où j’y exerçais. Je retrouvai cet élève inattendu. C’était lors d’un fest-noz organisé dans cette salle communale. Je m’y étais rendu de Brest avec un garçon que j’avais élevé quand j’étais à Collorec (je raconterai son histoire plus loin).

Alors que j’étais accoudé au comptoir, un homme vint vers moi et me demanda si je le reconnaissais.

C’était mon visiteur d’une matinée à l’école publique de Collorec. Marié, père de famille, il me parla de son passage éclair dans ma classe, combien il avait été heureux de cette matinée, se souvenant en particulier de la leçon de géographie qui était à l’emploi du temps, du repas à la cantine. Bref une matinée dont il avait gardé un bon souvenir.

J’ai su par la suite, par l’intermédiaire du Syndicat des Instituteurs, qu’une pétition circulait à Collorec pour la réouverture d’une École Publique (il n’y avait plus ni Ecole de Filles, ni École de Garçons) et que Monsieur Grannec était l’initiateur de cette pétition.

Parmi mes souvenirs, cet épisode est un de ceux qui m’ont le plus touché dans ma vie.


Morale et religion

 

J’avais dans ma classe trois élèves d’une même famille, la famille Coquil, du village de Penn Ar Vern, apparentée à celle du Président de l’Amicale Laïque, Pierre Coquil. Trois garçons intelligents et que je tenais à conserver.

Avant la rentrée d’octobre, Marguerite et moi avions l’habitude d’aller à la collecte de pommes de terre pour la cantine. Pour ce faire, nous nous rendions à la ferme de Penn Ar Vern, quand un voisin nous dit : « l’abbé C… est chez les Coquil. » Raison de plus pour y aller, car nous savions pourquoi il était là : ramener les trois garçons dans son école.

En effet, l’abbé était déjà en grande discussion avec les parents quand nous entrâmes dans la maison. Ce fut pour lui évidemment une mauvaise surprise. Le dialogue était inévitable et à un moment on en vint à parler de morale.

« II n’y a pas de morale à l’École Laïque, affirma le prêtre, car il n’y a pas de morale sans Dieu. »

Je protestai, arguant qu’à l’Ecole Laïque, si l’on ne se réfère pas à Dieu, on s’honore quand même d’élever les enfants dans le droit chemin. Le prêtre insista et affirma :

« Vous savez bien que les criminels, les condamnés sortent tous de l’École Laïque (sic). » II quitta la ferme avant nous. Et les trois Coquil retournèrent à l’Ecole Laïque. Les deux grands frères furent reçus à l’examen des Bourses, mais le plus jeune, le petit Yves, subit un sort, hélas, plus tragique.


Dimanche 10 septembre 1950 : Tragique accident

 

Ce dimanche 10 septembre 1950, le décès de Yves Coquil est venu endeuiller sa famille, l’école, la commune. Comme l’indique l’article du journal, le drame s’est déroulé au début de l’après-midi. Nous nous apprêtions à sortir pour une promenade quand nous avons eu connaissance de l’accident.

Enfourchant notre tandem, nous nous sommes rendus aussitôt sur les lieux. Yves gisait encore sur la route. Nous nous sommes rapprochés de lui, il était hélas bien mort. Comment dire notre émotion. Le corps ramené à Penn Ar Vern, notre première préoccupation fut de prévenir le père Yvon Coquil. Il travaillait à la poudrerie de Sevran en Seine-et-Oise.

Lui aussi était parti se promener avec un camarade. La direction prévenue alla l’avertir. Imaginez sa douleur.

Ce fut pour nous un drame terrible.

Collorec

UN GARÇONNET DE 11 ANS EST
HEURTÉ PAR UN CAR 

il décède quelques instants après

Hier, vers 14 heures, le car Martin, de La Feuillée, se rendait avec l’équipe de football de Huelgoat à Plonévez-du-Faou.

Au croisement de la route départementale et du chemin vicinal de Pen-ar-Vern, le car heurta violemment le jeune Yves Coquil, âgé de 11 ans, qui venant de chez lui débouchait au même endroit à bicyclette.
L’enfant vécut quelques secondes, après avoir eu juste le temps d’appeler ses parents et de dire où il habitait.
La gendarmerie de Châteaulin arrivée sur les lieux, effectua son enquête et le docteur Delaporte, mandé d’urgence, constata le décès dû à une fracture à la base du crâne. La jambe gauche était cassée en deux endroits.

Habitant le village de Pen-ar-Vern, le petit Yves Coquil était un excellent élève de l’école publique de garçons de Collorec. Ses obsèques auront lieu mardi matin.

A sa maman, à son papa, ouvrier à la poudrerie de Sevran (Seine-et-Oise), à ses frères et sur, « Ouest-Matin » adresse ses sincères condoléances.

COLLOREC
Après l’accident mortel
de dimanche

Les obsèques du jeune Yves Coquiï, tué accidentellement dans l’après-midi du Dimanche 10, par le car de M. Martin, de La Feuillée, ont été célébrées mardi en présence d’une foule nombreuse et recueillie, l.a douleur des parents qui viennent de se voir ravir un enfant aux qualités exceptionnelles, était partagée par toute la commune et nombreuses étaient les gerbes de fleurs portées par les camarades d’école du petit disparu M Grannec, maire de la Commune, MM. Bernard et Corbel, conseillers municipaux, M. Fagon, pharmacien à Huelgoat, qui avait apporte une magnifique gerbe offerte par l’L’U.S. Huelgoat, asssistaient à la cérémonie. Les élèves de l’école publique des garçons, porteurs des gerbes, étaient encadrés par une délégation d’élevés de l’école publique de filles

L’enquête sur les causes de l’accident suit son cours, mais d’ores et déjà nous nous devons d’attirer l’attention des autorités responsables sur l’insuffisance de signalisation des chemins communaux aboutissant aux routes départementales et nous réclamons pour les écoles de la commune des panneaux « Attention Ecole ». destinés à prévenir les automobilistes de la présence de bâtiments scolaires, la sécurité des enfants en dépend.


Le bal de la cantine

 

Mon séjour à Collorec a été marqué par beaucoup d’événements, mais celui-ci est le cas le plus typique d’une mentalité rétrograde et mesquine.

Dès notre arrivée dans la commune, constatant qu’un certain nombre d’élèves, venant de villages éloignés du bourg, se contentaient, à midi, d’un casse-croûte pris à la hâte, le plus souvent pain et lard, l’idée nous est venue d’ouvrir une cantine avec les moyens du bord : notre cuisine pour commencer et seulement pour quelques enfants de l’école des garçons.

Mais très vite, sollicités par les enseignantes de l’école des filles, où il y avait trois classes, il nous fallait trouver de nouveaux moyens, et donc de l’argent pour acheter du matériel.

Tout d’abord, afin de nous mettre à couvert par rapport au financement de la cantine, nous avons créé un Comité avec quelques personnes de bonne volonté.

Trouver de l’argent. Mais comment ? Pourquoi pas un bal ? Nous savions qu’étant donné les répercussions, dans le canton, de nos progrès en effectifs à l’école, nous aurions du monde.

Mais à Collorec, l’Église interdisait les bals le dimanche (jour du Seigneur). Depuis, les temps ont changé : mais c’était comme cela à l’époque.

Alors, un certain soir, nous sommes allés à la rencontre de Monsieur le Maire, un bien brave homme, mais sans autorité, subissant l’influence des ennemis de l’école publique et notamment de la secrétaire de mairie.

C’est dans sa ferme que nous lui avons expliqué le but de notre visite. Monsieur le Maire parut sensible à nos propositions et nous donna, oralement, son accord.

Satisfaits de sa réponse, nous nous sommes mis au travail pour préparer ce bal de la cantine, fixé à un dimanche soir, dans une salle de l’École : orchestre, affiches, etc… Tout allait bien, quand le mercredi précédant le bal, je reçus une lettre de la Mairie annonçant que le Conseil Municipal refusait la tenue de ce bal à l’École. Le Maire avait subi une pression de nos adversaires. Que faire ?

Je bondis à la Poste et téléphonai à l’Inspecteur d’Académie, Jean Debiesse. Il connaissait bien ma situation, sa réponse fut rapide : « Je vais immédiatement en parler au Préfet. »

Et le lendemain arrivait à la Mairie un télégramme de la préfecture autorisant le bal de l’École.

Inutile d’ajouter, l’affaire ayant fait grand bruit dans le canton, le succès remporté. L’argent recueilli nous permit d’acheter tables avec chevalets, matériel de cuisine plus adapté etc…

Georges Thomas, à l’époque Directeur de l’École Publique de Kergloff et Rédacteur en chef de l’Action Laïque du Finistère et qui, plus tard, installé à Brest, écrivit sur cette ville plusieurs ouvrages, présida la Société d’Etudes de Brest et du Léon qui publiait les Cahiers de l’Iroise, rédigea le pamphlet suivant :

ACTION LAÏQUE du Finistère
Numéro 6 juillet-Août 1946

Dédie à Monsieur le Maire de Collorec.

Je ne sais, Monsieur le Maire, si vous aimez les histoires, entendons-nous : les contes, les nouvelles Dans mon jeune âge, j’en raffolais et aujourd’hui encore, je les goûte fort. Je suppose donc que vous êtes comme moi et vous me permettez bien de vous en conter une.

Ecoutez donc. Cela se passe en 1820, en Touraine, ce délicieux pays rabelaisien où l’on goûte pleinement la joie de vivre. Le curé de Veretz « homme sensé, instruit, octogénaire quasi, mais ami de la Jeunesse »‘, assiste sur le pas de sa porte aux ébats innocents des jeunes gens qui dansent au son des violons.
Dans la commune d’Azay, toute proche, le curé, « jeune homme bouillant de zèle, conscrit de l’église militante »‘, a interdit, lui, grâce aux bons offices du préfet, toute danse, semblant vouloir transformer sa riante paroisse en « un sombre couvent de la Trappe ».

Voilà toute l’histoire, Monsieur le Maire. Elle n’est pas de moi. Je l’ai dénichée dans Paid-Louis Courier, qui, outré d’une telle attitude, adresse à ce propos une pétition à la chambre des députés « pour les villageois qu’on empêche de danser ».

Qu’en pensez-vous, Monsieur le Maire ? Voulez-vous être rangé parmi les disciples du curé d’Azay ?
Tout le laisse supposer puisque vous refusez l’autorisation de faire bal dans une salle de l’école publique de Collorec, au profit de Ia cantine, et ceci, pendant les vacances. Je sais, la cantine est un danger pour l’école libre concurrente. Pensez donc ! L’école laïque n’avait qu’un élève en octobre dernier et elle en compte vingt-et-un maintenant, sans parler des inscriptions pour la rentrée.

Aussi, je comprends fort bien votre réplique au directeur de l’école qui sollicitait l’autorisation : « Si vous voulez des « sous », faites payer plus cher les élèves. Pourquoi faire une cantine ? Pour si peu de garçons ! »
Je le comprends, dis-je, car je sais qu’elle n’est pas de vous, on vous l’a « soufflée ».
Alors, Monsieur le Maire, soyez large d’idées. Si vous voulez passer pour un « républicain » et si vous vouiez, être « populaire » ailleurs que dans votre « mouvement » accordez donc l’autorisation dans l’intérêt des enfants de vos administrés.

Et maintenant, si vous avez un instant, allez donc trouver votre « souffleur » et dites-lui de vous lire une page de « l’Écriture » où se trouve ce passage « le saint Roi David dansa devant l’arche du Seigneur et le Seigneur le trouva bon, il en fut aise ». Ne soyez donc pas plus royaliste que le Roi des Rois, qui, lui, prenait plaisir à la danse. »

Georges THOMAS

Directeur de l’École Publique de Kergloff

Je n’ai qu’un regret. C’est que, pendant sept ans, Marguerite a travaillé durement à la cantine et que ne l’ayant pas déclarée à la Sécurité Sociale, j’ai amputé sa modeste retraite d’une somme importante. Mais voilà, on est jeune, on est militant plein d’enthousiasme et on oublie qu’il y a des vieux jours qui vous attendent.

J’ajoute un petit détail, pour clore sur cette histoire rocambolesque de cantine.

En 1945, l’école publique de Collorec n’avait pas l’eau courante ! Pour alimenter la cuisine de la cantine de ce précieux liquide, il me fallait me rendre au puits qui existait dans la cour. A l’aide d’une chaîne métallique, je remplissais les seaux nécessaires.

Il survenait parfois une cassure de cette chaîne. J’allais chez un voisin de l’école demander un grappin grâce auquel je pouvais récupérer le seau.

Et ceci pouvait survenir en plein hiver. Imaginez la scène !


Rencontre avec Jean Debiesse, Inspecteur d’Académie

 

Mon premier contact se produisit lors de ma sortie du bureau de Monsieur Bourbao, alors que je venais d’obtenir le poste d’instituteur chargé d’école à Collorec. Il était là, dans le couloir de l’inspection Académique. Il me fit entrer dans son bureau, lui ayant demandé une entrevue sur-le-champ. C’était pour expliquer cette situation du hameau de Pénity-Saint-Laurent, à la limite de quatre communes.

Cette entrevue eut un résultat immédiat.

L’école s’ouvrit donc dans un local des Eaux et Forêts situé sur la commune de Kergloff, puis déménagea pour venir en Landeleau, où elle fut construite en dur, après deux passages dans un hangar du boulanger et la salle de danse de Monsieur Guichoux.

Une autre école de hameau allait voir le jour, dans les circonstances suivantes :

Un beau matin, je vois entrer dans ma classe unique, l’Inspecteur d’Académie. C’est toujours impressionnant pour un instituteur débutant, cette apparition d’un supérieur aussi haut placé.

La glace allait vite être rompue. Ayant entendu parler d’une ouverture possible d’une école publique à Saint-Herbot, au fin fond de la commune de Plonévez-du-Faou, il venait me demander de le conduire à cet endroit afin de juger de l’opportunité de cette ouverture. J’étais en blouse grise, portant des sabots de bois. Je lui expliquai qu’ayant une classe unique, je pouvais difficilement m’absenter. Ce à quoi il rétorqua :

« Votre collègue de l’Ecole des filles s’en chargera. » (Des trois classes que comportait l’École des Filles, située à l’autre extrémité du bourg, une d’entre elles, la classe enfantine, fonctionnait à l’Ecole des Garçons).

Et me voilà parti dans la voiture de Jean Debiesse. En cours de route, la conversation s’engagea. À un moment donné, l’Inspecteur d’Académie me confia :

« Monsieur Nédélec, vous faites du bon travail à Collorec pour la promotion de l’École Laïque. Continuez et quoi qu’il arrive, je vous couvrirai. » Quand on entend ces paroles d’un « chef », rien ne peut vous arrêter (voir l’affaire du bal de la Cantine).

Plus loin, il ajouta :

« II vous manque un élément pour parfaire votre autorité dans la commune. Vous devriez ouvrir un Cours Post-scolaire Agricole. »

N’ayant aucune formation dans ce domaine, je lui répondis que cela me semblait difficile. Il réussit à me convaincre en me faisant miroiter l’obtention d’un « Certificat d’Aptitude à l’enseignement Agricole », à l’issue d’un stage à l’Ecole d’Agriculture de Bréhoulou en Fouesnant. Ce qui se réalisa effectivement.


Affrontement avec le Directeur de l’Ecole Privée

 

Je fais ici une grande parenthèse. L’ouverture du Cours Postscolaire Agricole me valut avec le Directeur de l’École Privée une solide empoignade.

Un dimanche matin, j’entends quelqu’un me héler sous ma fenêtre. C’était l’abbé Jean C… le Directeur de l’École Privée, accompagné du crieur public qui, à la sortie de la messe, donnait les nouvelles concernant la commune, debout sur la « pierre », comme on disait (mur surélevé pour qu’on l’entende mieux). C’était un des adversaires les plus acharnés de l’Ecole Laïque.

J’étais au premier étage, j’ouvre la fenêtre et j’entends :

« Monsieur Nédélec, vous n’avez pas le droit d’ouvrir un cours postscolaire agricole ! J’ai la priorité car notre cours postscolaire agricole existe avant le vôtre.

En fait, il s’agissait, en ce qui le concernait, d’un cours par correspondance de l’Office Central Agricole de Landerneau.

Je l’invitai à entrer dans la cuisine pour qu’on s’explique calmement, mais ses vociférations augmentant, je décidai de fermer la fenêtre et de rompre cette agression, les laissant partir furieux.

Bien entendu, les cours ouvrirent malgré lui.

Quel contraste avec la visite de l’abbé Maurice Dolou, qui vint quelques temps plus tard, m’inviter à collaborer avec lui pour la bonne marche de l’U.S. Collorec.


Retour vers Saint-Herbot

 

Arrivé à Saint-Herbot, Jean Debiesse examina les lieux et me demanda de trouver rapidement un local pour que l’école puisse démarrer.

Ce qui fut fait rapidement grâce à l’amitié qui me liait, pour des raisons politiques, à un cultivateur. Monsieur Vern, qui mit une grange à notre disposition. Il fallut l’aménager. Les bras ne manquèrent pas et ce fut l’inauguration en grande pompe.

J’ai conservé l’article écrit par Louis Priser, correspondant du journal Le Télégramme de Brest, relatant cet événement. Louis Priser, une des figures marquantes du Huelgoat, fournissait aussi à l’Action Laïque du Finistère de nombreux articles dont plusieurs contes évoquant le milieu qui l’entourait. Le papier jauni du journal m’oblige à recopier ces lignes, mais je crois qu’elles en valent la peine :


L’inauguration de l’École Publique de Saint-Herbot

 

Nichée dans son creux de verdure, la bourgade touristique de Saint-Herbot s’agglomère autour de son église médiévale au jubé célèbre et ne se départit de son calme isolement qu’aux grands jours des deux pardons annuels.
Samedi cependant, rompant avec la tradition des fêtes votives, Saint-Herbot verra sa première manifestation laïque : l’inauguration de son école publique, promise depuis trente ans, mais depuis hélas, désirée par les populations environnantes séparées de la plus proche école de Loqueffret de cinq kilomètres.

Plus de cinq cents personnes assistaient à cette fête familiale dans la cordialité d’une même pensée et d’un même sentiment pour l’école. Il y a là ses créateurs : Messieurs Debiesse, Inspecteur d’Académie, Collobert et Thomas, Inspecteurs Primaires, Bocage et Bourbao de l’Inspection Académique, ses réalisateurs, les volontaires qui l’édifièrent spontanément et gratuitement : Messieurs Vern, Le Grand, Kéruzoré, Cochennec, Coton, Falchier, Morvan, Riou, Magadur, Rannou, Menez, Toutous Frères, Quiniou, Tromeur, Forloroux, Kerangueven, Tosser, Picart, Jaffré, Le Goff, Gourlay. Des Instituteurs, l’U.J.R.F. de Huelgoat, qu’il faut tous citer, parce qu’ils furent à la peine, les nombreux amis de l’école laïque que compte la région de Huelgoat : maires, adjoints au maire, conseillers municipaux, délégués cantonaux, institutrices et instituteurs etc… dont nous ne pouvons produire la trop longue liste

A seize heures la fête débuta par un chant exécuté par les enfants de la nouvelle école, sons la direction de Mademoiselle Rolland, qui fut fort applaudi. Puis les élèves des deux écoles de Huelgoat chantèrent avec nuance et expression le chœur « Hymne à l’école laïque » sous le direction de Monsieur Gourlay

Monsieur Collobert, Inspecteur Primaire à Châteaulin procéda alors à l’ouverture officielle de l’école et prononça un discours où il dit sa joie de fêter cet évènement heureux et il ajouta : « cette école est un symbole, Elle est la preuve de ce que peuvent l’union et la solidarité, quand celles-ci ne sont pas de vains mots . Et Monsieur l’Inspecteur termina par ces mots qui furent vigoureusement applaudis : « que vive et prospère la jeune école de Saint-Herbot et vive notre grande école laïque ».

Après que le chœur mixte des élevés de Huelgoat eut chanté « sur les monts » avec le talent qui lui est coutumier, Monsieur Debiesse, Inspecteur d’Académie, duquel Monsieur Collobert venait de dire qu' »à peine arrivé dans le Finistère, il se révéla le chef laïque que nous attendions », prononça une allocution dans laquelle il rappela les difficultés de toute sorte rencontrées par ceux qui, à force de volonté et de hardiesse, réussirent à édifier la nouvelle école. École bien modeste encore pour ses débuts, mais qui, sûre de l’appui de tous ses amis, ne pourra aller qu’en prospérant. Il termina son allocution par ces mots :

« Mesdames, Messieurs, mes enfants, vous avez ici votre école ; elle est née dans une crèche. Je lui souhaite ainsi qu’à l’idéal laïque dont elle est le fruit concret, le même rayonnement, le même succès qu’eut la doctrine de celui qui, il y a près de deux mille ans naquit aussi dans une crèche. »

De frénétiques applaudissements saluèrent ce discours qui est un acte de foi et d’espoir en l’école laïque et en ses principes, et qui caractérise avec acuité, le tempérament de l’homme d’action qu’est Monsieur Debiesse qui délaissa prématurément ses troupes, non sans avoir laissé son empreinte.

Après avoir écouté avec recueillement la « Marseillaise », les auditeurs se rendirent chez Monsieur Noël Guillou, où un vin d’honneur, offert par Monsieur l’Inspecteur d’Académie fut servi dans une atmosphère joyeuse.

Tout cela est dit dans un langage très Troisième République, mais Louis Priser décrit bien l’atmosphère qui régnait ce jour-là à Saint-Herbot.

Dans le même temps, une troisième école de hameau voyait le jour à Saint-André, en Châteauneuf-du-Faou. Saint-André, Saint-Herbot, Saint-Laurent, trois écoles laïques sous l’égide de trois saints ! Hélas, les campagnes se sont dépeuplées. Dans ces trois écoles en dur, on n’entend plus résonner les sabots des élèves. Il reste le souvenir d’un militantisme laïque qui échauffait les cœurs en ces années d’après la Libération.


Dernières rencontres avec Jean Debiesse

 

Après l’inauguration de l’école de Saint-Herbot, j’ai eu la chance de revoir Jean Debiesse en plusieurs occasions.

Tout d’abord, le 24 novembre 1945, à Quimper, où se tenait un important meeting laïque, placé sous sa présidence.

Puis au printemps 1946, à Morlaix. Ami de Frédéric Joliot-Curie, grand scientifique comme lui, il était venu à la fête fédérale du Parti Communiste Français, comptant le rencontrer. Il ignorait que Joliot-Curie, malade, ne pouvait être là. Jean Debiesse est resté cependant à la fête, circulant parmi les stands, est monté à la tribune pendant les discours alors que la foule chantait l’Internationale.

Ayant assisté à plusieurs Assemblées Générales de la Ligue Française de l’Enseignement et de l’Education Permanente, j’avais le plaisir de le revoir, présidant les séances plénières.

Enfin, en 1976, alors que j’étais secrétaire général de la Fédération des œuvres Laïques, je l’avais invité à l’inauguration du Centre Fédéral réalisé rue Dixmude à Brest. Il est venu et le plaisir fut immense de le retrouver à nouveau.
Ce fut mon dernier contact. Il disparut quelque temps après. Je garde le souvenir d’un citoyen dont j’ai pu apprécier ce qu’il fit en une année pour le développement de l’Ecole Laïque et des œuvres Post et Périscolaires.


Des visites nocturnes

 

Au lendemain de la guerre, il se trouvait à Collorec, des vieilles personnes ayant encore un fils sous les drapeaux et pouvant prétendre à une aide financière pour compenser cette absence.

Une dame, à qui la secrétaire de mairie avait affirmé qu’elle n’avait aucun droit en ce domaine, est venue me trouver. Ayant examiné le dossier, je me suis rendu compte qu’il y avait de la mauvaise volonté de la part de la Mairie. Je décidai d’écrire à Rennes à l’office des anciens combattants et cette brave dame eut le plaisir d’avoir satisfaction.

La nouvelle se répandit dans la commune et j’eus à résoudre plusieurs cas semblables. Mais on venait à l’école publique, la nuit tombée, pour ne pas être remarqué en rasant les murs.

« Pensez donc, si on m’avait vu aller à l’école du diable. »

C’est là un des aspects de mon activité sociale.


Arrivée dans notre foyer de Jean-Pierre et Yannick

 

Nous n’avons pas eu d’enfants, mais nous les avons largement remplacés par ceux que nous avons élevés.

Il y a d’abord Pierre-Louis, jeune frère de Marguerite qui, dès l’âge de six ans a quitté La Montagne pour venir avec nous à Loqueffret.

Puis un bonheur nous est arrivé, quand un marin d’Etat est venu nous trouver pour nous demander de prendre en pension ses deux garçons. Il venait de divorcer et, devant repartir en mer, il ne savait où les placer. C’est une amie, coiffeuse à Collorec, qui lui avait conseillé de venir nous voir pour trouver une solution.

Nous n’avions pas de pensionnat, et nous lui proposâmes de prendre ses deux garçons avec nous, dans le milieu familial. C’est ainsi que Jean-Pierre et Yannick sont entrés dans notre vie.

Jean-Pierre est arrivé le premier, garçon déjà déluré. Yannick, âgé de dix-huit mois, quelques jours après. C’est dans notre cuisine qu’il a fait ses premiers pas.

Pendant cinq ans, ils ont vécu avec nous comme nos propres enfants, avec une nuance : Marguerite ils l’appelaient maman, moi j’étais le tonton. Ils nous ont suivis à Brest, où j’ai été nommé en 1952.

Puis le père s’est remarié pour s’établir à Plouyé. La séparation a été douloureuse et nous les avons perdus de vue pendant quelques années, avec de temps en temps quelques nouvelles.

Devenus adultes, Jean-Pierre et Yannick se sont mariés, ont eu des enfants. Jean-Pierre est loin, en Haute-Savoie, ou il a eu le malheur de perdre sa femme, accidentellement. Yannick vit à Brest, avec Eliane, son épouse native de Cléden-Poher, dans un village séparé de La Montagne par l’Aulne. Curieuse coïncidence ! Leurs deux enfants nous ont appelés pépé et Mémé dès leur plus jeune âge et, devenus adultes Ronan et Gwenaëlle demeurent nos petits entants, de même que ceux de Pierre-Louis qui, lors de la naissance de la première petite-fille, m’a appelé à onze heures du soir pour m’annoncer que j’étais arrière-grand-père.

N’est-ce pas la une merveilleuse aventure qui me fait dire quand on me demande si j’ai des enfants, je réponds :

« Non, mais j’ai des petits enfants », cela provoque l’étonnement de mon interlocuteur. Une explication est évidem­ment nécessaire. Je n’oublierai pas non plus les nombreux autres enfants hébergés chez nous temporairement, fils ou filles de parents, d’amis comme le garçon de Daniel Trellu, mon camarade des Chantiers de Jeunesse de 1940. Son fils, Yves Trellu fut pendant un an notre hôte aux Quatre Moulins à Brest.


Progrès électoraux

 

Dès 1945, une série d’élections allaient bouleverser la commune de Collorec où les voix de la Gauche en général et du Parti Communiste en particulier étaient largement minoritaires.

Sous la coupe de l’Église et des hobereaux, la population était largement hostile aux idées socialistes qui avaient pris de l’ampleur au plan national avant la guerre de 1914, sous l’influence notamment de Jean Jaurès.

J’ai entendu raconter qu’avant la guerre de 1939, un voyageur de commerce, portant barbiche et ressemblant étrangement au député socialiste de Morlaix, Masson, s’était vu houspillé par les commerçants du bourg qui l’avaient pris pour ce député.

Vinrent donc ces élections : législatives, municipales. La cellule communiste constituée après mon adhésion au Parti Communiste, s’activa à marquer sa présence : collage d’affiches, tracts, réunion publique, présence au bureau de vote.

Si bien qu’en trois élections, les suffrages communistes, inférieurs à cent auparavant, passaient à cent-un, cent-quinze, puis cent-trente-deux. J’ai encore ces chiffres bien en tête. C’était la preuve qu’une organisation, si petite soit-elle, en se faisant connaître, permettait aux citoyens de se tourner vers le Parti qui, à l’époque, avait le vent en poupe. N’avait-on pas trois députés communistes dans le Finistère : Alain Signor, Gaby Paul, Pierre Hervé.


Quelques difficultés

 

« L’instituteur ne doit pas faire de politique ».

C’est une des idées reçues que j’entendais parfois. En ce qui me concerne, mon activité politique n’a pas nui à l’école, puisque mon effectif monta jusqu’à vingt-huit élèves.

Il y eut cependant des moments difficiles. Un certain soir, un responsable fédéral du Parti est venu pour une réunion électorale qui s’est tenue sous le préau de l’école. Jos Le Coz était un militant qui avait du coffre et pouvait tenir un meeting en plein air. Ce soir là cependant, il n’alla pas jusqu’au bout de son discours.

À un moment donné, on vit se dresser derrière le mur mitoyen, face au préau, une cohorte d’individus entonnant des cantiques à pleine voix, arrivant à couvrir les paroles de l’orateur.

Les élections ne manquaient pas de sel parfois. Lors d’une élection municipale, un différend m’a opposé à la Municipalité. Un litige est survenu sur des bulletins de vote qui, étant donné quelques imprécisions sur les noms de deux candidats, auraient dû entraîner leur annulation.

Il y avait vingt sept bulletins dans ce cas et il s’agissait d’un doute concernant deux candidats, portant le même nom : Nédélec, sur deux listes de droite. Je n’étais en rien concerné. Tout bonnement, le Maire proposait de couper la poire en deux, ce qui permettait à ces deux candidats d’être élus au premier tour. Je contestais cette décision et demandais que ces bulletins soient considérés comme nuls, en faisant remarquer non sans ironie que vingt-sept était un nombre impair.

Le procès verbal passait outre ma remarque et je refusais de le signer.

Dès le lendemain, j’écrivais à la préfecture pour faire appel. J’obtenais satisfaction et une élection complémentaire fut organisée avec deux candidats : un Nédélec de droite, un Nédélec de gauche. Curieusement, j’obtenais à cette occasion le soutien d’électeurs de droite, tout heureux d’avoir vu contester l’attitude de cette municipalité qu’ils ne portaient pas dans leur cœur. Malgré un nombre important de voix, je ne fus pas élu, mais cette leçon de civisme avait porté et mon autorité avait grandi.


Problèmes au sein du Parti Communiste

 

Nouvel adhérent du Parti Communiste Français, j’assistais à la neuvième Conférence Fédérale les 10 et 11 août 1946, dans la salle des fêtes de Quimper. Jeannette Vermeersch, femme de Maurice Thorez représentait la direction nationale.

Quel ne fut pas mon étonnement de l’entendre reprocher à Alain Cariou, avec violence, je ne sais quels manquements à son travail de dirigeant.

Ce fut la première grande surprise d’un jeune adhérent. Alain Cariou, pris pour cible encore lors de la treizième conférence fédérale à Douarnenez, les 4 et 5 mars 1950, en présence de Jacques Duclos.

J’ai conservé les documents de l’époque et quand je les relis, en ce début du XXIe siècle, je demeure effaré devant ce qui est écrit.

Dans un chapitre intitulé La Critique et L’autocritique, je note:

« Le camarade Cariou doit encore aller plus loin et rechercher ailleurs crue dans son tempérament la source de ses erreurs. Et, si ce premier pas signifie chez lui une victoire de l’esprit de parti sur l’amour-propre petit-bourgeois, il y manque encore l’essentiel : une participation beaucoup plus active à la correction des erreurs qui se sont répercutées dans l’ensemble de la Fédération, en pre­mier lieu dans le mouvement laïque. »

Je dois dire combien Alain Cariou m’a ouvert d’horizons, lors d’une École Fédérale qu’il dirigeait à Tal Ar Groas en Crozon, dans les années 1950. Quand on sait la fidélité de ce camarade au Parti Communiste, le rôle important qu’il a joué dans le mouvement laïque (j’y reviendrai), j’ai toujours trouvé les critiques contre lui injustifiées.

Jeannette Vermeersch est décédée le 5 novembre 2001. Elle avait formé, avec Maurice Thorez, décédé en juillet 1964, ce couple mythique du P.C.F, pendant les années 1945-1960. Mais elle est demeurée sur des positions staliniennes, démissionnant du Bureau Politique et du Comité Central en octobre 1968, après avoir refusé de condamner l’intervention soviétique en Tchécoslovaquie. Elle fut l’illustration de ce que je trouve écrit dans le rapport pour la Conférence Fédérale de mars 1950 à Douarnenez.

« Il ne peut pas y avoir deux lignes dans le Parti. Il y a une seule ligne, la ligne révolutionnaire du prolétariat, la ligne léniniste, stalinienne du Parti Communiste »

Cet autoritarisme du Parti Communiste, je l’ai ressenti à plusieurs reprises, dans ces années-là la section de Plonévez-du-Faou, à laquelle appartenait notre cellule de Collorec, comptait à l’époque une quarantaine de membres. Lors d’une élection municipale, nous avions fait le choix de nos candidats. Je me souviens que Marie Lambert, députée du Finistère et dirigeante fédérale, est venue à Plonévez-du-Faou critiquer notre choix, tout en voulant imposer celui de la Fédération.

Dans une autre circonstance, je me suis trouvé à Châteauneuf-du-Faou, à une réunion avec Alain Signer, lui aussi député du Finistère. C’était un jeudi, et nous discutions sur un texte destiné à une imprimerie de Morlaix, qui devait le tirer le lendemain, vendredi. Il y avait une élection cantonale partielle le dimanche suivant. Il nous fallait ce tract très rapidement pour le distribuer aux électeurs. Quelqu’un devait se rendre à Morlaix dès le vendredi matin

Alain Signor me proposa. Je lui répondis fermement : «Non», mettant en avant le fait qu’étant instituteur, je n’allais pas abandonner ma classe, alors que je venais de remonter l’effectif scolaire.

Dans une autre occasion, ce fut un « oui » du bout des lèvres que je fis à Alain Signor, alors que je penchais plutôt pour le « non ».

Dans le domaine de la suspicion, il s’est trouvé que lors d’une manifestation syndicale, je m’étais rendu à Brest. C’était dans les années 1950, à une époque où le climat social était lourdement chargé.

Edouard Mazé avait été tué par balle en 1951. Ouvrier du bâtiment, les gendarmes l’avaient froidement abattu pendant la manifestation et vingt mille personnes avaient assisté à ses obsèques.

À l’issue du défilé, je suis entré dans un des cafés qui garnissaient les Glacis, devenus Place de la Liberté, cafés en baraques, héritage de la destruction de Brest. Je me dirigeais vers le comptoir où je trouvais en grande discussion un policier en civil que je connaissais bien, puisqu’il était de Saint-Herbot, haut-lieu d’une manifestation laïque qui avait eu lieu en 1946. Nous nous serrâmes la main, et, ayant discuté un peu avec lui, je me suis fait interpeller, lors de la sortie, par une conseillère municipale communiste. Elle n’avait pas apprécié mon comportement avec un « flic » et me le fit ouvertement savoir.

Ces quelques accros dans le climat d’une époque révolue ne peuvent effacer tout ce que j’ai trouvé d’exaltant par la suite dans différents aspects de mes activités politiques, syndicales et laïques.


Activités syndicales

 

Le Syndicat National des Instituteurs (S.N.I.) était naturellement celui auquel j’allais adhérer. La section du Finistère avait été créée en septembre 1918 sur l’initiative de Josette et Jean Cornec, instituteurs à Daoulas. J’ai eu le plaisir de militer avec Jean Cornec au sein du Comité d’Action Laïque et j’en garde un excellent souvenir. Son fils, Jean Cornec, à une époque Président de la Fédération des Conseils de Parents d’Elèves (F.C.P.E.), avocat de métier, a mis son verbe au service de l’École Publique, dans de nombreuses manifestations auxquelles j’ai assisté.

Affilié a la C G.T. (Confédération Générale du Travail), le SNI a été dissous an moment de la guerre 1939-1945, par le régime En 1945, ce syndicat est reconstitué et, comme avant-guerre, il est toujours traversé par différents courants qui remontent aux origines du mouvement socialiste en France.

C’est en février 1948, que Karl Marx et Friedrich Engels publiaient le Manifeste du Parti Communiste qui se termine par la phrase célèbre ; «Prolétaires de tous les pays, unissez-vous.»

Les idées développées par Marx et Engels allaient influencer largement les socialistes français, qui, jusqu’en 1905, formaient différents groupements et partis qui ne se faisaient pas de cadeaux, et c’est à cette époque que l’on trouve un clivage qui existera entre Réformistes et Révolutionnaires.

Eh bien, ce clivage existait au SNI au moment où je commençais à militer, et dans le Finistère, les dirigeants pouvaient être classés dans la catégorie des Réformistes. Dans le canton de Châteauneuf-du-Faou, nous étions plusieurs jeunes instituteurs qui nous sentions plutôt dans le camp des Révolutionnaires, adhérents ou proches du Parti Communiste. Et les heurts étaient parfois violents. Je me souviens d’une réunion cantonale où le secrétaire général du SNI, Jean Le Pemp, vieux briscard de la vie syndicale, savait, par ses propos anticommunistes, nous provoquer et attiser notre colère.


1947 : création de la F.E.N.-C.G.T.

 

1947 va être une année cruciale dans la vie syndicale : c’est l’éclatement de la C.G.T. L’histoire du monde syndical a été marquée dès le départ par un affrontement entre ces deux courants du monde ouvrier : Réformistes et Révolutionnaires.

Déjà en juillet 1921 , une scission était intervenue. Les Révolutionnaires avaient quitté la C.G.T. et formé une nouvelle centrale : la C.G.T.U. (CGT Unitaire). Cette scission faisait suite à la scission politique qui se produisit au congrès de Tours du Parti Socialiste. Le 25 décembre 1920, !a majorité du congrès adhérant à la troisième Internationale formait le Parti Communiste Français.

La C.G.T. et la C.G.T.U. coexisteront jusqu’à là guerre de 1939-1945 et en 1945, ce sera la réunification d’une seule C.G.T. où Réformistes et Révolutionnaires continueront à s’affronter sous la houlette de Léon Jouhaux pour les uns et Benoît Frachon pour les autres. Jouhaux organise ses sympathisants autour d’une revue « Résistance Ouvrière », qui en 1945 prendra le nom de « Force Ouvrière ».

En 1947, la Conférence Nationale de ce courant décide de quitter la C.G.T. pour constituer une deuxième centrale syndicale qui s’appellera C.G.T. Force Ouvrière (C.G.T.-F.O.).

Que va devenir le SNI, dans cette tourmente, ayant des représentants au sein de la direction de la C.G.T. ? Y rester ou aller vers le courant F.O., comme le souhaitent certains responsables ? Il y a beaucoup d’hésitations. La décision est prise d’organiser une consultation des adhérents. Il est demandé aux enseignants de choisir la CGT, la CGT-FO ou ni l’une ni l’autre, c’est-à-dire l’autonomie.

La majorité opte pour l’autonomie et c’est alors que les syndiqués ayant voté pour la CGT, ne voulant pas se couper de cette centrale syndicale, décident de s’organiser en Fédération de l’Education Nationale. Les statuts sont déposés et un Bureau est mis en place.

Voici ce qu’écrivait Jean Becam, instituteur à Crozon, dans le bulletin destine aux enseignants et ronéotypé par l’Union Départementale CGT

CGT FEN
Section du Finistère
AUX ENSEIGNANTS DU FINISTERE
Le 26 novembre dernier de nombreux instituteurs et professeurs, demeurés profondement attachés à la C.G.T se réunissaient à Quimper pour étudier la situation syndicale dans l’enseignement. Après une large discussion ils constatent unanimement
– la position fausse de l’autonomie
– la nécessité de regrouper le personnel enseignant dans la C.G.T.
– l’obligation de maintenir l’unité syndicale

Bureau provisoire de la Section

F.E.N. – C. G.T.

Secrétaire Général : BECAM Jean, Instituteur, CROZON
Secrétaires : GOURCUFF Ch. – Lycée Quimper.
LEYER G. – Collège Moderne, BREST
Mme LE ROCH – Collège Moderne, QUIMPERLÉ
HELIAS P. – École Normale, Quimper.
Responsable aux Jeunes : LOURGOUILLOUX, Instituteur, TOURCH
Trésorier : NÉDÉLEC Jean – Instituteur à COLLOREC, CCP 11 86 57
RENNES
Trésorier-adjoint : POULHAZAN Henri – Instituteur, PLOGOFF
Correspondants d’Etablissements BREST : Lycée Garçons : NICOLAS P.A.
Lycée J. filles : Mme TRAVEE
Coll. Modernes : BIRAUD
Coll. Tech. filles : Mme LOUARN

Coll. Tech. Garçons : BIZIEN
MORLA1X : Collèges : LE SQUIN
DOUARNENEZ : Coll. Mod. : RUNGOAT CONCARNEAU : COLL. MOD. : RUNGOAT QUIMPER : Lycées : GOURCUFF
Écoles Normales : HELIAS QUIMPERLÉ : Coll. Moderne : Mme LE ROCH

Correspondants cantonaux

BRIEC : Guyader : Langolen.
CARHAIX Cotty : Carhaix.
CHATEAULIN : Lagathu : Port-Launay.
CHATEAUNEUF : Nédélec : Collorec.
CONCARNEAL : Guillerm : Le Lin.
CROZON : Bécam : Crozon.
DAOULAS : Nédélec : Hanvec.
DOUARNENEZ : Menou : Douarnenez.
LE FAOU : L’haridon : Rosnoen.
FOUESNANT : Péru : Bénodet.
HUELGOAT : Le Moal : J. Huelgoat.
LANDERNEALJ : Madec F. : Landerneau. I
LANDIVISIAU : Le Quilliec : Bodilis.
LANNILIS : Thomas : Lannilis.
LESNEVEN : Hugonot J. : Brignogan.
PLEYBEN : M. Le Rest : Brasparts.
PLOGASTEL : Hamon : Peumeurit.
PLOUDALMEZEAU : Quiviger :      Plouguin.
PLOUDIRY : Le Direur : La Martyre.
PLOUIGNEAU : Morzadec : Guerlesquin.
PONT AVEN : Moalic : Névez.
PONT L’ABBE : Sénéchal : Pont l’Abbé.
PONT CROIX : Poulhazan : Plogoff.
QUIMPER : Labat G. 4bis, rue Goarem Dro.
ROSPORDEN : Lourgouilloux : Tourch.
QUIMPERLE : Courtin.
SAINT-POL : Chambaudie : Sibiril.
SCAER : Melle Furie.
SIZUN : Elléouet.
MORLAIX : Priser, Ecole Gambetta.

C.G,T F.S.M.

Fédération de l’éducation nationale
Section du Finistère
Conseil Syndical du 10.8.1950

Le conseil syndical de la F.E.N. C.GT. s’est réuni à Quimper le 10.8.1950
Apres un exposé d’Alain C’ARIOU, sur le congrès du S.N.I. à Paris et celui de la FEN CGT à Montreuil, auxquels CARIOU était délègué la discussion s’est engagée sur son compte rendu très détaillé.
Jean BECAM secrétaire général de la section du Finistère de la F.E.N. CGT remet au CS sa démission pour des raisons personnelles, du poste qu’il occupait depuis 2 ans
A l’unanimité des camarades présents, Jean NEDELEC instituteur à Collorec est élu au poste de secrétaire général en remplacement de Jean BECAM
Le nouveau bureau pour l’année 1950-1951 est constitué de la façon suivante :
Secrétaire général Jean NEDELEC – COLLOREC
Secrétaires: instituteurs Jean BECAM – CROZON
MOALIC NEVEZ
secondaires : NICOLAS Lycée Brest
Enseigt technique : BIZIEN – CT BREST
Centres apprentissage . CARIOU. C A BREST
Agents de lycée : Loic BIZ1EN. Lycée Quimper. Trésorier : Henri POULHAZAN, Instituteur, Plogoff. CCP 12 66 37 Rennes.

Ainsi, dans le bureau provisoire élu le 26 novembre 1947, je devenais trésorier de la section départementale. J’allais conserver cette responsabilité jusqu’en 1950, date à laquelle je remplaçais Jean Becam au poste de secrétaire général. J’assumais ainsi ma première responsabilité dans une organisation départementale. Ce ne sera pas la seule.

Cette responsabilité départementale allait me donner beaucoup de travail supplémentaire : réunions, bulletins à préparer (j’en ai conservé un certain nombre d’exemplaires, tapés souvent sur une vieille machine à écrire et ronéotypés à Brest, à la CGT).

Comme cela ne suffisait pas, il m’arrivait de participer à des Conseils Nationaux de la FEN-CGT. Et ce n’était pas une mince affaire ! Ces Conseils Nationaux se déroulaient le dimanche. Aussi, le samedi, après la classe, je prenais le car qui m’amenait à Morlaix, où je m’embarquais dans le train pour Paris. Le dimanche soir, je faisais le trajet en sens inverse et je débarquais à Collorec pour reprendre ma classe. Inutile de dire que si la matinée du lundi se passait relativement bien, l’après-midi était difficile à tenir.


Le train raté et ce qui s’ensuivit

 

J’avais à Morlaix un bon camarade, adhérent de l’Amicale Laïque de Collorec, qui m’avait beaucoup aidé dans la réalisation des séances théâtrales. Il avait en particulier joué avec moi dans « L’affaire de la rue de Lourcine » de Labiche. C’était aussi un des piliers de l’équipe de foot de l’Union Sportive de Collorec.

Ouvrier peintre à Morlaix, Joseph Faucheur m’invita un certain samedi soir à passer le voir chez lui, ayant du temps libre, avant de prendre le train pour Paris. Nous nous sommes attardés dans un café. Comme j’ai toujours eu le souci de l’heure, je pensais à mon train qui passait à Morlaix aux environ de vingt-deux heures. A plusieurs reprises, je faisais part de mes préoccupations à Jopic (on l’appelait ainsi). Il me répondait:      « Tu as le temps, inutile d’aller trop tôt à la gare ».

Dix heures approchant, nous nous décidâmes à grimper la rue qui menait à cette gare. J’étais tout de même inquiet. Et c’est bien ce qui arriva. A peine entrés dans le hall, nous vîmes le train qui démarrait lentement. Un cheminot nous empêcha de franchir la porte qui menait au quai, craignant sans doute que je prenne le train en marche.

Et voila mon Jopic bien embêté. Se sachant responsable de cet avatar, il décida de se rendre en ville, dans un café où il savait trouver des chauffeurs de taxi.

Aucun d’eux ne voulait prendre la responsabilité de poursuivre le train par la route. Seul un voyageur de commerce qui se trouvait là accepta le pari.

Et nous voila partis, tous les trois. Vous dire à quelle vitesse il roula cette nuit, Je l’ignore. Mais les virages nous faisaient sentir que la route était tortueuse.

Cependant, en arrivant sur Rennes, dans une ligne droite, nous aperçûmes les lumières du train. Le voyageur de commerce accéléra encore et s’arrêta net devant la gare de Rennes. Sans demander mon reste, je bondis vers l’escalier qui menait au train, et ouf j’étais dans un wagon, debout, essoufflé, n’en crevant pas mes oreilles. Le pari était gagné, mais quelles émotions !


Départ de Collorec pour Brest

 

Le travail syndical me prenant de plus en plus de temps, et ayant de nouvelles responsabilités au sein de l’Union Départementale CGT, je me sentis dans l’obligation de demander un poste d’instituteur à Brest. Nommé à l’école du quartier des Quatre-Moulins, j’allais vivre quelques mois difficiles. D’abord, je quittais une classe unique pour un cours préparatoire dans cette école de quinze classes. Marguerite étant restée à Collorec jusqu’à ce que je trouve un logement, je logeais chez ma sur, Germaine, qui vivait seule avec ses enfants dans le quartier de La Corniche. Ayant fait l’acquisition d’une moto Terrot de cent-vingt-cinq centimètres cubes, cela me permettait de me rendre à Collorec le mercredi et le samedi soir.

A force d’insister près de la Municipalité, j’obtins une baraque à Quéliverzan, la baraque J7. Le logement était occupé par Monsieur Le Guern, instituteur comme moi. C’était le fils de la brave dame qui avait dit à celle qui m’avait insulté lors du meeting de Monteil que je n’étais pas un « vaurien » – lors du ramassage des petits pois dans un champ à Collorec.

Marguerite et les enfants Yannick et Jean-Pierre allaient pouvoir me rejoindre. Dans cette baraque, il y avait l’eau courante, qui nous changeait du puits de l’école que j’avais quittée.


1953 : Une année mouvementée

 

Je militais étroitement à l’UD-CGT avec Henri Menés, secrétaire départemental et François Tanguy qui m’avaient confié le développement de la publication de La Vie Ouvrière (la V.O.). Si bien qu’on me demanda d’être délégué au Congrès National qui allait se dérouler à Paris.

Ce congrès de 1953 se tint dans des circonstances particulièrement difficiles pour la CGT. Alain Le Léap, natif de Spézet, dirigeant de l’UGFF (Union générale des fonctionnaires) adhérente à la CGT, avait été arrêté. Benoît Frachon, secrétaire national de la CGT, poursuivi, vivait dans la clandestinité. Nous étions en pleine guerre d’Indochine. Henri Martin, marin d’Etat, avait été emprisonné, pour avoir dénoncé cette guerre (je possède un enregistrement d’une émission à France-Culture des 16,17 et 18 septembre 1996, dans laquelle Henri Martin raconte son histoire). Je devais intervenir sur les problèmes scolaires en Bretagne. Le temps manquant, un intervenant fit état de ma contribution. Et je pris le chemin du retour pour Brest, quittant une capitale bien quadrillée par la police.

C’est alors que le 3 août 1953, commence une grève des fonctionnaires et assimilés. Tout d’abord, dans les services publics et de santé, en réaction contre les pleins pouvoirs que réclamait le Premier Ministre Laniel, pour licencier quatre mille auxiliaires de la fonction publique et porter l’ouverture du droit a la retraite à 62 ans, voire 63 ans. Le 5 août, les PTT sont en grève, le 6 les cheminots et l’EDF. Les mots d’ordre de grève, lancés au plan national par la CGT et la CFTC, sont bien suivis dans le département.


Août 1953 – Heureuse rencontre à Kerlouan

 

Pendant ce temps-la, ayant quitté Brest pour prendre des vacances à La Montagne, je passais des journées agréables dans la vallée de l’Aulne, loin de la grève des fonctionnaires, le corps enseignant et pour cause, n’étant pas dans le coup pour cette grève nationale.

Mais j’allais être bousculé par les événements.

Un beau matin, je vois dévaler du haut de la colline qui surplombe la vallée, le secrétaire général de l’UDCGT, mon camarade Henri Menés. Comment avait-il trouvé mon refuge, je l’ignore, ce qui est sûr, c’est qu’il venait me chercher pour rejoindre Brest où on avait besoin de moi, étant donné la situation.

Henri Menés m’expliqua qu’il était devenu indispensable de créer des Comités de Grève dans le Nord-Finistère avec comme principal objectif : collecter des dons en nature pour alimenter les cantines ouvrières. Il avait été décidé, en particulier, d’aller à Kerlouan, où il y avait quelques grévistes, repliés de Brest.

Me voilà donc parti pour Kerlouan, avec deux autres camarades, un de la CGT, l’autre de la CFTC. Arrivés Dépités, regagnant notre voiture, j’aperçois, marchant devant nous, un individu en soutane, la tête légèrement penchée sur le côté gauche. Pas de doute, j’avais reconnu l’abbé Maurice Dolou, mon vicaire de Collorec. Le dépassant légèrement, je me retourne vers lui. Sa question fuse aussitôt : « Que faites-vous là ? ». Nous lui expliquons le sens de notre démarche à Kerlouan et notre déception devant le refus des grévistes.

« Attendez, je retourne les voir avec vous. »

Maurice étant le directeur de l’Ecole Privée baptisée SKOL AR GROAZ », l’école de la croix, ayant donc de l’influence sur les gens de Kerlouan, obtint rapidement l’accord des grévistes.

Maurice, aussi content que nous, nous invita à fêter ce succès et nous amena à l’entrée de SKOL AR GROAZ. Le camarade de la CFTC me sachant militant laïque par ailleurs, se demanda quelle allait être ma réaction ; son regard en disait long à ce sujet.

Ma réponse ne tarda pas : « on va arroser cette réussite. »

Et Maurice, nous fit entrer dans son bureau, sortit du frigo une bouteille de vin blanc et trinqua avec nous au bon combat des grévistes.

Je crois que cet événement méritait d’être conté, car au-delà des croyances, des opinions de chacun, le combat social se devait de réunir toutes les bonnes volontés.

Quelques années plus tard, aux obsèques de Maurice Dolou, au Relecq-Kerhuon, j’étais présent avec quelques dirigeants du Patronage Laïque local avec qui Maurice entretenait d’excellentes relations.


1954 : Coup d’arrêt à la FEN-CGT

 

Par une décision datée du 5 janvier 1954, le bureau politique du Parti Communiste demandait aux instituteurs communistes d’abandonner la double affiliation :

SNI , FEN-CGT

« La double affiliation créant beaucoup de confusion parmi les instituteurs, les instituteurs communistes abandonneront cette double affiliation pour concentrer toute leur activité au Syndicat National des instituteurs (paragraphe trois de la décision). »

Cette décision fut diversement appréciée au sein de la FEN-CGT, notamment par sa secrétaire nationale:

Jacqueline Marchand et par les syndiqués de l’enseignement technique, mais au SNI du Finistère, cela allait amener des bouleversements.

Il y avait trois tendances à l’intérieur de la section finistérienne :

– U. I. D., considérée comme réformiste (pro-socialiste , liste pour un syndicalisme indépendant, majeur, constructif, démocratique et unitaire).

– UNITÉ ET ACTION, ex-FEN-CGT, considérée comme révolutionnaire (pro-communiste).

– ÉCOLE ÉMANCIPÉE, considérée comme trotskiste ou anarchisante.

Majoritaire au plan national, la liste IUD l’était sur le plan départemental, jusqu’en 1964. Tous les deux ans, les syndiqués finistériens élisaient au scrutin de liste les vingt-quatre membres du Conseil Syndical. À partir de 1958, (deux ans après la décision du Bureau Politique du Parti Communiste), on allait assister à une lente ascension de la tendance UNITÉ et ACTION.

          U.I.D                U.A            EE

1958 12 élus                8               4

1960 12                       9                3

1962 11                     10                3

1964 10                     10                4

1968 10                     11                3

En voix, UID passait de 1146 à 1095, UA de 750 à 1264.

UNITÉ ET ACTION prenait la direction du SNI finistérien et Marcel Lucas en devenait le secrétaire général. Il en était de même dans les Côtes-du-Nord, le Morbihan, l’Ille-et-Vilaine, ce qui n’arrangeait pas les affaires du Syndicat National.

Hélas, depuis, le SNI n’existe plus. La scission évitée en 1947 a pris corps. Et les instituteurs qui se syndiquent appartiennent à des syndicats qui n’ont plus de lien entre eux.

Qu’allais-je devenir dans tous ces événements ? Je pensais pouvoir militer activement au SNI, mais un autre destin m’attendait.


Combattant de la paix : La guerre d’Algérie

 

Dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1954, des attentats ont lieu sur plusieurs points du territoire algérien. Dès le premier novembre, il apparaît que l’Aurès, massif montagneux situé au sud de Constantine, aux confins du désert, est en état d’insurrection.

Cependant, le Ministre de l’Intérieur déclare, le même jour, qu’il s’agit d’actes qui « sont le fait d’individus ou de petits groupes isolés. Le calme le plus complet règne dans l’ensemble des populations ». En réalité, l’effet de surprise a été total du côté de l’administration, qui affirmait quelques jours plus tôt qu’il ne se posait en Algérie aucun problème politique.

Oublié le massacre d’Algériens à Sétif, le 8 mai 1945 !

Un conflit meurtrier voyait le jour, conflit qui allait durer huit ans, puisqu’il prit fin en 1962. Hypocritement appelé pacification, le nom de guerre, lui fut seulement reconnu après la fin des hostilités. C’est dans ce contexte que, devenu disponible depuis que j’avais abandonné ma charge de secrétaire départemental de la FEN-CCT, le Parti Communiste, par la voix d’Alain Signor, me demanda de m’intéresser au Mouvement de la Paix, dont l’un des Fondateurs était le physicien Frédéric Joliot-Curie.

Je me revois encore à Brest, dans une baraque de la CGT, discutant avec Alain Signor. Malgré mes remarques concernant ma disponibilité, et faisant état de la décision du Bureau Politique du 5 janvier 1954, je lui montrai ma volonté de militer activement dans le syndicat des Instituteurs et dans le Mouvement Laïque ; c’était là ma tendance naturelle, après ce que j’avais vécu à Collorec.

Contrairement à ce qui s’était passé à Châteauneuf-du-Faou, où j’avais opposé un non catégorique aux propositions d’Alain Signer, cette fois-là, je finis par lui dire oui « du bout des lèvres », et je prenais quelques jours après le secrétariat du MOUVEMENT DE LA PAIX.

Je pris à cœur cette nouvelle responsabilité, avec le Président du Mouvement, le docteur Bernard Lecoin et avec Eugène Bérest, professeur au Lycée de Kérichen, qui, lui, faisait partie de l’organisation « JEUNE RÉPUBLIQUE ».

La guerre en Algérie allait devenir la préoccupation majeure de notre activité, d’autant plus que nous parvenaient des informations sur les méthodes (tortures) employées par la Police et une partie de l’Armée Française.

Dès janvier 1955, l’écrivain François Mauriac exprimait son émotion dans un article intitulé « La question » paru dans « L’EXPRESS. »

« LA QUESTION », c’était aussi le titre d’un livre-témoignage de Henri Alleg, Directeur du journal Alger-Républicain, qui relate les tortures subies par lui, après son arrestation. D’autres témoignages étaient fournis par des journaux : Témoignage Chrétien, L’Humanité, L’Express, Libération, France-Observateur, Le Monde, à qui on essayait d’imposer le silence et qui seront saisis et poursuivis.

Puis éclate l’affaire Maurice Audin, jeune professeur en Algérie, qui sera arrêté et exécuté dans des conditions ignobles.

L’émotion en France est à son comble. Un Comité MAURICE AUDIN se crée à Brest, sur l’initiative de professeurs du lycée de Kérichen.

C’est dans ce climat que va être publié sur Brest un APPEL POUR LA VÉRITÉ, POUR LES LIBERTÉS.

POUR LA VERITE,

POUR LES LIBERTES

Inquiets de la tournure toujours plus grave que prennent les événements d’Afrique du Nord, les soussignés demandent la vérité sur la guerre d’Algérie et la recherche sérieuse et immédiate d’une solution pacifique.

Le 10 Décembre 1948, l’Assemblée Générale des Nations Unies a adopté et proclamé la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme ; l’actualité nous contraint à en rappeler et à en souligner certains articles :
ARTICLE 3. – Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne.

ARTICLE 5. – Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Article. 19. Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression

Or, depuis des années, les mesures arbitraires se multiplient sans que les responsabilités soient déterminées et leurs auteurs désavoués :

En Afrique du Nord. arrestations arbitraires, disparitions « mystérieuses méthodes d’interrogatoire qui n’ont rien à envier à celles de la Gestapo

Dans la Métropole les journaux qui cherchent à en informer leurs lecteurs et à alerter l’opinion publique sont poursuivis et saisis. La liberté de presse est gravement menacée

II existe une responsabilité collective dont nous portons chacun notre part et qu’il serait veule de ne vouloir point assumer. Il n’est que temps de le dire ouvertement

la Nation et l’état sont sur la pente dangereuse de l’oppression, de l’arbitraire, du mépris de l’homme et de ses libertés élémentaires.

Nous demandons avec insistance que toute la lumière soit faite sur les événements sanglants d’Afrique du Nord, qu’un terme soit mis aux méthodes de répression brutale, aveugle et indigne de notre Pays. S’il est une « politique d’abandon » c’est avant tout celle qui foule aux pieds la dignité et les droits de la personne humaine.

L’honneur, la dignité de notre Pays, c’est-à-dire notre honneur, notre dignité, sont en jeu.

Nous demandons très instamment à tous ceux qu’inquiète la situation présente de se joindre à nous dans le but de faire connaître, avec le plus de vigueur possible, l’état véritable de l’opinion publique à ceux qui nous gouvernent.

BARTHOLÉ Georges, pianiste. – BECK Rémy, conseiller d’Orientation professionnelle.- BÉREST, professeur agrégé au Lycée. – BRÉLIVET Jeanne, mère de famille. – BESSON Père et Fils, horlogers.- BOURHIS René, directeur d’Ecole publique. – CARADEC Robert, ouvrier. — CARER François, instituteur de Cours complémentaire. – CARER Jean-Paul, ouvrier.- Abbé CAROFF, prêtre.– CASSJN, directeur d’Ecole publique. – CHARAL, architecte. –CHANQUELIN Pierre, architecte. COMBOT Marie, assistante sociale. – DANIEL Charles, commerçant – DANIEL Yves. – De JAEGHER, architecte. – DUCHATEAUX Claude, chirurgien-dentiste. – FEILLANT, inspecteur sanitaire. – FEUNTEN, conseiller d’Orientation professionnelle.- GARO, instituteur de Cours complémentaire.- GALL10U Joseph, ex-FFL.- GERBER, pasteur. – GRAVOT Robert, professeur agrégé au Lycée. – Abbé GOURMELEN, prêtre.- GUÉDES Marcel, ouvrier de l’Arsenal. — GUIACU1LO, professeur au Collège technique. – KERROS Pierre, professeur au Centre d’apprentisssge.- KOHLER, ingénieur. – LACA1LLE, architecte. – LAOT Joseph, ouvrier de l’Arsenal.-LECOIN Bernard, docteur en médecine.- LE PRIANT André, commerçant.- LE DUFF, professeur au Centre d’apprentissage.- LE GUERN, professeur agrégé au Lycée. – LE ROUX Louis, ouvrier.- LE THOS, instituteur -Abbé LE VEY, recteur du Landais, et ses vicaires. — MARC Pierre, professeur au Centre d’apprentissage. — MASSON Josiane, assistante sociale. – MÈNES Henri, ouvrier de l’Arsenal.-Abbé MENEZ, recteur du Bouguen-Bergot-Polygone, et ses vicaires.- MIGNOT Louise, employée Sécurité Sociale.- MUZELLEC Pierre, secrétaire au Centre d’apprentissage.- NÉDÉLEC Jean, instituteur.- PLOUGOULM Louis, contrôleur des P. T. T. – Abbé PLOUTDY, prêtre. – PLUSQUELLEC Jeanne, ménagère. – PRIMAUX Guillaume, ingénieur. – FOUILLE, chef de travaux en retraite. – QUENTRIC René, ouvrier de l’Arsenal.- ROBERT Roger, chirurgien-dentiste.- SOLER Jacques, professeur agrégé au Lycée.- STÉPHAN Suzanne, directrice de Cours complémentaire.

Ce texte, élaboré avec Eugène Bérest et sur lequel nous nous sommes efforcés de rassembler des signatures venant d’horizons divers, va sortir en tracts et en affiches placardées sur les murs de la ville.

De mon côté, j’obtiens l’accord de responsables syndicaux et d’organisations de Gauche. Eugène Bérest, lui, récolte les signatures des représentants de milieux libéraux, de prêtres catholiques, de pasteurs protestants. Ce texte fit beaucoup de bruit dans Brest et valut aux prêtres qui l’avaient signé les remontrances de l’Êvêché.

Sous le gouvernement de Guy Mollet (socialiste), investi par l’Assemblée Nationale, le premier février 1956, des renforts vont être acheminés vers l’Algérie. Le 17 avril 1956, le Conseil des la Ministres décidait le rappel des disponibles appartenant aux classes 1951-1,1952,1953, 1954-1 et 2. Les départs s’échelonnant entre mai et juin, affecteront près de deux cents mille jeunes gens. Cela se révéla insuffisant, puisque seront mobilisés un peu plus tard les appelés du contingent.

Mon jeune beau-frère, Pierre-Louis, qui était de la classe 1959, allait faire partie de ces appelés que le gouvernement français expédia en Algérie dans cette guerre coloniale. Beaucoup d’entre eux ont laissé leur vie là-bas et ceux qui échapperont au massacre garderont des séquelles morales ou physiques.

Alors que nous étions encore dans le quartier des Quatre-Moulins, me rendant dans mon école après le déjeuner, je vois venir vers moi Louis Marc, adjoint au maire de Brest. Je le connaissais bien. Il n’était pas de mes amis politiques, mais j’avais avec lui des relations cordiales.

Il tenait en mains un télégramme officiel que la Mairie venait de recevoir et qui m’était adressé :

TELEGRAMME

Adressé à Monsieur le Maire de Brest, sons contrôle de monsieur Le Préfet du Finistère, en provenance de l’hôpital de Setit. Cam Pierre, brigadier au 19ème Bataillon du 2ème RAMA, traité à l’Hôpital Militaire de Sétif, donne graves inquiétudes.

Informer monsieur et madame Nedelec, 163 rue A. France a Brest.

Reçu le 30 novembre 1960 de la sous préfecture a 10h30. Blessé dans la nuit du 28 au 29 au thorax et à l’abdomen.

Il me demanda si j’avais un fils en Algérie. Je lui répondis «non, mais un beau-frère que j’ai élevé. »

– « J’ai une mauvaise nouvelle à t’annoncer. »

En effet, le télégramme m’informait que Pierre-Louis était grièvement blessé, suite à une embuscade. J’invitai Louis Marc à monter chez moi afin d’avertir Marguerite. Elle, comme moi, nous avons tout de suite pensé au pire.

Louis Marc me proposa de nous rendre à la Mairie des Quatre-Moulins pour essayer d’avoir au téléphone l’hôpital de Sétif, où était soigné Pierre-Louis. Au bout du fil, nous avons réussi à avoir le chirurgien qui me confirma la blessure très grave de Pierre-Louis et qui m’assura qu’il ferait tout son possible pour le sauver.

Cette sollicitude de Louis Marc, je ne l’oublierai jamais.

Nous allions rester sans nouvelles de Pierre-Louis pendant plusieurs semaines, quand nous parvint une lettre de l’Hôpital du Val de Grâce à Paris, où il était en convalescence. Il nous rassurait sur son sort, mais il nous reviendrait diminué, après une sérieuse opération chirurgicale : avec notamment un rein en moins.

Plus tard, quand mon jeune beau-frère fut à nouveau parmi nous, il me raconta qu’il avait eu la vie sauve grâce au Roman de Renard !

Alors qu’il était allongé, gisant parmi ses camarades tués, il fit le mort, sentant approcher les fellaghas. Il songea à Goupil qui, dans le Roman de Renard, s’allongea sur la route, faisant le mort, pour pouvoir manger le poisson de la marchande qui l’avait hissé dans sa charrette.

C’est un passage du livre que j’avais lu alors qu’il était dans ma classe !

Cependant, la guerre d’Algérie continuait. Il .fallait mettre les bouchées doubles pour obliger le gouvernement français à mettre fin au conflit. Aussi, pétitions, meetings, défilés, se multipliaient, rassemblant des Partisans de la Paix, de plus en plus nombreux, venant d’horizons divers.

A Brest, il nous est arrivé d’être chargés par la Police, comme aux Quatre-Moulins, mais le plus terrible, fut le 9 février 1962, la manifestation réprimée dans le sang au métro Charonne à Paris (neuf morts, tous communistes, plusieurs dizaines de blessés).

Enfin, le 18 mars 1962, c’étaient les accords d’Évian, le 19 mars, le cessez-le-feu, les attentats de l’O.A.S. et le cinq juillet, l’indépendance de l’Algérie.

Résultat : entre cinq cent mille et un million d’Algériens tués, vingt-cinq mille soldats français, mille disparus, six mille cinq cents blessés.

Le 31 octobre 2000, des souvenirs douloureux de la guerre d’Algérie allaient revenir avec la publication de l’Appel à la Condamnation de la Torture durant la Guerre d’Algérie de douze personnalités, texte qui allait se couvrir de milliers de signatures et amener tant à la radio qu’à la télévision plusieurs débats. En 2001, c’est le procès du général Aussaresses qui, dans un ouvrage, reconnaît avoir pratiqué les tortures et ne regrette rien.

L’appel

à la condamnation

de la torture durant

la guerre d’Algérie

Des deux côtés de la Méditerranée, la mémoire française et la mémoire algérienne resteront hantées par les horreurs qui on marqué la guerre d’Algérie tant que la vérité n’aura pas été dite et reconnue.

Ce travail de mémoire appartient à chacun des deux peuples et aux communautés, de quelque origine que ce soit, qui ont cruellement souffert de cette tragédie dont les autorités françaises portent la responsabilité essentielle en raison de leur obstination à refuser aux Algériens leur émancipation. Aujourd’hui, il est possible de promouvoir une démarche de vérité qui ne laisse rien dans l’ombre. En France, le nouveau témoignage d’une Algérienne, publié dans la presse, qui met en accusation la torture, ne peut rester sans suite ni sanction. Le silence officie! serait ajouter au crime de l’époque une faute d’aujourd’hui.

En Algérie, se dessine la mise en cause de pratiques condamnables, datant de la guerre et surtout lui ayant survécu, commises au nom de situations où « tout serait permis ». Il reste que la torture, mal absolu, pratiquée de façon systématique par une « armée de la République » et couverte en haut lieu à Paris, a été le fruit empoisonné de la colonisation et de la guerre, l’expression de la volonté du dominateur de réduire par tous les moyens la résistance du dominé.

Avec cette mise à jour il ne s’agit pas seulement de vérité historique, mais aussi de l’avenir des générations issues des diverses communautés qui vivent avec ce poids, cette culpabilité et ce non-dit.

Pour nous, citoyens français auxquels importe le destin partagé des deux peuples et le sens universel de la justice, pour nous qui avons combattu la torture sans être aveugles aux autres pratiques, il revient à la France, eu égard à ses responsabilités, de condamner la torture qui a été entreprise en son nom durant la guerre d’Algérie. Il en va du devoir de mémoire auquel la France se dit justememt attachée et qui ne devrait connaître aucune discrimination d’époque et de lieu. Dans cet esprit, et dans cet esprit seulement, tournés vers un rapprochement des personnes et des communautés et non vers l’exacerbation de leurs antagonismes, nous demandons à M. Jacques Chirac, président de la République et, à M. Lionel Jospin, premier ministre, de condamner ces pratiques par une déclaration publique. Et nous invitons les témoins, les citoyens à s’exprimer sur cette question qui met en jeu leur humanité.

HENRI ALLEG, ancien directeur d’Aller Républicain, auteur de la Question

JOSETTE AUDIN, épouse de Maurice Audin, assassiné par ses tortionnaires.

SIMONE DE BOLLARDIÈRE, veuve du général Paris de Bollardière, opposé à la torture et condamné à deux mois de forteresse.

NICOLE DREYFUS, avocate de Baya Hocinc et Djober Akrour

NOËL FAVRELIÈRE, rappelé, déserteur

GISELE HALIMI avocate de Djamila Boupacha

ALBAN LIECHTI, rappelé, insoumis

MADELEINE REBÉRIOUX, historienne, secrétaire du comité Audin

LAURENT SCHWARTZ, mathématicien, président du comité Audin

GERMAINE TILLON, ethnographe, résistante, auteur de L’Afrique bascule vers l’avenir

JEAN-PIERRE VERNANT, historien, résistant

PIERRE VIDAL-NAQUET, historien, auteur de La Torture dans la République. 


Un mot d’histoire

 

Le problème de l’Algérie me tient à cœur et l’envie me prend de revenir sur quelques points de l’histoire de ce pays.

En 1830, date à laquelle commence la conquête française, il n’y a pas de nation algérienne au sens moderne du mot, mais il existe une administration comparable à celle qui existe alors en Tunisie, dépendant théoriquement de l’Empire Ottoman. Le Dey d’Alger entretient des rapports diplomatiques et commerciaux avec les pays étrangers, et particulièrement avec la France. Il lui fournit du blé et lui prête de l’argent, comme par exemple en 1797, sous le Directoire. C’est le non-paiement de cette dette par la France qui est à l’origine du coup d’éventail reçu par un Consul taré et provocateur. Mais le véritable motif de la conquête fut de fournir au roi Charles X la gloire nécessaire à un coup d’Etat.

Dans les livres d’histoire utilisés dans les écoles primaires, on ne retient que le coup d’éventail comme prétexte.

Comme le dira plus tard Jules Ferry, le 28 juillet 1885, à la chambre des Députés :

« La question coloniale, c’est pour les pays voués par la nature même de leur industrie à une grande exportation, la question même des débouchés. Dans la crise que traversent toutes les industries européennes, la fondation d’une colonie, c’est ici création d’un débouché.

Les colonies, c’est pour les pays riches, un placement de capitaux des plus avantageux. » À l’époque de Jules Ferry, surnommé Ferry-Tonkin, il s’agissait notamment de l’Indochine.

Cette déclaration souleva des protestations du radical Camille Pelletan qui s’écrie :

« Qu’est-ce que cette civilisation qu’on impose à coups de canon ? Qu’est-ce sinon une autre forme de barbarie ?

Jules Ferry répond :

«C’est de la métaphysique politique, Messieurs ; il faut parler plus haut et plus vrai ! Il faut dire ouvertement qu’en effet, les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures».

C’est justement ce que je n’ai jamais pu admettre :

mes combats pour la paix et contre le racisme ont jalonné mon parcours de militant. Le 11 juin 1953, c’est l’exécution sur la chaise électrique aux États-Unis de Julius et Ethel Rosenberg, faussement accusés d’espionnage au profit de l’URSS. J’ai fait signer des pétitions pour leur libération, de même que pour Nelson Mandela.

En 1991, c’est la guerre du Golfe : j’ai pris la responsabilité d’un Comité pour la Paix à Brest, manifesté dans plusieurs lieux et je suis intervenu dans la rue en expliquant les raisons de notre opposition.

Mais bien auparavant, en 1936, à l’âge de 16 ans, j’ai suivi intensément le déroulement de la guerre civile en Espagne. Le général Franco venait de déclencher une insurrection contre la République espagnole, nouvellement installée d’une façon démocratique. Pratiquant l’espagnol au lycée, j’écoutais le soir, au poste de TSF de mes parents les émissions de la radio des Républicains. Avec l’appui de l’aviation de Hitler, Franco allait réussir, hélas, à vaincre les milices républicaines. On assista alors à l’arrivée en France de réfugiés fuyant le nouveau régime fasciste qui s’installait dans leur malheureux pays.

Je me souviens de leur accueil à Brest, à Montbarrey, à Morlaix, à l’Auberge de Jeunesse. J’étais parmi eux, les aidant du mieux que je pouvais.

Après la guerre, jusqu’au retour à un régime démocratique, c’est-à-dire après la chute et la mort de Franco, j’ai aidé le groupe des réfugiés encore présents à Brest à organiser des fêtes où ils se retrouvaient. Certains d’entre eux se rendaient clandestinement en Espagne.

Au retour d’un de ces voyages clandestins, un groupe de ces républicains espagnols est venu m’offrir une belle poupée castillane, que je conserve précieusement.

1950 : Alors que j’étais instituteur à Collorec, j’ai participé à la collecte de signatures au bas de l’Appel de Stockholm, lancé par le Conseil Mondial de la Paix contre l’arme atomique. Dans un environnement difficile, j’ai franchi avec appréhension le seuil de plusieurs maisons, notamment chez les commerçants du bourg. J’ai fait un effort particulier pour sonner à la porte du presbytère, où je fus reçu par le recteur Jacques Laurent. Nous eûmes une longue discussion, portant notamment sur les causes et origines des guerres, lui mettant en avant la volonté de Dieu, moi, avançant des raisons économiques. Le recteur ne signa pas la pétition, mais j’avais fait un grand pas en avant pour faire triompher mon combat pour la Paix, contre la guerre

1984 : J’ai pris en cette année la responsabilité d’un collectif local sur Brest représentant l’organisation nationale de L’appel des cents qui s’était créée à côté du Mouvement de la Paix.

Une marche pour la Paix avait été organisée à Paris, le 28 octobre 1984. De Brest, nous avons réussi à faire partir quatre cars, dont j’étais le responsable financier.


Procès Henri Martin

 

Un des moments les plus forts de mes combats pour la Paix, se situe entre 1950 et 1953, lors des procès d’Henri Martin.

Engagé pour cinq ans dans la Marine Nationale, après avoir participé tout jeune, avec son père, aux actions de la Résistance dans les rangs des FTPF, Henri Martin partait pour l’Indochine où des combats, paraît-il, se livraient contre les Japonais.

Henri Martin se rendit compte très vite que c’étaient surtout les Vietnamiens qui étaient les victimes des troupes coloniales françaises. Après deux ans d’Indochine, il arrivait à Toulon en 1947, où, avec un groupe de marins, il organisa la distribution du tract dénonçant cette guerre, dont il avait eu un triste aperçu. Il est arrêté le 13 mars 1950, jugé à Toulon par un Tribunal Militaire à cinq ans de prison. Il passera deux ans à la Centrale de Melun. Le jugement cassé, il sera rejugé à Brest, le 2 juillet 1951. Ce jour-là, j’étais avec de nombreux camarades aux alentours de l’Avenue de l’École Navale, dans le quartier de Saint-Pierre Quilbignon. De nombreux CRS jalonnaient la route qui menait jusqu’au Centre d’Instruction Naval, où avait lieu le jugement. L’atmosphère était tendue, d’autant plus que le secrétaire fédéral du Parti Communiste n’était autre que Daniel Trellu, ancien Colonel Chevalier de la Résistance et qui n’était pas homme de demi-mesures.

Le tribunal de Brest confirma le jugement de Toulon :

cinq ans de prison.

Henri Martin fut libéré le dimanche 2 août 1953. Nous l’apprîmes lors d’une fête départementale du Parti Communiste.

Pendant toute cette période, le procès d’Henri Martin souleva en France une grande émotion. De nombreux intellectuels soutinrent sa cause. Hélène Parmelin écrivit un livre : Henri-Martin matricule 2078, avec, en première page, un portrait d’Henri Martin par Picasso. Jean-Paul Sartre rédigea lui aussi un autre ouvrage sur « l’homme qui représentait l’anticolonialisme ». Jean Cocteau, Vercors, Jacques Prévert et bien d’autres, furent parmi ceux qui contribuèrent à sa libération.

À la réception qui s’ensuivit, beaucoup d’entre eux étaient là, devant un Henri Martin, intimidé, lui qui n’avait que son « certificat d’études. »


Algérie : 1963

 

Pour terminer ce chapitre consacré à mes combats pour la Paix, contre le racisme, je ne peux manquer d’évoquer ce qui ma poussé à me rendre en Algérie en 1963.

Tout a commencé lors d’un repas dans un restaurant de Quimper. Nous étions là, entre deux séances, représentants du SNI à une Commission Paritaire qui se tenait à l’Inspection Académique, j’étais présent, car à l’époque conseiller syndical

Au dessert, Jean Perrin, notre secrétaire départemental, sort de sa poche une lettre de la Direction Nationale du Syndicat. En nous la lisant, j’avais l’impression qu’il ne croyait pas trop au contenu. De quoi s’agissait-il ? D’une demande du Ministère de l’Education Nationale à la recherche d’instituteurs et d’institutrices désireux de se rendre en Algérie pour une mission de quarante enseignants, chargés de récupérer les dossiers de leurs collègues avant exercé pendant l’occupation française

Venant de me battre pour l’indépendance de l’Algérie, l’occasion était trop belle pour me rendre dans ce pays, d’aller voir sur place la situation.

J’informai Jean Perrin que cela m’intéressait et je fus suivi immédiatement par Louis Pouliquen qui exerçait à Landévennec et Fred Rospars, en poste à Plougasnou.

Chose curieuse, nous représentions les trois tendances au Conseil Syndical : UNITE et ACTION, UID, ÉCOLE ÉMANCIPÉE.

Et c’est ainsi que nous nous retrouvâmes le vendredi 19 avril 1963 au Ministère de l’Éducation Nationale où des précisions nous furent fournies sur ce qui nous attendait :

aller dans les différentes Académies du territoire Algérien, récupérer les dossiers des enseignants, faire une photocopie de certains éléments à laisser dans les Inspections et expédier les dossiers entiers, par voie aérienne en France.

Pourquoi était-on passé par le SNI pour « recruter des volontaires ? Le ministère de l’Éducation Nationale s’était tout d’abord adressé aux Inspecteurs de circonscriptions, mais la plupart d’entre eux avaient vite camouflé la circulaire, craignant la difficulté de remplacement de ceux et celles qui allaient partir, d’où le recours au SNI.

A cette réunion d’information du 19 avril, nous étions quarante personnes qui ne se connaissaient pas. Nous nous observions, ignorant comment nous serions regroupés dans les différentes Inspections Académiques, et surtout ce qui poussait les uns et les autres à entreprendre ce voyage : un tel parce qu’il avait enseigné en Algérie, une autre pour rejoindre un ami demeuré là-bas, d’autres, comme moi, pour raisons humaines et politiques.

Voici maintenant quelques notes prises durant mon séjour en Algérie. Je les résume, parce qu’il serait trop long de les détailler.

Lundi 22 avril : A 17h40, nous décollons d’Orly à bord d’une Caravelle. Nous volons à 8550 mètres d’altitude et survolons Lyon, puis la Camargue, avant d’aborder la Méditerranée. Nous distinguons l’île de Majorque et arrivons à l’aérodrome de Maison Blanche à 19h45. En route vers Alger, douze kilomètres, nous sommes conduits au Lycée Fromentin où, dans une grande salle, on nous fournit à chacun un box pour s’installer provisoirement.

Mardi 23 avril : Nous sommes libres de nous promener dans Alger. Au port, je déambule dans la foule des dockers et je note l’existence d’un quai de Brest. L’après-midi, un car est mis à notre disposition pour faire le tour de la ville. Nous visitons une mosquée, remarquons les tapis et les Musulmans en prière.

Mercredi 24 avril : Dans notre groupe. Ariette et Michelle, deux institutrices de la Vienne sont venues de Poitiers. C’est un des rares départements où la demande du Ministère de l’Education Nationale a été transmise aux Écoles par les Inspecteurs. Elles sont en Algérie pour retrouver des amis, médecins algériens qu’elles ont connus étudiants à Poitiers. Ce mercredi 24, nous faisons la connaissance de l’ami d’Arlette, qui nous invite le soir même dans un restaurant spécifiquement algérien : « couscous et petit lait

Jeudi 25 avril L’après midi, du point le plus élevé du lycée, nous pouvons admirer une vue splendide sur Alger. Nous avons, ce jour-là, une réunion qui a lieu pour le choix de l’Inspection Académique où nous aurons à travailler. Quand arrive le nom de Sétif, personne ne veut y aller, Sétif laissant probablement trop de mauvais souvenirs. Mais c’est justement là que je désirais me rendre, à cause du triste événement survenu à Pierre-Louis. Michelle choisit également cette ville, son ami, avec lequel elle se mariera plus tard, y exerce son métier de médecin. Fred Rospars et Louis Pouliquen choisiront eux Tizi-Ouzou, en pleine Kabylie, ainsi qu’Arlette. Nous allons demeurer encore quelques jours à Alger, jusqu’au 7 mai avant de partir pour nos Inspections respectives.

Samedi 27 avril : Nous sommes reçus par l’A.P.I.F.A., organisation syndicale représentant le SNI en Algérie. Réception très cordiale.

Dimanche 28 avril : Une promenade touristique nous est offerte. Elle se fera dans un car qui nous procura beaucoup d’émotions dans les paysages que nous allons traverser. Nous commençons par les domaines de Borgeaud :

vignes à perte de vue (propriété de La Trappe), orangers, néfliers, mandariniers, pommes de terre en fleurs, tomates, haricots, rizières, tout cela défile sous nos yeux. Nous continuons par les gorges de La Chiffa où nous remarquons : le camp des chênes, le ruisseau des singes et quelques fortins de la guerre… Nous mangeons à Blida, et nous montons ensuite à mille cinq cent mètres à Chria. C’est là que le chauffeur du car nous procure quelques émotions, en descendant dans la brume par des virages en lacets. Nous terminons par Boufarik, Birkadem, Birmandrein.

1er Mai 1963 à Alger : Nous y avons participé. Ce fut un grand moment qui me conduisit à faire une relation écrite que j’expédiais au Bulletin Syndical du Finistère et à l’ACTION LAÏQUE du Finistère, qui la firent paraître. Le texte ci-dessous fut présenté par Jean Kervision, rédacteur du journal.


Jean NEDELEC nous écrit d’Algérie…

 

D’Algérie, où il remplit actuellement une mission syndicale, notresecrétaire général Jean Nédelec, m’adresse une lettre en date du 1er mai. Je n’ai pu résister à l’envie (et je pense que notre camarade ne m’en voudra pas) de publier, à l’intention de tous nos amis, les passages essentiels de cette missive enthousiaste:

« Je t’écris au soir d’une journée qui marquera dans noire périple algérien.

Nous avons vécu, ce matin, le premier 1er mai de l’Indépendance : les mots que je pourrais trouver sont impuissants pour traduire tout ce que nous avons pu ressentir…

Dès 8 h. 30 nous avions rejoint le groupe des enseignants qui s’apprêtaient à s’intégrer au défilé. Déjà les mots d’ordre attiraient notre attention :

« CONSTRUIRE DES ÉCOLES, C’EST BÂTIR LE SOCIALISME »… Mais des banderoles, c’est par centaines et par centaines que nous en avons vues.

Ponctué par les « you-you » stridents des femmes musulmanes sur les trottoirs ou à leurs fenêtres, le défilé imposant et calme se rendait à la place des Martyrs, devant la Maison du Peuple où nous entendîmes, mêlés à la foule- vieux musulmans en djellabas et chéchias, infirmiers et infirmières de l’hôpital Mustapha, en blouse blanches, jeunes apprentis des centres de F.P.A. en cotte de travail les discours du secrétaire général de l’U.G.T.A., du ministre du Travail et du Président du gouvernement, Ben Bella.

Il faut avoir été mêlé à cette foule pour sentir combien l’Algérie nouvelle et indépendante, malgré les difficultés présentes et le lourd héritage du colonialisme prend en main courageusement son avenir.

Aux scouts quêtant pour le Fonds- National de Solidarité j’ai vu des ouvriers, pauvrement vêtus donner un billet de 1000 francs, un paysan apporter à Ben Bella toutes ses économies : 250 000 francs

A un moment donné, Ben Bella a demandé d’abaisser toutes les pancartes et banderoles et de ne laisser déployée qu’une seule portant l’inscription : « IL N’Y AURA PLUS DANS LE PAYS D’HOMME AGENOUILLE» Pour lui, cette pancarte résumait bien ce qu’était l’Algérie d’hier (celle des cireurs de bottes) et l’Algérie de demain qui s’engage, a dit le Président du gouvernement « dans LA VOIX LUMINEUSE DU SOCIALISME »

Beaucoup de mots d’ordre aussi faisaient référence à CUBA et à Fidel CASTRO.

Bref, je n’aurais vu que ce 1er mai 1963, à Alger, mon voyage serait déjà riche d’expérience. Mais tu imagines qu’au fil des jours, nous emmagasinions un tas de précisions sur la façon dont l’Algérie se lance hardiment dans la construction de son avenir. Ce qui me frappe surtout, c’est l’allant, le dynamisme de la jeunesse… »

Sûr de me faire l’interprète de tous les laïques du Finistère, je souhaite à Jean Nédélec, ainsi qu’aux deux autres camarades qui l’accompagnent : Louis Pouliquen, de Landévennec, et Fred Rospars, de Plougasnou, UN FRUCTUEUX TRAVAIL ET UN EXCELLENT SEJOUR DANS L’ALGERIE NOUVELLE. J.K.

Ce texte, bien entendu, a été écrit dans l’atmosphère qui prévalait à l’époque, un an après la fin de la guerre. Depuis, l’Algérie a connu bien des difficultés, notamment par suite de la vague islamiste qui a endeuillé le pays. Il n’en reste pas moins que, ce jour-là, nous nous trouvions devant une foule heureuse et combative.

Jeudi 2 mai : Dîner en ville avec deux jeunes collègues algériens.

Vendredi 3 mai : Réunion à la Maison Culturelle pour recevoir les dernières instructions avant le départ fixé en principe au mardi 7 mai.

Samedi 4 mai : Nous avions la possibilité de visiter le sud algérien et les confins du Sahara. C’est ce qu’ont choisi la plupart des collègues. Je suis resté à Alger parce qu’il s’y passait un grand événement. L’arrivée dans la ville de Nasser, nouveau dirigeant égyptien accompagné de Ben Bella, le dirigeant algérien. Je ne voulais pas rater ça.

L’attente fut longue. Je me trouvais sur un trottoir, entouré d’hommes, de femmes voilées et d’enfants. J’avais à mes pieds un garçonnet d’environ huit à neuf ans. Au moment où arrivait le véhicule transportant les deux dirigeants, je proposai à la femme voilée de prendre son petit garçon sur mes épaules, pour mieux jouir du spectacle. Les yeux de la femme que je distinguai au-dessus de son voile semblaient acquiescer. Mais aussitôt sur mes épaules, il me fallut descendre le bambin, la grand-mère se montrant mécontente et donnant tort à sa fille (j’ai toujours la photo de cette scène prise par Louis Pouliquen).

Dimanche 5 mai : Avant de quitter, j’avais un désir : visiter la Casbah, ce quartier historique d’Alger. Mes collègues m’en dissuadèrent, craignant pour moi quelque incident. Je n’écoutai pas leurs conseils et c’est ainsi que j’ai traversé la Casbah de bas en haut, rencontrant des habitants les plus paisibles du monde.

Lundi 6 mai : Assisté aux obsèques du dirigeant Kemiti au cimetière algérien;

Mardi 7 mai : c’est le départ à 7h45 pour Sétif, à trois cents kilomètres d Alger. Nous traversons les gorges de Palestre, les portes de Fer (chaîne des Biban) : paysage chaotique, désertique Nous arrivons à Sétif à 11h35, sous l’orage et la pluie

Mercredi 8 mai : Prise de contact avec l’Inspection d’Académie et le consul. On évoque la possibilité d’être logés au Consulat.

Jeudi 9 mai : Nous commençons notre travail de récupération des dossiers, non sans quelques ennuis avec l’appareil de photocopie. Nous sommes en 1963, et ils ne sont pas encore très performants. Mais l’ambiance est bonne dans les bureaux où travaillent toujours quelques employés « pieds noirs » avec qui nous ferons connaissance.

Vendredi 10 mai : Nous rencontrons Mademoiselle Idoine, directrice du Lycée de Sétif. Ancienne déportée du camp de concentration de Ravensbrùck, nous découvrons une femme charmante, prête à nous rendre service. C’est ainsi qu’elle s’occupa du matériel de couchage dans la perspective d’un hébergement au consulat. Encore mieux, elle est disposée à nous prêter sa 2CV le week-end, pour nous permettre de découvrir la région. Enfin, elle nous invite à manger et coucher au Lycée.

Samedi 11 mai : Nous partons cet après-midi pour Constantine, Michelle au volant de la 2CV., Hassen, fils du concierge de l’Inspection Académique nous accompagne ; il affirme être communiste, mais nous réserve une petite surprise, alors que nous cassons la croûte avant de partir. Nous avons acheté au supermarché de Sétif, une boîte de pâté de cochon. Nous offrons à Hassen de partager ce mets. Il refuse, prétendant n’avoir pas faim. Comme quoi la pression religieuse joue, même chez un communiste algérien.

Nous arrivons à Constantine à 16h45. Nous dormons à l’hôtel, réveillés de très bonne heure par le bruit de la foule qui provient du marché situé en contrebas.

Dimanche 12 mai : Nous poussons jusqu’à Philipe-ville, distante de 87 kilomètres. Nous longeons une mer déchaînée où nous distinguons deux hommes en danger d’être noyés. Après une tournée de quatre cent trente-six kilomètres, nous sommes de retour à Sétif.

Lundi 13 mai : Nous déménageons du Lycée au Consulat. C’est assez pittoresque, car c’est avec un âne que nous véhiculons lits et couvertures, âne conduit par un Algérien.

Vendredi 17 mai : C’est une soirée bien arrosée au Consulat, où le vice-consul nous apprend qu’il est marié avec une Finistérienne de Plouguerneau.

Jeudi 23 mai : Le cousin d’Amar, jeune homme qui travaille à l’Inspection Académique et avec qui nous sommes très amis, me propose d’aller faire un tour dans la campagne sétifienne.

Lundi 1er juin : Tandis que je me promène dans Sétif, un jeune garçon se propose pour me cirer mes chaussures, geste habituel, je suppose durant l’occupation française. Je refuse et lui explique que les temps ont changé. Je lui laisse cependant quelque argent pour ne pas le décevoir.

Dimanche 2 juin : Une belle moirée à Bougie, où, assis sur une digue, nous dégustons des brochettes accompagnées d’un excellent vin algérien.

Samedi 8 juin C’est à Djemila la découverte de ruines romaines ou un guide musulman, plein d’humour, nous fait découvrir ces merveilleuses antiquités. Ces différentes escapades ne nous empêchent pas de mener à bien ce pourquoi nous sommes venus. Des sacs postaux bien fermés partent régulièrement pour la France. Le départ de Sétif approche. Sur le quai de la gare, nous retrouvons, au moment du départ, un jeune Algérien de 19 ans qui venait de commencer à travailler à l’Inspection Académique. Nous nous étions liés d’amitié avec lui ; il était extrêmement gentil, ce qu’il montra sur le quai de la gare. Cependant, nous avons fait la même remarque qu’avec Hassen, c’est à dire le poids de la croyance religieuse. Nous l’avions invité à partager avec nous un repas au restaurant. C’était au bord de mer, nous mangions en plein air. Le hors d’oeuvre consistait en deux tranches de jambon. Notre jeune ami fit un geste discret signifiant qu’il fallait enlever le jambon, puis aussi l’assiette. Ce fut discret mais révélateur!

Or donc, sur le quai de la gare, nous le voyons arriver avec pour chacun de nous un cadeau. Le mien, c’était un beau tapis algérien représentant une fantasia. La veille au soir, c’était nous qui voulions lui laisser un souvenir, espérant qu’il n’aurait pas le temps de nous rendre la pareille. Sa gentillesse nous a beaucoup émus.
Voyage de Sétif à Alger : Ce voyage retour fut un véritable enfer. Le sirocco soufflait au maximum. Inutile de dire qu’à peine ingurgitée une boisson, la gorge était immédiatement aussi sèche.
A peine arrivés à la gare d’Alger, en taxi, nous regagnâmes rapidement le Lycée Fromentin, exténués et fourbus.

Vendredi 5 juillet : Nous allons connaître le 5 juillet 1963 une journée particulière.


5 juillet 1830 – 5 juillet 1963
GLOIRE À NOS MARTYRS

 

C’est l’inscription d’une banderole. Le 5 juillet 1930, c’est le début de la colonisation française.

Du jeudi soir au vendredi soir, quelle pétarade !

Alger sent la fumée, mais c’est une fumée pacifique, celle des pétards;

Le vendredi matin, un défilé populaire parcourt les rues de la ville, puissant par sa masse de participants, des paysans, des ouvriers en passant par les intellectuels. Les mots d’ordre tournent autour des idées de socialisme, c’était dans le climat de l’époque.

Je note quelques-uns qu’il faut situer dans le contexte :

Le socialisme c’est l’Algérie développée.

Le socialisme mettra fin au chômage.

Indépendance = socialisation.

Le travail libère la femme.

Pas de socialisme sans la participation de la femme algérienne.

(Ceci au milieu d’un groupe de musulmanes voilées)

Encourager l’agriculture c’est combattre la faim. 

Autogestion — socialisme et avenir 

Evolution de la femme dans le respect des principes moraux. 

L’autogestion met fin à l’exploitation de l’homme par l’homme 

Pour l’honnêteté . contre les fraudeurs et la corruption.

11 juillet 1963: C’est le retour en France après trois mois passés dans un pavs qu’il me tardait de découvrir, après cette guerre inutile qui l’avait endeuillé.

Quittant la chaleur de l’aérodrome d’Alger, je débarquai à Paris par un temps humide et qui me semblait si froid. Mais que de souvenirs !

Des moments forts, comme cette communication téléphonique du 11 juin provenant de Brest et m’annonçant la naissance de mon filleul Serge, fils de Pierre-Louis. C’était une sorte de revanche du sort. Là ou son père avait été blessé, la nouvelle de sa naissance, reçue en ce même lieu, c’était pour moi tout un symbole.

J’achetais tous les jours l’Humanité, (qui venait de Paris en papier bible, c’est à dire très fin), chez un débitant algérien. J’étais un bon client et quand je lui annonçai mon départ de Sétif, il me fit part de son regret et me dit en nous quittant : « Dommage qu’on n’ait pas eu affaire à des Français comme vous. »

Des moments agréables : comme la fréquentation des différents milieux qui m’ont permis d’apprécier le « couscous » à plusieurs tables : chez une famille « pied noir », servis par une bonne algérienne, chez des amis musulmans servis par leur mère, alors que la jeune sur nous souriait de la cuisine, sans oser approcher, les excursions avec la 2CV de Mademoiselle Idoine, les cartes postales reçues de mes élèves de l’école des Quatre-Moulins. Arrivé en Bretagne, je repensai à l’histoire de ce pays occupé pendant cent trente-deux ans par la France, à son antique civilisation, à la façon dont les livres d’histoire falsifiaient les événements.

Je n’en veux pour preuve que ces lignes extraites de l’Histoire de France d’Ernest Lavisse pour les cours moyens première et deuxième années, livre que j’avais moi-même utilisé.

« Pendant ce ministère (celui de Polignac) un événement considérable se produisit.

Le Nord de l’Afrique appartenait à des populations qu’on appelait barbaresques. Elles étaient divisées en plusieurs états. L’Etat d’Alger était gouverné par un souverain qui portait le titre de Dey.

Les Algériens étaient d’excellents marins ; ils attaquaient les vaisseaux de commerce dans la Méditerranée, et les pillaient. Le commerce français était troublé par cette piraterie. Nous avions à Alger un consul, c’est-à-dire un agent chargé de protéger les Français résidant à Alger et de défendre les intérêts de notre commerce. Il fit des observations au Dey à propos de mauvais traitements que des Français avaient soufferts. Le Dey se fâcha et le frappa avec le chasse-mouches qu’il tenait à la main.

Pour le punir, le gouvernement décida d’envoyer en Algérie une flotte portant une petite armée. Alger fut pris en juillet 1830. C’est ainsi que commença la Conquête de ce pays, qui est devenu notre grande colonie africaine. »

Pas un mot du blé que l’Algérie fournissait à la France, de la dette datant du Directoire, pas un mot bien sûr des combats qui allaient opposer l’armée française aux troupes d’Abdel Kader.

Alors pour terminer ce chapitre de mes combats pour la paix, je vais faire un aveu.

Fréquentant la bibliothèque du consulat de Sétif, j’ai gardé par devers moi, un ouvrage en deux tomes qui s’intitule : « Lettres du Maréchal Saint-Arnaud. »

Je les ai gardés précieusement car ces lettres illustrent parfaitement la cruauté avec laquelle a commencé cette colonisation.

Né à Paris le 20 août 1798, Saint-Arnaud entretiendra une correspondance suivie avec sa famille à mesure qu’il gravit tous les échelons de l’armée de jeune sous-lieutenant à Maréchal Parmi toutes les atrocités dont il se vante, j’ai retenu cet extrait. écrit à son frère avocat à Paris, le 15 août 1845.

LE MARECHAL DE SAINT ARNAUD
AU MEME.

Au bivouac d’Aïn-Méran, le 15 août 1845   

Cher frère, je voulais te faire un long récit de mon expédition, mais le temps me manque. Je viens d’écrire huit pages au Maréchal. La fatigue et la chaleur m’accablent, j’ai passé hier vingt-quatre heures à cheval. Je t’envoie seulement une espèce de journal sommaire de mes opérations. Tu sais que l’avais dirigé mes’ trois colonnes de manière à surprendre le chérif, le 8, par un mouvement combiné. Tout est arrivé comme ]e 1’avais prévu. J’ai rejeté Bou-Maza sur les colonnes de Ténès et de Mostaganem qui l’ont tenu entre elles et l’ont poursuivi. Il a fini par échapper en passant entre Claparède, Canrobert, Fleury et le lieutenant-colonel Berthier. On m’a rapporté trente-quatre têtes, mais c’est la sienne que je voulais. Le même jour, 8, je poussais une reconnaissance sur les grottes ou plutôt cavernes, deux cents mètres de développement, cinq entrées. Nous sommes reçus à coups de fusil, et j’ai été si surpris que j’ai salué respectueusement quelques balles, ce qui n’est pas mon habitude. Le soir même, investissement de la 53e sous le feu ennemi, un seul homme blessé, mesures bien prises. Le 9, commencement des travaux de siège, blocus, mines, pétards, sommations, instances, prières de sortir et de se rendre. Réponse : injures, blasphèmes, coups de fusil… feu allumé. 10, 11, même répétition. Un Arabe sort le 11, engage ses compatriotes à sortir ; ils refusent. Le 12, onze Arabes sortent, les autres tirent des coups de fusil. Alors je fais hermétiquement boucher toutes les issues et je fais un vaste cimetière. La terre couvrira à jamais les cadavres de ces fanatiques. Personne n’est descendu dans les car-vernes ; personne… que moi ne sait qu’il y a là-dessous cinq cents brigands qui n’égorgeront plus les Français. Un rapport confidentiel a tout dit au maréchal, simplement, sans poésie terrible ni images


Laïcité : Notre héritage

 

Dans le souvenir des Français d’aujourd’hui, la laïcité est liée à la mise en place, dans les années 1880, d’une École, gratuite, obligatoire et laïque. Il nous faut remonter plus avant et affirmer que la laïcité est une valeur spécifiquement française, qui s’oppose au fanatisme religieux qui de l’Inquisition aux Talibans d’Afghanistan a parsemé l’Histoire du monde de nombreux crimes.


CONDORCET

 

Au siècle des Lumières, Diderot avec ses écrits, dont notamment l’Encyclopédie, prépare la Révolution française de 1789, époque à laquelle la Pensée Laïque va devenir adulte. Condorcet (1743 à 1794) seul représentant des Lumières à avoir vécu la Révolution, va donner à la laïcité ses lettres de noblesse.
Dans un rapport et projet de décret sur l’organisation générale de l’Instruction Publique présentée à l’Assemblée Nationale au nom du Comité d’Instruction Publique les 2 et 21 avril 1792, je note le passage suivant :

« La constitution, en reconnaissant le droit qu’à chaque individu de choisir son culte, eu établissant une entière égalité entre tous les habitants de la France, ne permet point d’admettre, dans l’instruction publique, un enseignement qui, en repoussant les enfants d’une partie des citoyens, détruirait l’égalité des avantages sociaux, et donnerait à des dogmes particuliers un avantage contraire à la liberté des opinions. Il était donc rigoureusement nécessaire de séparer de la morale les principes de toute religion particulière, et de n’admettre dans l’instruction publique l’enseignement d’aucun culte religieux ».

N’est-ce pas là, écrit en 1792, les fondements de notre idéal laïque ?


Victor Hugo

 

Parmi les continuateurs de Condorcet, je relèverai quelques noms, parmi les plus connus. Il en est un particulièrement qui m’a marqué : Victor Hugo (1802 à 1880?. Quand j’étais lycéen, j’avais reçu en guise de prix, deux ouvrages de lui : Avant l’exil, Pendant l’exil. J’y ai trouvé des discours sur la misère, contre la peine de mort, mais surtout l’intervention qu’il prononça à l’Assemblée législative, le 15 janvier 1850 contre la loi Falloux. C’était la première fois que je découvrais ce texte. Depuis, je l’ai lu et relu, je l’ai fait connaître.

Monsieur De Falloux, député réactionnaire, présentait à l’Assemblé des Députés, une loi qui, sous prétexte d’organiser la Liberté d’enseigner, établissait en réalité, le monopole de l’Instruction Publique en faveur du clergé.

À travers le magnifique plaidoyer de Victor Hugo pour la défense de l’idéal laïque, je note quelques passages parmi les plus significatifs :

« Je veux je le déclare, la liberté de l’enseignement, mais je veux la surveillance de l’Etat et comme je veux cette surveillance effective, je veux l’Etat laïque, purement laïque, exclusivement laïque. »

Spiritualiste et crevant, Victor Hugo n’en est pas moins d’un anticléricalisme virulent :

« L’instruction primaire obligatoire, c’est le droit de l’enfant (murmures dans l’Assemblée) qui,ne vous trompez pas, est plus sacré que le droit du père et qui se confond avec le droit de l’État. »

Le droit de l’enfant proclamé par l’orateur, ne plaît pas à la droite.

« J’entends maintenir… cette antique et salutaire séparation de l’Église et de l’État qui était l’utopie de nos pères et cela dans l’intérêt de l’Église comme dans l’intérêt de l’État » (acclamations à gauche, protestations à droite).

« Loin que je veuille proscrire l’enseignement religieux, il est selon moi plus nécessaire aujourd’hui que jamais. Plus l’homme grandit, plus il doit croire. Plus il approche de Dieu, mieux il doit voir Dieu. »

C’est là l’aspect croyant.

« Je veux l’enseignement de l’Eglise en dedans de l’Eglise et non au dehors… Je veux ce que voulaient nos pères, l’Église chez elle et l’État chez lui. »

Nous sommes en 1850, ce ne sont que les prémices de la loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État.

« Je m’adresse au parti clérical et je lui. dis : cette loi est votre loi. Tenez, franchement, je me défie de vous. Instruire c’est construire. Je me défie de ce que vous construisez… je ne vous confonds pas avec l’Église, pas plus que je ne confonds le gui avec le chêne. Vous êtes, non des croyants, mais des sectaires d’une religion que vous ne comprenez pas. »

C’est le volet anticlérical.


Jean Macé

 

Jean Macé (1815 à 1891) occupe une place à part dans les défenseurs de l’idéal laïque, car c’est lui qui a fondé en 1886 la LIGUE de l’ENSEIGNEMENT qui existe toujours et s’est bien développée depuis.


L’épisode de la Commune de Paris

 

Suite à la Guerre de 1870 qui s’était terminée par la défaite de Sedan et l’emprisonnement de Napoléon III, du 18 mars au 28 mai 1871, Paris connaîtra pendant soixante-douze jours une révolution, connue sous le nom de la Commune de Paris.

Face au pouvoir exécutif de Thiers, replié à Versailles, les Parisiens vivront un des épisodes les plus glorieux de notre histoire, mais aussi le plus court et le plus sanglant.

Dans ce contexte difficile, c’est la première fois, en France, qu’un pouvoir allait mettre en application les idées développées par Condorcet, Victor Hugo, Jean Macé…

Dès le 2 avril 1871, l’Assemblée de la Commune, réunie à l’Hôtel de Ville votait un décret qui affirmait

Article un :

L’Église est séparée de l’État.

Article deux :

Le budget des cultes est supprimé

Puis ce sera une série de mesures visant à remplacer, non sans difficultés, les écoles congréganistes par des écoles laïques où des instituteurs remplaceront les religieux, tout cela sous l’impulsion du délégué à l’Enseignement, Edouard Vaillant (1840 à 1915).

J’ai retrouvé dans les Mémoires d’un Communard de Jean Allemane, le récit de quelques-unes des difficultés rencontrées dans le cinquième arrondissement de Paris, lors de ces transformations scolaires radicales.

J’en livre ici un extrait :

« Je dus un jour arracher des mains d’un groupe de marchandes du marche des Larmes, la directrice de cette dernière école, à laquelle ces dames, bien pensantes, faisaient descendre, la tête la première, les deux étages qui séparaient de la rue la classe où elles l’avaient saisie. Le visage de la jeune femme était tout ensanglanté, et elle se mourait de honte.

Ces scènes de barbarie nous prouvent que l’état mental d’une partie de la population se rapproche, par beaucoup de côtés, de celui des fanatiques de Lesneven et du Folgoët. »

Jean Allemane écrivait cela en 1905, preuve qu’il était au courant de ce qui se passait dans La Terre des Prêtres du Nord-Finistère au lendemain de la Loi Combes de 1905 séparant (à nouveau après la Commune) l’Eglise de l’Etat. Dans l’Histoire de France d’Ernest La visse, (cours moyen première et deuxième années), la Commune de Paris est traitée en quelques lignes :

« En mars 1871, les Parisiens nommèrent un gouvernement révolutionnaire qui s’appela la Commune. »
L’ouvrage scolaire parle aussi « des hommes qui aimaient le désordre et la violence »
. Et en conclusion au paragraphe sur la Commune :

« L’année terrible », c’est le nom que Victor Hugo a donné à cette année qui vit la guerre étrangère et cette tragique guerre civile faite sous les yeux de l’étranger. Ce fut un des moments les plus tristes de toute notre histoire. »

Voilà comment est traité, dans un livre d’Histoire destiné aux enfants, l’épisode de la Commune de Paris.


Jules Ferry

 

C’est un personnage ambigu que Jules Ferry (1832 à 1893). Avocat vosgien, il devint membre du gouvernement de la Défense Nationale le 4 septembre 1870.

Après l’insurrection de la Commune, il retrouve une place en politique. Par deux fois Ministre de l’Instruction Publique, d’abord du 4 février au 19 septembre 1880. Écarté par Gambetta, il retrouve ce Ministère de janvier à juillet 1882.

C’est durant ce second Ministère qu’il entreprit avec vigueur l’œuvre de développement de l’enseignement populaire à laquelle son nom reste attaché. Cette bataille, décisive pour consolider la République encore fragile, fut marquée notamment par les lois du 16 juin 1881 (Gratuité), du 28 mars 1882 (Obligation et Laïcité).

C’est le côté positif de Jules Ferry. Le 20 novembre 1883, il devint Ministre des Affaires Etrangères, où il continua la politique coloniale amorcée déjà en 1880. C’est la période appelée « Ferry-Tonkin », qui s’acheva par la défaite de Langson (29 mars 1885). Battu ensuite aux élections présidentielles, puis comme député de Saint-Dié, très impopulaire jusqu’en 1890, manquant même d’être assassiné, il amorçait au Sénat une nouvelle carrière interrompue par sa mort.

C’est le côté négatif de Jules Ferry. Ce côté-là, je l’ai découvert grâce à une Ecole Fédérale du Parti Communiste qui se tenait à Tal ar Groas en Crozon sous la direction d’Alain Cariou. Pendant toute ma scolarité cet aspect de la politique de Jules Ferry m’avait été soigneusement occulté.


Léon Gambetta

 

Opposant sous l’empire de Napoléon III, Léon Gambetta (1834 a 1882) est considéré comme celui qui a « fondé » la Troisième République. Ministre de l’Intérieur dans le gouvernement provisoire de la Défense Nationale, proclamé le 4 septembre 1870, il quitta Paris en ballon et, de Tours, dirigea la suite de la guerre. Il est l’auteur de la célèbre formule :

« Le Cléricalisme, voila l’ennemi.  » (12 août 1881) Elle fit sensation à l’époque. Avant de lancer cette formule, il écrivait dans le même discours :

« On a bataillé quelques temps sur le dernier terme ; on a équivoqué sur la laïcité, on a demandé à transiger, à modifier ; on a lutté pendant un jour, deux jours, trois jours ; on a marchandé. Messieurs, à toutes ces demandes, il faut répondre:

Non, nous voulons l’Église chez elle et l’École chez elle, l’instituteur absolument maître du lieu où il donne ses leçons et, ne laissant franchir le seuil de sa demeure que par les représentants autorisés de l’État. »


Emile Zola

 

Comme Victor Hugo, Emile Zola (1840 à 1902) appartient d’abord à l’histoire littéraire. Son entrée en politique date de l’Affaire Dreyfus avec le célèbre article intitulé « J’accuse » paru dans L’Aurore du 13 janvier 1898. Zola se rapproche des théoriciens de la Laïcité par sa confiance dans les vérités scientifiques.


Jean Jaurès

 

Père du socialisme français, dans ce rappel des théoriciens de la Laïcité, je ne pouvais passer sous silence le figure de Jean Jaurès (1859 à 1914). Fondateur du journal l’Humanité en 1904, Jaurès fut aussi un militant de la Paix. Son assassinat, en 1914, au « Café du Croissant », préludait au sinistre conflit de 1914 à 1918. Contrairement à Jules Grévy qui prônait aux instituteurs, le 19 avril 1881, une neutralité stricte, Jean Jaurès écrivait en 1908 :

« La plus perfide manœuvre des ennemis de l’École Laïque, c’est de la rappeler à ce qu’ils appellent la neutralité, et de la condamner par là à n’avoir ni doctrine, ni pensée, ni efficacité intellectuelle et morale.

En fait, Il n’y a que le néant qui est neutre. »


Premiers engagements dans le militantisme Laïque

 

C’est nourri de tout ce passé que je me suis engagé à fond dans le Mouvement Laïque qui a, dans le Finistère ses lettres de noblesse.

Tout a commencé pendant les sept années passées à Collorec où j’ai connu les relents du chauvinisme régnant en Bretagne : hostilité à l’École Laïque, pression de l’Église sur les consciences…

Il faut dire que dans le Finistère, l’École Laïque, obligatoire et gratuite, issue des lois de Jules FERRY s’implante difficilement. L’Eglise joue là un rôle néfaste en répandant à travers les campagnes un slogan qui a fait long feu :

« L’Ecole Laïque, c’est l’Ecole du Diable ». Le fameux « Skol an Diaoul. »

En 1945, à Collorec, j’en subissais encore les retombées. Beaucoup d’autres que moi ont écrit sur les pressions exercées sur les citoyens pour que leurs enfants n’aillent pas à l’Ecole Publique : menaces de propriétaires sur leurs fermiers, menaces du curé sur les communions, notamment envers les femmes, etc… etc…

Avant d’aller plus avant, il me semble nécessaire d’examiner comment, dans le Finistère, ont réagi les défenseurs de l’idéal laïque, face à la vague cléricale et comment ils ont été amenés à créer des organisations pour mieux se défendre.

Pour ce faire, je vais résumer 1e travail que j’ai réalisé pour la Fédération des œuvres Laïques à l’occasion de son soixante-dixième anniversaire en l’an 2000.

Tant aux archives départementales de Quimper qu’à celles de Brest, j’ai trouvé des renseignements précieux, ainsi que dans les documents conservés à la Fédération.


Premiers combats

 

Dès l’application des lois scolaires de Jules Ferry et les difficultés de leur application dans le département, des hommes courageux vont se battre pour les idées de tolérance, de liberté, bref, les idées laïques. On aurait pu en citer plusieurs. J’en ai retenu un, professeur au lycée de Brest qui, dès 1890 va montrer l’exemple. Baptiste Jacob, c’est son nom, va organiser des conférences en liaison avec le milieu ouvrier et va créer en 1890 une association: la Société de Bienfaisance des Écoles Laïques de l’arrondissement de Brest.

Il quittera Brest pour ses idées.


1922 : Création d’un Comité de Défense Laïque

Le 11 juin 1922, dans une réunion organisée par les groupements d’instituteurs du Finistère et le syndicat des membres de l’enseignement, était constitué à Quimper entre toutes les organisations syndicales, politiques, philosophiques et tous les laïques qui veulent y adhérer, un comité qui prenait le nom de Comité de Défense Laïque du Finistère, et dont le but était :

1) de défendre les lois laïques

2) de défendre l’École Laïque et ses maîtres contre tous leurs ennemis et contre les atteintes portées à la liberté d’expression.

3) de propager par tous les moyens (réunions, tracts etc…) les idées laïques dans le département.

Le dimanche 11 février 1923 se tenait à Quimper le congrès constitutif du Comité de Défense Laïque.

Chose curieuse : quatre députés et quatre sénateurs adhérèrent au comité qui décida de lancer un journal qui sortit le dimanche 25 mars 1923 sous le nom :

LA DÉFENSE LAÏQUE

ORGANE DE L’UNION

de DÉFENSE LAÏQUE du Finistère

Aux archives départementales de Quimper, en consultant la collection de ce journal, j’y ai découvert les articles anticléricaux virulents de Charles Drapier qui fut un des premiers dirigeants du Comité de Défense Laïque et qui deviendra, plus tard.

Président de la Fédération des œuvres Laïques. Il signait ses articles sous le pseudonyme Le Sanglier. La situation de l’époque expliquait cette virulence.

Dans le même temps, de 1932 à 1937, des troupes théâtrales sillonnaient le Finistère, celles du patronage laïque de Recouvrance, du Patronage laïque de Saint-Marc et surtout la troupe de la Maison du Peuple de Brest.

Elles avaient à leur répertoire des pièces anticléricales : La Terre des Prêtres de Yves Lefèbvre, Mon Royaume n’est pas de ce monde de Lorulot.

A partir de 1934 (6 et 11 février), le Comité de Défense Laïque va élargir son champ d’action. Au-delà des problèmes liés à la défense de l’Ecole Publique, le Comité a tenu à alerter les militants sur le danger des idées d’extrême droite. Le journal prend le titre de La Défense et l’Action Laïque du Finistère, et on y trouve « La Page Antifasciste ».

Un autre militant actif du Comité de Défense Laïque que je tiens à citer, c’est Jean Cornec, instituteur à Daoulas qui fut, avec Charles Drapier, un défenseur acharné des idées laïques.

J’ai eu l’occasion après la guerre de 1939 à 1945 de militer avec eux.

En 1929, des problèmes vont se poser au Comité de Défense Laïque. Des activités socio-culturelles se mettent en place dans les Amicales et Patronages créés sous l’impulsion du Comité, dont le rôle restait strictement limité à la propagande et à la défense laïques. Musiques, fanfares, troupes théâtrales, clubs sportifs. C’est pourquoi le Comité de Défense Laïque va éditer un tract dans lequel un appel est fait aux sociétés adhérentes pour la constitution d’une Fédération des œuvres Laïques.


1930 : Création de la Fédération des Œuvres Laïques

 

L’assemblée constitutive a eu lieu le dimanche 11 mai 1930 à Landerneau, suite au tract diffusé par le Comité de Défense Laïque. Quinze associations étaient présentes :

1) Le Patronage Laïque de Recouvrance (avec monsieur Le Quinquis)

2) La Société de Bienfaisance des Écoles Laïques de Saint-Pierre-Quilbignon (avec monsieur Julien)

3) L’Union Sportive Ouvrière de Brest (avec monsieur Quiniou)

4) L’Amicale des Anciens Élèves de Sizun (avec le docteur Mazé)

5) L’Amicale des Anciens Élèves de Landivisiau (avec monsieur Bellec)

6) La Musique la Saint-Politaine de Saint-Pol-de-Léon (avec monsieur Le Morvan)

7) L’Amicale des Anciens Elèves de Landerneau (avec monsieur Belhommet)

8) Une association de Francs-Maçons de Brest (avec monsieur Péhoré)

9) La Société de Gymnastique l’Hirondelle de Brest (avec madame Le Moigne)

10) Le Théâtre de la Maison du Peuple de Brest (avec monsieur Martin)

11) Le Comité des Fêtes de Cléder (avec monsieur Dufour)

12) Le Patronage Laïque de Saint-Marc (avec monsieur Blaize)

13) L’Amicale des Anciens Élèves de Saint-Marc (avec monsieur Le Guen)

14) Le Club Sportif Lanmeurien de Lanmeur (avec monsieur Colleter)

15) L’Amicale Scolaire de Pont-l’Abbé (avec monsieur Coquil)

De 1930 à 1937, la Fédération des œuvres Laïques du Finistère vivra en autonomie. Ce n’est qu’en 1937 qu’elle demandera son adhésion à la Ligue de l’Enseignement.

Pourtant les militants laïques du Finistère n’ignoraient pas l’existence de cette Ligue.

Déjà le 8 janvier 1879, Jean Macé tenait au théâtre de Brest une conférence. Il venait y présenter la Ligue de l’Enseignement qu’il avait créée en 1866.

Au sein du Comité de Défense Laïque, lors du congrès du dimanche 8 mai 1927, Jean Cornec avait évoqué l’existence de la Ligue. Mais c’est seulement le 15 mai 1938, lors de l’Assemblée Générale de Quimper que la Fédération adhéra à la Ligue de l’Enseignement évoquée un an auparavant.

Désormais Fédération et Ligue seront associées étroitement.


Septembre 1939

 

Sous l’occupation, la Ligue de l’Enseignement sera réduite à la clandestinité, dissoute par le gouvernement de Vichy.

La vie de la Fédération des œuvres Laïques se trouve paralysée de la même façon.

Il faudra attendre la Libération pour pouvoir relancer les activités. 1946. L’Éditorial portait le titre « Laïcité », c’est tout dire.

Georges Thomas, instituteur à Kergloff (celui qui écrivit le lettre au Maire de Collorec lors du Bal interdit) devenait le rédacteur en chef du journal.


1945 : Le renouveau du mouvement laïque

 

La Fédération des oeuvres Laïques va donc repartir et tiendra sa première Assemblée Générale d’après-guerre, le 14 avril 1946, à Châteaulin.

Mais déjà le 24 novembre 1945, un important rassemblement laïque s’était tenu à Quimper. Placé sous la présidence de Jean Debiesse, Inspecteur d’Académie, ce rassemblement remporta un vif succès. Jean Debiesse, dans son allocution, souhaita que le Finistère retrouve une Fédération des œuvres Laïques forte et dynamique. La chance de la Fédération et du Mouvement Laïque dans son ensemble, c’est d’avoir bénéficié de l’appui de Jean Debiesse.

A Quimper, le 24 novembre 1945, fraîchement installé à Collorec, je découvrais la vigueur du Mouvement Laïque dans le Finistère.

A l’issue de ce rassemblement de Quimper, un Comité d’Action Laïque était constitué. Il se substituait au Comité de Défense Laïque créé en 1922. Jean Debiesse allait écrire l’Éditorial du Journal qui prenait le titre Action Laïque du Finistère, ceci dans le numéro un de février 1946 L’Editorial portait le titre « Laïcité, c’est tout dire.

Georges Thomas, instituteur à Kergloff (celui qui écrivit la lettre au maire de Collorec lors du bal interdit) devenait le rédacteur en chef du journal.


1948 : Entrée dans les organisations laïques

 

Je suis intervenu pour la première fois, publiquement, durant le Congrès du Comité d’Action Laïque qui se tenait à Quimper le dimanche 28 novembre 1948.

Un public nombreux était rassemblé salle Verdelet. À l’issue des rapports traditionnels, on en était à l’élection du conseil d’Administration qui comptait neuf membres, désignés par les organisations laïques : SNI, FEN, FOL, parents d’élèves. Délégués de l’Éducation Nationale et douze membres élus parmi les Amicales Laïques. Je venais de prendre le secrétariat de la FEN-CGT. Avant de passer au vote, je demandai la parole. Je fis remarquer que le Fédération de l’Éducation Nationale (autonome) avait deux sièges. Comme la FEN-CGT venait de se créer en1947. je trouvai normal qu’on lui attribuât un siège.

Le président de séance. Le Pemp jugea mes propositions irrecevables.

Alors, un militant aguerri de Quimper, Gaby Campion, rétorqua à le Pemp :

« Nous sommes ici, en Assemblée Générale du Comité d’Action Laïque, la salle a droit à la parole. Je demande que le proposition de Jean Nédélec soit mise aux voix. »

Le président de séance fut obligé de s’exécuter et ma proposition fut acceptée à une large majorité.

Je devenais ainsi membre du conseil d’administration au nom de la FEN-CGT, ainsi que Messieurs Melou, Le Foll et Jade au nom du SNI. Monsieur Abdelaziz au nom de la FEN (autonome), messieurs Drapier et Madec au nom de la FOL, monsieur Le Pemp pour les parents d’élèves (FCPE) et monsieur Damalix pour les DDEN.
Avec les douze membres élus : Emile Gasnier, Louis Le Roux, Alain Cariou, Jean-François Hamon, Catherine Lagatu, Ploe, Jean-Désiré Larnicol, Morvan (de Lesconil), Donnard, Gérard Morvan (de Morlaix), Finot, Ronel.
Au conseil d’Administration, qui allait suivre le congrès, des problèmes vont se poser. La séance eut lieu le jeudi 9 décembre 1948. Auparavant, au vu et au su des résultats de l’élection du conseil d’Administration, j’avais examiné, avec des camarades du même courant révolutionnaire, la possibilité de prendre la direction du Comité, dirigé jusque là par les réformistes.

Le souvenir de cette réunion est tel en ma mémoire que je puis raconter comment cela s’est passé.

Après examen de la situation, on en est venu à l’élection du Bureau.

Jean Le Pemp, secrétaire général sortant, proposa de reconduire le bureau précédent.

C’est à ce moment qu’Alain Cariou prit la parole :

« Mon cher Le Pemp, tu as beaucoup de responsabilités dans le mouvement laïque, au CAL, aux parents d’élèves, au SNI…

C’est pourquoi je suis candidat au poste de secrétaire général du Comité d’Action Laïque.»

Étonnement de Le Pemp qui ne s’attendait certes pas a cette candidature.
Force fut de mettre aux voix cette demande d’Alain Cariou.

Vote à mains levées et résultat :

Même nombre de voix pour chaque candidat. Le Pemp ayant remarqué qu’un membre du Conseil d’Administration n’avait pas pris part au vote, l’interpella.

Il s’agissait de Francis Madec, Secrétaire Général de la Fédération des œuvres Laïques depuis 1930, date de la naissance de cette fédération. Pressé de prendre une décision, Francis Madec déclara :

« Je vote pour Alain Cariou.»

La démocratie avait joué ! Alain Cariou proposa à Le Pemp de rester au bureau. Ce fut un refus.

Le nouveau bureau mis en place était composé de la manière suivante :

Président : Damalix

Secrétaire général : Alain Cariou

Secrétaire à la documentation : Paul Melou

Secrétaire à la propagande : Jean-François Hamon

Trésorier : Ploé

Trésorier adjoint ; Emile Gasnier

Rédacteur en chef de l’Action Laïque du Finistère : Louis

Le Roux (instituteur à Audierne).

Le Comité d’Action Laïque, après cet épisode, allait entrer dans une période d’intense activité.

Le Journal, l’Action Laïque du Finistère portait en sous-titre « Organe du Comité Départemental d’Action Laïque et de la Fédération des œuvres Laïques ».

Chaque mois, il devenait de plus en plus le lien entre les laïques du département, défenseur de l’idéal laïque, ripostant aux adversaires de l’école publique. Ce journal allait prendre position sur différents événements qui marqueront la vie politique et sociale du pays.

Pour la nouvelle direction du Comité et du journal, des difficultés vont surgir : ce ne sera pas un « long fleuve tranquille ».

Il y eut d’abord les critiques d’un certain nombre de Réformistes. Prenant prétexte de l’abandon (supposé) de la bataille anticléricale et de l’introduction dans les débats de problèmes dits politiques, ces camarades vont peu à peu essayer de déstabiliser l’action des nouveaux responsables, voire gêner la diffusion du journal.

Dès le 24 novembre 1949, Jean Le Pemp « estime qu’il ne faut pas aborder des articles qui peuvent heurter les laïques.»

À l’Assemblée Générale du dimanche 11 février 1951, parlant au nom du Syndicat National des Instituteurs, il annonce « qu’il ne votera pas le Rapport Moral parce qu’il n’est pas d’accord avec l’orientation du Comité d’Action Laïque ». Il pense qu’il faut mettre l’accent sur la lutte contre les cléricaux qu’on a laissée de côté et qui sont les seuls ennemis de l’école. Il demande la nationalisation de l’Enseignement et ne veut pas qu’on parle de la Paix au sein du Comité d’Action Laïque. Ce à quoi Francis Madec, Secrétaire Général de la Fédération des œuvres Laïques répondait:

« Je demande à ce que l’on définisse les tâches des diverses organisations. »

II rappela la lutte que le Comité de Défense Laïque d’avant-guerre menait contre la Guerre et pour le Front Populaire. La Défense de l’École Laïque doit être faite avec le concours des masses populaires, en liaison avec les syndicats ouvriers.

Charles Drapier, lui aussi, regrettait que la lutte directe contre l’Église fasse défaut et Jean Le Pemp en rajoutait :

« II faut ranimer la Foi Laïque, l’Anticléricalisme »…

Jean Le Pemp, par ailleurs militant actif et dévoué à la cause de l’École Publique, décédait en 1959 et fut enterré à Brest le 9 avril. Le numéro suivant de l’Action Laïque du Finistère lui rendait un vibrant hommage.

Malgré leurs divergences, les militants laïques savaient faire la part des choses et se réunir dans les grandes occasions.

Au conseil d’Administration du 2 mai 1951 qui suivit le congrès du 11 février, Pierre Moalic, instituteur à Névez devenait secrétaire général du Comité d’Action Laïque avec comme président Jean-Désiré Larnicol, secrétaires adjoints : Alain Cariou et Pierre-Jean Morvan. Rédacteur du journal : Louis Le Roux. Trésorier : Pierre Le Guyader, instituteur à Langolen. Trésorier adjoint : Bertrand Petit, employé SNCF à Rosporden.

En 1955, c’est Louis Le Roux qui deviendra secrétaire général et Jean Kervision, instituteur à Guiler-sur-Goyen prendra la direction du journal.

Pour des raisons personnelles, Louis Le Roux sera amené à abandonner cette responsabilité qui sera reprise par Pierre Moalic jusqu’au Congrès de Port-Launay du dimanche 27 mars 1960, à l’issue duquel le conseil d’Administration m’élira au poste de secrétaire général du Comité d’Action Laïque du Finistère, poste que je conserverai jusqu’en 1967, année où |e serai élu secrétaire général de la Fédération des œuvres Laïques. Dans le numéro 130 d’avril 1960 de l’Action Laïque du Finistère, j’écrirai mon premier éditorial, daté du 7 avril 1960, intitulé « Après le Congrès de Port-Launay ». J’y faisais état de la campagne de pétitions lancée par le Comité National d’Action Laïque contre la loi Debré, loi adoptée en décembre 1959 pour une durée de dix ans et qui accordait des subventions aux établissements privés. Cette pétition recueillit onze millions de signatures au plan national, 170 000 dans le Finistère.

Je notai dans ce premier éditorial :

Dans le Finistère au 6 avril (1960), les 150.000 signatures sont près d’être atteintes, puisque 143.247 étaient recensées dans 248 communes sur les 289 que compte le département. La collecte se poursuit sauf dans les huit communes rurales qui annoncent en avoir terminé : Cleden-Cap-Sizun, Le Cloître-Pleyben, La Forêt-Landerneau, Guengat, Landrévarzec, Loqueffret, Sainte-Sève, Saint-Rivoal.

Je me souviens encore de cette campagne enrichissante. Dans le quartier des Quatre-Moulins, à Brest, le soir après la classe, je partais avec un collègue de l’école, René Le Guen, militant de l’Ecole Emancipée, trop tôt disparu, frappé par une mort subite lors d’une Commission Paritaire à l’Inspection Académique.

Nous faisions le porte à porte, ce qui nous amenait à des discussions intéressantes, y compris avec les partisans de l’école privée.

Cette campagne préparait une grande manifestation nationale qui eut lieu à Vincennes le 16 juin 1960 : un millier de Finistériens et Finistériennes y participèrent. Avec mes camarades, Jean Kervision, Marcel Lucas et combien d’autres, nous avons parcouru de nombreux kilomètres à travers le département pour mobiliser les défenseurs de l’Ecole Publique. L’enthousiasme était de la partie et le résultat fut probant.

Les responsabilités qui étaient les miennes en cette période troublée me prenaient beaucoup de temps et demandaient beaucoup d’efforts. Les éditoriaux de l’Action Laïque du Finistère, je les ai rédigés de 1960 à 1967, date à laquelle je quittai cette responsabilité.

Le dimanche se passait souvent à réfléchir et à préparer, en plus des éditoriaux, les rapports que je présentais aux Congrès annuels du Comité d’Action Laïque, celui en particulier pour le Congrès du 17 mars 1963. Il était particulièrement copieux et je dois croire qu’il était important car des journaux laïques d’autres départements le reproduisirent sous ma signature.

Dans ce rapport, je démontrai, textes à l’appui, comment, sous l’autorité de Georges Pompidou, Premier Ministre, ancien directeur de la Banque Rotschild, avec Jean Berthoin comme ministre de l’Education Nationale, très lié à Banque de Paris et des Pays-Bas, l’École était sacrifiée en faveur des Monopoles

Industriels par l’intermédiaire du Comité dit Rueff-Armand. Leur projet allait très loin dans la volonté de maintenir la jeunesse dans un état de sous-instruction. Il tournait complètement le dos au plan Langevin-Wallon.

Paul Langevin (1872 à 1946), physicien auteur de travaux sur les ions, le magnétisme, la relativité, les ultrasons et Henri Wallon (1879 à 1962), pédagogue, nommé à la Libération, Commissaire à l’Éducation Nationale, avaient travaillé pendant l’Occupation allemande, dans le cadre du CNR (Conseil National de la Résistance, présidé par Jean Moulin) à un projet pédagogique qui visait à donner « une chance égale pour tous », projet qui, hélas n’a jamais été appliqué.

Pendant les sept années au cours desquelles j’ai exercé les fonctions de secrétaire général du Comité d’Action Laïque du Finistère, j’ai rédigé environ soixante-dix éditoriaux du journal, conservés dans la collection qui se trouve dans les archives de la Fédération des œuvres Laïques. J’y ai souvent prôné l’union des Partis de gauche pour les succès électoraux et ma confiance dans les Jeunes. Témoin cet éditorial du numéro 172 de janvier 1965 :

EDITORIAL
Confiance aux jeunes.

En dénonçant dans ce journal la triste réalité scolaire de ce Régime qui aura bientôt sept ans d’existence, nous avons trop l’occasion d’être sombres et pourtant que de raisons d’être optimistes. Si nous voulons aujourd’hui, en particulier, dire notre espoir dans la jeunesse, c’est que nous avons en ce domaine quelque expérience. Là où on leur fait confiance, les jeunes de 1965 sont capables de grandes choses. EXPERIENCE « CLUBS DE JEUNES ». – En demandant à nos Associations : Amicales, Patronages ou Foyers, de créer des « Clubs de Jeunes », la Ligue de l’Enseignement a vu juste. A l’Assemblée Générale de la Fédération des œuvres Laïques qui s’est tenue à Scaër le 6 décembre 1964, je crois que les expériences réalisées aussi bien à Landrévarzec qu’à Brest-Lambézellec, à Henvic, Ploujean-Troudousten et au Foyer Laïque de Saint-Marc, ont vivement intéressé les participants et montré toutes nos possibilités et donc toutes les raisons de notre confiance. Ce sont là les premières expériences. Depuis Scaër, les Clubs de Jeunes se multiplient : c’est le signe qu’ils répondaient à un besoin. J’ai accompagné les jeunes de Lambézellec et de Saint-Marc au Conquet et à Ploudaniel. Dans cette dernière commune, à la veille de Noël, ils ont apporté aux quatorze enfants de l’école publique et à leurs parents, cette présence que rien ne remplace : ni l’image de la Télévision, ni l’écoute de beaux disques. Chantant, dansant, jouant, ces jeunes Brestois ont fait œuvre de militants à leur manière. Je suis persuadé qu’au bout de cette année 1965 le bilan des activités de nos jeunes sera particulièrement édifiant. SOIF DE CULTURE. – Ici, je voudrais citer les propos tenus il y a quelques jours par Roger PLANCHON, cet artiste de théâtre qui consacre tous ses efforts à développer dans la Région de Lyon une activité culturelle à la hauteur de celle que connaît la capitale. Il dirige le théâtre de la Cité à Villeurbanne. Et voici ce que dit Roger PLANCHON : « II y a à l’heure actuelle en France une soif de culture, une soif de théâtre, une soif d’art tout simplement qui est vraiment prodigieuse. J’en porte témoignage : au théâtre de Villeurbanne nous jouons complet… Je ne sais pas trop où va ce mouvement, cette soif de culture, à quoi on va aboutir. Mais il faut en tout cas, maintenant répondre à cette attente. Tout ce qui a été semé ces quinze ou vingt dernières années par les pionniers, les ciné-clubs, les centres dramatiques, est en train de germer, de pousser ; il faut maintenant alimenter. Là, est !e problème. En vérité c’est le problème des maisons de la culture, si l’on veut réellement dire les choses. Il faut les réaliser alors qu’elles n’en sont même pas à un début de réalisation. C’est important à tous les points de vue. Par exemple au point de vue syndical. Il est évident qu’il y a des problèmes sociaux qu’on peut aborder par le biais culturel… La génération précédente a été sacrifiée sur le plan culturel. Pour nous, nous sommes impatients de voir si notre génération aussi va être sacrifiée, culturellement. Tous les animateurs culturels souhaitent évidemment le contraire mais nous sommes alors devant un problème d’Etat, devant la nécessité aussi d’une prise de conscience de toutes les organisations, des Syndicats ouvriers, des municipalités… ». CE QU’IL FAUT SAVOIR. – J’ai eu la chance de participer entre le 26 et le 31 décembre à un séjour culturel de l’U.F.O.L.E.A. à Paris. Les jeunes étaient nombreux à ce séjour. A la salle Récamier, centre culturel de la Rive -Gauche, administré par la Ligue de l’Enseignement, les séances de discussion avec les artistes venus nous exposer leurs problèmes comme Jean Vilar nous parlant de la pièce qu’il a montée au théâtre de l’Athénée « Le Dossier Oppenheimer » et que nous avions vue la veille, étaient extrêmement enrichissantes. Or, en ce même moment la presse à « gros titres » montait en épingle les agressions commises justement dans ce quartier de Sèvres-Babylone par une bande de « J.V. ». Et pourtant pour une dizaine de jeunes commettant ces agressions spectaculaires, combien de centaines, de milliers de jeunes avides de s’élever, de se cultiver. Dans ce métro, où aux heures d’affluence des dizaines de visages inconnus vous entourent, n’est-il pas réconfortant de découvrir dans un coin, deux jeunes discutant de Tchékov et de sa pièce « Oncle Vania ». Au Théâtre National Populaire où nous avons pu applaudir, joué admirablement par Georges Wilson et sa troupe le « maître Puntila et son valet Matti », de Bertolt Brecht, les jeunes aussi étaient nombreux parmi les quelque 2 000 spectateurs. Et voilà ce dont ne parie pas notre presse à sensation et ce qu’il faut voir, parce que ça existe. ETRE SON MAÎTRE. – Et puisque je viens de me référer à la pièce de Brecht, écrite en 1940 alors qu’il était réfugié en Finlande, fuyant l’Allemagne nazie, et où le grand dramaturge allemand a l’occasion d’asséner quelques « grands coups de hache » à « l’être appelé propriétaire, – gros animal bouffi, superflu de la terre ». Face au riche Puntila il campe un valet Matti, prolétaire conscient et qui ne se laisse tenter par aucune séduction du monde frelaté dans lequel il évolue. En guise de conclusion, – pensant en particulier à cette brave Parisienne de 70 ans rencontrée dans le train Brest-Paris alors que je me rendais au séjour culturel de l’U.F.O.L.E.A. avec qui je discutais et qui contracta un abonnement de soutien à notre Journal, dont un fils disparut dans le maquis et qui craint, pour les petits-enfants qu’elle possède d’un autre fils, une éducation bourgeoise et sous l’influence de l’église, je voudrais reprendre ce que déclare Matti quand il quitte son maître Puntila.- le dédier aussi aux jeunes qui vont permettre à certaines de nos associations de connaître un regain d’activités : « Il est temps que tes valets te tournent le dos. Un bon maître ils en auront un. Dès que chacun sera le sien. « 

Brest, le 2 janvier 1965, Jean NÉDÉLEC


28 septembre 1958

 

C’est une date importante dans l’histoire de la cinquième république. Ce jour-là, les Français et les Françaises sont conviés, par le Général De Gaulle, à approuver ou rejeter par référendum une nouvelle constitution pour la France.

C’est un texte avec 92 articles, caractérisé par une appréciable extension des Pouvoirs du Président de la République incluant, par là même, une réduction de ceux du Parlement.

Ce sera un référendum-plébiscite, car beaucoup de Français voteront pour ou contre le Général De Gaulle. Combien ont lu les 92 articles ?

La Gauche est divisée sur l’attitude à prendre. Division chez les socialistes : au congrès d’Issy-les-Moulineaux, la SFIO opte par 2687 mandats contre 1178 pour le oui. Les radicaux à leur tour au congrès de Lyon par 716 mandats contre 544 pour le oui.

Le parti communiste est en bloc pour le non, des personnalités : Pierre Mendès-France, François Miterrand… Également.

Je me souviens de la nuit du 27 au 28 septembre. Je l’ai passée avec quelques camarades, à inscrire sur les routes et les trottoirs de grands NON à la peinture blanche.

Pour terminer, le dernier NON fut inscrit sur le trottoir, face au 163 rue A. France, où j’habitais à l’époque.

A mon réveil, un grand OUI remplaçait le NON inscrit à cinq heures du matin, c’est dire l’âpreté de la bataille du référendum.

Les résultats du scrutin défièrent tous les pronostics. Non seulement les abstentions étaient faibles, environ quinze pour cent, mais le oui préconisé par le Général De Gaulle remportait une victoire éclatante : 79,25 pour cent des suffrages exprimés.

De toutes les déceptions que j’ai pu ressentir, à l’issue de résultats électoraux, ce fut la plus grande.

Si je parle de ce référendum, c’est qu’il ne fut pas sans conséquences pour notre Mouvement Laïque Départemental.

Notre journal portait le titre : « Action Laïque du Finistère, organe du Comité Départemental d’Action Laïque et de la Fédération des œuvres Laïques ».

Dans ses colonnes, nous avions appelé à voter non. Considérant que c’était un acte politique, Charles Drapier, Président de la FOL, demanda à ce que le nom de la Fédération soit retiré du sous-titre. Le numéro 118 de décembre 1958 parut, amputé du nom de la Fédération des œuvres Laïques. Il y sera remis plus tard, dans d’autres circonstances.


26 octobre 1963 – Manifestation laïque à Brest

 

Cette journée du 26 octobre aura été un des moments les plus forts de ma vie militante, comme secrétaire général du Comité d’Action Laïque du Finistère.

La venue a Brest de monsieur Fouchet, ministre de l’Education Nationale, pour procéder à l’inauguration des nouveaux bâtiments du Collège Scientifique Universitaire, nous avait semblé propice à une manifestation devant exprimer notre mécontentement devant la situation scolaire, malgré sa réforme annoncée.

Les événements de la journée furent relatés dans le numéro 161 de novembre 1963 de l’Action Laïque du Finistère.
En voici un extrait :

Réunis le dimanche 20 octobre, les organisations laïques brestoises : Parents d’Élèves, Syndicats d’enseignants. Délégués cantonaux, Patronages et Amicales, décidaient de faire de cette journée du samedi 26, une grande journée d’action pour la défense des intérêts de l’Ecole publique. L’opinion générale était que les luttes de l’année scolaire 1962-63 pour la disparition des classes-baraques, ne pouvaient rester sans lendemain puisque la ville de Brest, ne possédait pas encore un réseau d’écoles suffisant. Ce qu’il faut dans l’immédiat pour Brest était clairement précisé, un rassemblement prévu au parking Clemenceau, à 15 h-, heure à laquelle le ministre devait se rendre de l’Hôtel de Ville, au Collège Scientifique Universitaire, sur le plateau du Bouguen. En même temps, les conseils locaux des Parents d’Elèves des Ecoles primaires et secondaires, auxquels devaient se joindre dans la semaine, l’association des Parents d’Élèves du Technique, lançaient pour toute la journée du 26 le mot d’ordre d’abstention des enfants aux écoles. Appels et tracts étaient diffusés dans la semaine. Syndicats ouvriers et Partis politiques appelaient leurs adhérents à soutenir et appuyer l’action des Parents et des Enseignants.

Ce qu’a été cette journée du samedi 26 octobre, les lecteurs de l’Action Laïque du Finistère » en auront eu sûrement quelques échos. Rappelons cependant les faits, éloquents et accusateurs.

D’abord l’interdiction préfectorale de la manifestation, paraissait dans la presse locale du jour même. Le réveil à 7 heures du matin de quelques responsables par la police afin que leur soit notifié l’arrêté en question du Préfet, daté cependant du 24 octobre, rappelait de tristes souvenirs.

La manifestation a eu lieu. Et pourtant le pouvoir n’avait pas lésiné sur les dépenses pour mobiliser deux compagnies de C.R.S., plus les gardes mobiles et les autres forces de police. Pratiquement, le quadrilatère de rues autour de la Maison des Syndicats était en état de siège. Le parking Clemenceau était occupé par les camions des C.R.S..

Des 14 heures, devant les groupes scolaires, des groupes se rassemblaient et se dirigeaient vers la rue Duquesne. Et déjà, des arrestations étaient opérées. Ainsi au pont de Recouvrance, dans le groupe venu des 4 Moulins et de Recouvrance. Le premier incident sérieux se produisit à la hauteur du parking Clemenceau, alors que des groupes de manifestants affluaient des quatre coins de la ville. Les C.R.S. se repliaient sur le Parking Clemenceau, tandis que Le Menn, Président du Comité de liaison des Parents d’Élèves, appelait les 4 ou 5 000 personnes présentes à se regrouper devant la Maison des Syndicats où notre secrétaire général Jean NEDELEC prenait la parole.

Le micro était placé dans le jardinet, à côté de la stèle d’Edouard Mazé. A un moment donné les forces de police reçurent l’ordre de faire évacuer tout le quadrilatère compris entre l’avancée de la Porte Fautras et la rue Algérisas. Dans la foule, les slogans se succédaient : « Fouchet, démission » « Des écoles, pas de canons ». Petit à petit les C.R.S. en rangs serrés approchaient de la Maison des Syndicats puis envahissaient le jardinet de la Maison des Syndicats tandis que Jean NEDELEC terminait son allocution, ayant eu le temps d’exposer publiquement les raisons de la manifestation. Les chants fusaient : « Le Chant des Partisans », « La Marseillaise », « Salut aux soldats du 17e », « l’Hymne à l’École Laïque ».
Devant la ferme résistance des responsables syndicaux groupés devant la porte de la Maison des Syndicats, les C.R.S. évacuaient le jardinet. On s’apercevait alors que plusieurs personnes avaient été arrêtées. Une délégation des organisations se rendit à la Sous-Préfecture pour y déposer la motion. Le sous-Préfet était absent, la libération des détenus fut exigée près des responsables des forces de police avant que ne se dispersent les manifestants. A 17 heures, tous les emprisonnés étaient relâchés et peu à peu le calme se rétablissait dans les rues. Mais les commentaires allaient bon train. Des milliers de Brestois présents dans la rue de Siam, apprenaient avec stupéfaction la raison de la présence de si nombreuses forces policières dans les rues de la ville. On demandait des maîtres pour les enfants, on envoyait des C.R.S. . M. Fouchet a tenté à nouveau le soir de se justifier devant les micros de Radio-Brest et a fait beaucoup de promesses. Mais personne n’est dupe, ce sont les Brestois eux-mêmes, qui par leur cohésion et leur force, arracheront les crédits nécessaires pour la réalisation des objectifs délimités en commun.

Dès le lendemain, les protestations contre l’intervention des forces de police dans la journée du samedi 26 octobre, se multipliaient. 

Ce jour-là, en effet, dès six heures, la police se présentait au domicile d’un dirigeant des Parents d’Elèves habitant le quartier de Saint-Pierre Quilbignon. Il me téléphonait aussitôt, m’informant de la décision préfectorale d’interdire la manifestation. Il me semblait bien ennuyé et me posait la question :

« Qu’allons nous faire ? »

Ma réponse fut immédiate :

« Raison de plus pour y aller »

Notre Editorial
INTERVENTION
de notre Secrétaire général
Jean NEDELEC
à la manifestation du
samedi 26 octobre BREST

PARENTS D’ELEVES,
ENSEIGNANTS,
LAÏQUES ET REPUBLICAINS.

VOUS voilà une fois de plus rassemblés pour défendre ce que vous avez de plus cher : l’avenir de vos enfants.

Certes un Pouvoir qui se prétend Fort et prend des mesures qui ne sont qu’un signe de Faiblesse a essayé de jeter le trouble ce matin en interdisant notre manifestation, en prenant des mesures d’intimidation.

Votre présence ici prouve que, face aux C.R.S. et à la police du Pouvoir gaulliste, vous êtes décidés à exprimer votre mécontentement.

Notre manifestation est appuyée et soutenue par les Syndicats d’Enseignants : Syndicat National des Instituteurs, Syndicat National de l’Enseignement Secondaire, Syndicat National de l’Enseignement Technique, Syndicat National de l’Enseignement Supérieur, Syndicat National des Enseignements Technique et Professionnel (C.G.T.).
– le Comité d’Action Laïque : Patronages et Amicales.
– l’Association des Délégués Cantonaux.
– les Syndicats ouvriers : C.G.T., C.G.T.-F.O., C.F.T.C.
– les Partis Politiques : Parti Communiste Français, Parti Socialiste, P.S.U., Parti Socialiste S.F.I.O., Parti Radical.
-La venue de M. Fouchet à Brest est la raison immédiate de ce qui se passe aujourd’hui, mais nous sommes aussi à la fin de la quinzaine d’action et de protestation lancée par le COMITE NATIONAL D’ACTION LAÏQUE

Du Nord au Sud de ce département : de Saint-Pol-de-Léon à Concarneau, de Landerneau à Quimperlé, de Châteaulin à Huelgoat et dans un grand nombre de communes, y compris celles qui dans le Nord-Finistère possèdent encore une Ecole Publique, nous sommes allés, militants des organisations laïques, dénoncer la campagne gouvernementale de bluff et de mensonge qui tend à nous faire croire que la rentrée s’est faite dans des conditions acceptables – alors que notre expérience, celle de milliers de Parents d’Elèves, nous autorise à clamer bien haut que la rentrée scolaire telle que la conçoit M. Fouchet se traduit en fait par des milliers et des milliers d’enfants, d’adolescents qui ne sont pas rentrés du tout, puisqu’il n’y avait pas de place pour eux dans les Etablissements scolaires (et je pense ici aux 655 garçons refusés à l’entrée du 2e cycle du Lycée Technique de Garçons, à ceux qui sont restés à la porte des Collèges d’Enseignement Technique, deux sur trois en moyenne, je pense aussi aux 80 à 90 000 qui ont subi le même sort sur le plan national, de sorte que l’on peut chiffrer aux environs de 100 000 le nombre de jeunes qui n’ont pu trouver place dans les C.E.T. et les Lycées Techniques).

Cette rentrée se traduit encore par les conditions difficiles que connaissent ceux qui ont commencé à travailler : si grande est la désorganisation, si grave la pénurie de professeurs, qui conduit un Recteur d’Académie – celui de Lille – à demander des maîtres par des placards de publicité dans la Presse.

Comme l’a si bien dit Métayer, porte-parole du groupe socialiste, mardi dernier au Palais du Luxembourg au cours du débat où la politique scolaire gaulliste a été passée au crible et où tous les orateurs, sans exception – y compris ceux qui ne nourrissent pas une sympathie particulière pour l’Ecole Publique – ont fait la même constatation : LA RENTREE 1963 A ETE DESASTREUSE.

« LA PETITE ANNONCE QU’IL FAUDRAIT INSERER, LA VOICI:
ON DEMANDE GOUVERNEMENT AYANT CONSCIENCE DE SES RESPONSABILITES EN MATIERE D’EDUCATION NATIONALE ET S’ENGAGEANT A NE PAS SABOTER L’AVENIR DU PAYS. CETTE PLACE-LA, MESSIEURS, DEPUIS QUE VOUS ETES AU POUVOIR, ELLE EST VACANTE !  » (Applaudissements nourris)

« Les parents d’Elèves se révoltent, les Etudiants font grève, les Conseils Municipaux démissionnent  » a constaté le M.R.P Jung qui ajoute que cela « contredit les affirmations officielles ».

LES MENSONGES DE M. FOUCHET

Oui, M. Fouchet, de l’Ecole Maternelle à la Recherche Scientifique, nous sommes inquiets dans ce pays, dans ce département, et dans cette ville de Brest en croissance démographique, devant la situation qui est faite à notre Ecole Publique. Vous avez le 30 septembre, devant les micros et les caméras de la Radio Télévision française, essayé de convaincre les Français, que jamais un Gouvernement n’avait fourni autant d’efforts pour l’Ecole que celui auquel vous appartenez.

Je me souviens qu’avant de prendre la parole, j’avais diffusé le disque de Yves Montand : « Chansons Populaires de France ». François Échardour, responsable syndical de la CGT, me demanda d’arrêter. Il estimait que la foule était déjà assez énervée.

Les CRS donnant l’assaut à la baraque des syndicats, j’arrivai à terminer mon intervention ayant devant moi la vision de leurs casques.

Des manifestants furent arrêtés, dont Charles Verveur, Président du Foyer Laïque de Saint-Marc. Conduits au commissariat central de la rue Colbert, ils furent rapidement libérés sur notre demande.


Dernier Episode – Responsabilités à la Fédération des Oeuvres Laïques

 

Ma première responsabilité date de l’Assemblée Générale de 1961. Je m’étais présenté à l’élection du tiers sortant au Conseil d’Administration. Je l’avais fait sur les conseils de Jean Le Gouill, qui était Président du Patronage Laïque de Saint-Pierre et des Quatre-Moulins, et membre du conseil d’Administration de la FOL jusque là.

Comment Jean Le Gouill a-t-il été amené à me faire cette proposition, cela mérite de faire ici une grande parenthèse.


Vie scolaire aux Quatre-Moulins

 

Arrivé à Brest, à l’école Primaire des Quatre-Moulins, après avoir quitté la classe unique de Collorec, j’écopais du cours Préparatoire de quarante-huit élèves ! C’était la tradition, les maîtres les plus anciens se répartissaient les cours. Aux nouveaux arrivants, ce qui restait. Ce ne fut pas une année facile, avec tant d’élèves dans un local plutôt exigu. Si bien que dès l’année suivante, j’optai pour un cours Elémentaire, suivi ensuite d’un cours Moyen, première année, où j’ai eu le plus grand plaisir à exercer mon métier de pédagogue.

De ces douze années passées à l’Ecole Primaire des Quatre-Moulins, il me reste mille et un souvenirs dont beaucoup sont rattachés à l’initiation musicale que je m’efforçais de fournir à mes élèves, initiation aussi à tout ce qui est beau dans la vie : la nature, la peinture, la bonne littérature…

Une année, j’avais dans ma classe un garçon considéré comme instable. Il se prénommait Jean-Pierre, grand pour son âge, effectivement assez gouailleur. Les élèves étant rangés avant l’entrée en classe, j’entends siffler un air que je connaissais bien, pour l’avoir fait écouter aux élèves : la mélodie de Borodine, dans l’oeuvre intitulée Dans les Steppes de l’Asie Centrale. Je me retourne, c’était Jean-Pierre qui interprétait cette mélodie.

Etonné, mais heureusement surpris, je lui demande :

« Tu sais ce que tu siffles ? »

« Oh ! Oui Monsieur, c’est chouette ça ‘ » Une autre fois, projetant des diapositives racontant une histoire de navigation, j’avais accompagné la projection par un disque de Rimsky Korsakoff « Shéhérazade ». A un moment donné, un élève m’interpelle, regardant l’image fixe d’un bateau :

« Monsieur, on dirait qu’il bouge… »

C’est aussi tel élève, devenu adulte et père de famille, revu bien longtemps après, qui me rappelle les leçons de géographie faites au moyen de maquettes en pâte à papier. Il s’en souvient si bien qu’il me demande ce qu’elles sont devenues !

C’est encore l’écoute de la radio scolaire qui m’aidait précieusement.

Voici ce qu’en écrit Monsieur Illiou, Inspecteur de l’Enseignement Primaire, lors de sa visite du 26 novembre 1958:

« A mon entrée en classe (14 h) on suit la leçon de musique du mercredi, de la radio scolaire. On suit d’abord la séance d’initiation musicale « l’oiseau de feu , d’Igor Stravinski,. Les élèves sont laissés sous l’impression, sans commentaires. C’est ce qu’il faut.

Leçon de chant : vocalisation, c’est bien, c’est très juste et fort bien suivi. Le menuet du « Bourgeois Gentilhomme » est un morceau relativement difficile, les élèves n’ayant pas le soutien des paroles. Monsieur Nédélec dirige adroitement cette séance initiale.»

Grâce à la radio scolaire, j’arrivais à obtenir de mes élèves de très beaux chants, à plusieurs voix, que nous pouvions présenter lors des séances théâtrales organisées au Patronage Laïque de Saint-Pierre et des Quatre-Moulins.

Bon souvenir encore ! Ces cartes que je recevais en Algérie, venant de quelques-uns de mes élèves, pendant mon séjour en 1963.

Ce qui est sûr : au bout de ma carrière d’enseignant, je crois être arrivé à dominer ce métier, pas toujours facile, où, certains jours, tout est euphorique, où, le lendemain ça ne tourne pas rond. Ce que j’ai surtout retenu, ne pas abuser de la parole. Dans une classe de quarante élèves comme c’était le cas, à cette époque à l’école des Quatre-Moulins, le verbe passe largement au-dessus des têtes. Faire faire, c’est, je crois, la base de la pédagogie. Voici ce qu’écrivait encore Monsieur Illiou, lors de l’inspection du 26 janvier 1963 :
« Leçon de sciences : L’œil. Interrogation préalable bien conduite. Le maître dispose de nombreux yeux de bœuf, utilise la projection fixe, se sert de son épiscope de fortune pour aider à la compréhension de la constitution de l’œil, fait un excellent usage du tableau : plan, croquis clair, expérimente habilement devant les enfants, puis les fait travailler à leur tour. Il les interroge souvent et la leçon se fait en grande partie avec leur collaboration. Leçon claire et profitable. C’est du bon travail. »

Ces yeux de boeuf, je n’avais qu’à traverser la rue Anatole France pour aller les chercher chez le boucher d’en face.

Suite à cette inspection, monsieur Illiou m’avait demandé d’organiser, dans ma classe, des « leçons modèles » pour de jeunes maîtres.

Encore un détail que je ne saurais passer sous silence. La journée du samedi était particulièrement lourde. L’après-midi, après la récréation, je m’efforçais de faire goûter à mes élèves les beaux textes de la littérature française. Je puisais abondamment dans « Les Misérables » de Victor Hugo (la personnalité de Gavroche les passionnait particulièrement), dans les Contes du Maupassant (La ficelle… et bien d’autres), le Roman de Renard, etc… L’écoute était très attentive et cela finissait bien la semaine.

J’avais un autre avantage. Le jeudi, je retrouvais une bonne partie des élèves (de toutes les classes) au Patronage Laïque de Saint-Pierre et des Quatre-Moulins où j’aidais à organiser des activités.

Le vendredi, retrouvant ces enfants dans la cour de l’école, ils venaient me serrer la main, ce qu’ils ne faisaient pas aux autres maîtres. Et pourtant, ces derniers étaient des enseignants de grande qualité, dont le travail était probablement mieux préparé que le mien. Avec mes responsabilités syndicales, laïques, voire politiques, j’avais le soir de fréquentes réunions hors de Brest, et je m’efforçais d’être de bonne heure le matin, dans ma classe, pour préparer la journée de travail.

En tout cas, cette présence au Patronage, le jeudi, permettait de créer des liens différents avec les enfants.


Le Patronage Laïque de Saint-Pierre et des Quatre-Moulins

 

En 1922 s’ouvrait à Brest un Patronage Laïque dans le quartier de Recouvrance, sur l’initiative de Jean Julien, instituteur, conseiller général socialiste. Face aux Patronages Catholiques existant depuis fort longtemps (en 1874, l’abbé Quéinnec en avait créé un, autour de l’église Saint-Sauveur, qu’il avait appelé Patronage de l’Espérance), Jean Julien estimait nécessaire de ne pas laisser aux seules mains de l’Église, les loisirs des enfants du quartier. En 1939, le Patronage Laïque de Recouvrance avait à ses côtés, deux autres Patronages Laïques : celui de Lambézellec et celui de Saint-Marc. À eux trois ils collaboraient dans la société des Patronages Laïques municipaux. En effet, grâce aux municipalités socialistes de l’époque, ces Patronages avaient un statut municipal, c’est à dire une aide conséquente de la ville, notamment en bâtiments.

En arrivant dans le quartier des Quatre-Moulins, j’allais connaître le Patronage de ce quartier.

La naissance du Patronage Laïque de Saint-Pierre et des Quatre-Moulins fut laborieuse. Pour satisfaire la demande des habitants, la Mairie de Brest leur attribua les anciennes écuries (en ruine) de l’ex-caserne des gardes mobiles au bas de la rue du Valy Hir.

Pendant deux ans, dirigeants et adhérents passèrent leurs samedis et leurs dimanches à redonner vie à ces ruines et en même temps à aménager un stade et une piste d’athlétisme.

Le 10 avril 1948, ce fut l’inauguration de la Salle des Fêtes. Sept cent personnes se pressaient à cette inauguration.

En fait, le Patronage avait vu jour le 12 décembre 1945. C’est à la cantine de l’école des Quatre-Moulins qu’eut lieu la réunion constitutive du Patronage Laïque de Saint-Pierre, sous la présidence de Jean Julien et avec la participation active de Jean Le Gouill, un des premiers acteurs de cette création.

Le 19 décembre 1945, se réunit le premier Conseil d’Administration qui élira Guillaume Lavel comme Président et Jean Le Gouill comme Secrétaire Général. Le siège social est à la Mairie de Saint-Pierre Quilbignon. Une baraque, au Polygone, constitue le premier local. Parallèlement, l’Assemblée Générale de L’union Sportive Ouvrière Laïque Quilbignonnaise, qui avait succédé à l’USOQ (Union Sportive Ouvrière Quilbignonnaise) créée en 1937, décidait de fusionner avec le Patronage laïque de Saint-Pierre Quilbignon et d’en devenir la section sportive sous le nom de Stade Quilbignonnais, avec comme Président François Gourmelon.

AVRIL 1972
JEAN LE GOUILL N’EST PLUS

17 avril 1972, le Patro et le Stade sont en deuil Au lendemain de la kermesse du Patro où il était encore présent le matin, Jean le Gouill a été brusquement emporté dans sa 63ème année. Militant laïque, militant du mouvement sportif, militant politique de gauche, militant du syndicat des locataires… Jean Le Couill, c’est toute une vie d’actions et de luttes au service de la jeunesse, du sport, de l’idéal laïque et démocratique, et de la population.

C’est un des principaux fondateurs du Stade Q. U.S.O.Q. en 1937) et du Patro (1945). Il en assume de nombreuses années le secrétariat général ou la présidence. Pendant ces trente cinq ans il se dévoue sans compter pour son club et son Patro.

Jean Le Gouill, c’est aussi l’un des principaux créateurs du Comité Régional de la F.S.G.T. Il en est le Président de 1946 à 1962, puis le Président d’honneur.

Au moment de son décès il est secrétaire de la S.P.L.M. Il avait également été Conseiller Municipal et membre du C.A. de la F.O.L. Il était chevalier des Palmes Académiques et médaillé de la Jeunesse et des Sports. C’est une foule considérable qui assiste à ses obsèques, le « 19 avril, prouvant mieux que tout la grande popularité et la grande estime dont il jouissait.

Au cimetière de Saint-Pierre-Quilbignon, j’avais été chargé par le Conseil d’Administration de prononcer l’éloge funèbre de Jean Le Gouill. Je le fis avec beaucoup d’émotion, après les douze années passées à militer avec lui. Ce n’était pas la première fois qu’il m’arrivait de prendre la parole dans un cimetière. Je l’avais fait à Saint-Herbot en Plonévez-du-Faou pour honorer la mémoire de monsieur Vern, qui avait offert sa grange pour ouvrir l’école publique. Puis vinrent les obsèques de monsieur Collobert qui faisait fonction d’Inspecteur de l’Enseignement Primaire. C’est au cimetière de Pont-de-Buis, que ses amis me demandèrent de parler de sa vie de militant laïque. Enfin, au cimetière de Saint-Marc, à Brest, sur la demande de son fils Claude Stéphan, je dis quelques mots sur la personnalité de son père, Pierre Stéphan, qui venait de prendre se retraite de directeur de l’école des Quatre-Moulins.

Voici d’ailleurs ce qu’en dit L’Action Laïque 29, dans le numéro 201 de février 1968 :

« Décès de Pierre STÉPHAN

Nous avons appris le décès survenu le 29 décembre 1967 de Pierre Stéphan, ancien directeur de l’École des Quatre-Moulins, puis de l’Ecole de Saint-Marc et qui occupa en 1957 des fonctions au sein de la FOL, en tant que Président de la section, qui s’appelait UFO Patros.

Au cimetière, Jean Nédélec, secrétaire général de la FOL adressa un dernier adieu à notre camarade.


Mes activités au Patronage Laïque de Saint-Pierre et des Quatre-Moulins

 

Les Patronages laïques brestois ont, dans leur histoire, toujours été étroitement liés aux groupes scolaires qui les environnaient. Il faut dire que leur ossature était essentiellement composée d’ouvriers de l’Arsenal et d’enseignants.

À une récréation, alors que je venais d’arriver dans le groupe scolaire des Quatre-Moulins, monsieur Riou, directeur de l’établissement, s’est adressé aux quinze enseignants qui déambulaient dans la cour.

Il avait à la main une circulaire du Patronage et il nous confia:

« Le Patronage laïque va tenir son Assemblée Générale annuelle. Chaque année, l’École est sollicitée pour que les enseignants assistent à cette Assemblée. Je ne suis pas disponible. Quelqu’un peut-il y aller ? »

N’ayant aucune réponse de mes collègues, il s’est tourné vers moi en me demandant si je pouvais représenter l’École.

J’hésitai un peu et finis par accepter.

J’ignorai, en acceptant, la surprise qui m’attendait.

Assis sagement parmi les auditeurs de l’Assemblée générale, présidée par Jean Le Gouill, j’entendis ce dernier faire part d’un souci : le remplacement d’André Rouet, secrétaire général du Patronage, désireux de consacrer son temps au Stade Quilbignonnais.

Connaissant mes activités dans le milieu laïque, Jean Le Gouill proposa de m’élire au Conseil d’Administration pour pouvoir devenir éventuellement le remplaçant d’André Rouet.

Je désirais pourtant, après avoir quitté Collorec, ne plus prendre de responsabilités sur le plan local.

Bien entendu, ayant accepté, j’allais me consacrer à la bonne marche de l’Association. Ce furent des années de travail bénévole, bien remplies avec tous les acteurs qui firent le bonheur de ce Patronage : les frères Robert et Pierre Hamon, François Gourmelon, les frères Abéré, la famille Pommet, Robert Mérand, Pierre Guigourèse, Alain Le Meur, Jo Piton et bien d’autres…

Il y eut d’abord les initiatives prises pour améliorer le confort des bâtiments très austères, afin d’accueillir les enfants, en particulier, dans les meilleures conditions.

Voici, le compte rendu qu’en fait L’Action Laïque 29 dans un numéro de 1964 :

« D’importants travaux ont été entrepris au Patronage laïque des Quatre-Moulins. Il s’agit principalement de l’installation du chauffage central.

Confiés à une entreprise du quartier (les militants du Patronage ayant quant à eux monté l’importante cheminée qui domine désormais l’établissement), les travaux ont été menés à bonne fin pendant les vacances scolaires.

C’est là une importante dépense, mais la direction du Patronage pense qu’elle sera rentable dans la mesure où les activités pourront s’accroître et se multiplier (bibliothèque, théâtre, cinéma, club de jeunes…) Pendant les longs mois d’hiver, grâce au chauffage, chacun y trouvera de meilleures conditions de travail.

Un bon exemple d’une organisation qui, pour ne pas rester en arrière, n’hésite pas à investir pour aller de l’avant. »

A l’Assemblée Générale du 26 novembre 1965, je précisai dans mon rapport de secrétaire général :

« Monsieur Nédélec insiste sur le fait que la garde des enfants est une des fonctions des plus importantes du Patronage et que rien de trop ne sera fait pour eux, qu’il ne s’agit pas pour cette section de regarder le côté financier, mais le bien-être moral et physique qu’on peut apporter à tous les jeunes. »

(Action Laïque 29 de décembre 1965)

II y eut aussi la construction d’une cabine de cinéma avec l’installation d’un appareil 16 millimètres à arc (la grande idée de Pierre Hénaff qui voulait en équiper tous les Patronages brestois). Cette installation fut menée à bien grâce aux conseils avisés d’André Métayer, avec qui je pratiquais par ailleurs une activité commencée à Collorec : le théâtre de marionnettes.

J’ai participé aux différentes activités qui émaillent la vie d’une telle Association : séances théâtrales avec des artistes amateurs et notamment à une certaine époque, avec des collègues nouvellement nommés à l’Ecole des Quatre-Moulins : (mes amis Cornec, Lamour, Piton et Moal) kermesses, fêtes de la jeunesse avec fabrication de chars, manifestations laïques, actions au sein de la Société des Patronages Laïques Municipaux.

C’est au sein de cette Société, qui fédère tous les Patronages Laïques brestois et qui date de 1922, année où fut créé le Patronage Laïque de Recouvrance, que j’ai pu apprécier le sérieux et la valeur de Jean Le Gouill.

  Il en était le secrétaire général et il fallait voir les compte rendus écrits, méticuleux, qu’il nous remettait après les réunions. Quand j’allais lui rendre visite, dans son HLM de Quéliverzan, je le trouvais penché sur sa machine à écrire, tapant des documents pour la SPLM, et également pour l’Association de locataires… et combien d’autres organisations sociales. Egalement conseiller municipal, il avait, même en retraite, des journées et des soirées bien remplies.

Quand il décéda, le 17 avril 1972, à l’âge de 63 ans, ce fut une grande perte.


1951 : Difficultés pour le Patronage Laïque de Saint-Pierre et des Quatre-Moulins

 

En 1951, la caserne des gardes mobiles et ses dépendances sont affectées à l’Éducation Nationale, pour construction d’un lycée.

Le terrain et les installations du Patronage sont compris dans le périmètre du nouveau lycée. La piste d’athlétisme, qui a coûté tant de travail, est sacrifiée. Privée de ses installations, la section d’athlétisme disparaît. Les autres activités connaissent également des problèmes, malgré les efforts pour cohabiter, car de plus en plus, au fil des années, c’est la mainmise et l’utilisation, par le lycée, pour ses besoins propres, des installations et locaux du Patronage qui n’a bientôt pour lui qu’une utilisation restreinte et conditionnelle, en dehors des heures scolaires, car il n’est plus chez lui, mais dans le lycée.

Cette situation va se prolonger pendant vingt ans, et ce sera très inconfortable. Pendant dix ans, pour en sortir, le Patronage a demandé l’attribution de nouvelles installations.

Enfin, en 1973, ce fut l’aboutissement de beaucoup d’efforts et de pressions sur la municipalité, pour la construction d’un nouveau Patronage.

Il faut situer cette réussite dans le contexte de l’époque. Monsieur George Lombard, Maire de Brest avait misé, pour l’animation de la ville, sur les foyers de jeunes, qu’il avait mis en place, peut-être pour faire face à la place grandissante des Patronages Laïques. Mais ce fut un fiasco ; ces foyers de jeunes fermèrent tour à tour, pour devenir plus tard des Maisons Pour Tous (MPT). En homme avisé, George Lombard reconnut que les Patronages Laïques, avec leur esprit de responsabilité, étaient mieux à même d’animer la vie des quartiers, et qu’il fallait remplacer les baraques vétustés de ces Patronages par des constructions en dur.

La société des Patronages Laïques Municipaux établit une liste des priorités. Arriva donc le tour du Patronage Laïque de Saint-Pierre et des Quatre-Moulins. Voici dans quelles circonstances ce nouveau Patronage prit le nom de Patronage Laïque Jean Le Gouill.

Au décès de notre camarade, je me suis trouvé avec George Lombard, à son chevet. Nous eûmes une courte discussion. Monsieur Lombard me dit combien il appréciait la valeur du défunt et m’avoua, puisque le nouveau Patronage était en projet, qu’il désirait qu’on l’appelle Patronage Laïque Jean Le Gouill.


1961 : Election au Conseil d’Administration de la Fédération des oeuvres Laïques

 

Jean Le Gouill, Administrateur de la Fédération des oeuvres Laïques, avait vu son mandat renouvelé pour trois ans, à l’Assemblée Générale de 1958, mandat se terminant donc en 1961.

À cette date, il me confia son désir d’abandonner cette fonction et me proposa de présenter ma candidature pour l’Assemblée Générale de 1961.

Il souhaitait que le Patronage Laïque de Saint-Pierre et des Quatre-Moulins soit toujours représenté au sein de l’organisation dirigeante de la FOL. C’est ce qui me conduisit à me présenter et à être élu. J’ignorais à ce moment que cette élection allait me mener à de plus hautes responsabilités.


1962 à 1963 – Voyages à l’étranger

 

En 1962, je me suis rendu en Pologne, pour un voyage d’études concernant les problèmes de l’Ecole et de l’Éducation. Nous étions quatre enseignants composant une délégation du Parti Communiste.

À la veille de la rentrée scolaire, les contacts ont été nombreux avec les enseignants polonais, leur syndicat, le ministère de l’Éducation.

Prenant toujours beaucoup de notes, j’en ai profité pour rendre compte de notre visite dans des articles destinés à l’Action Laïque 29, L’École et la Nation, le Bulletin Syndical du SNI. Ce que j’ai surtout retenu, c’est le grand effort accompli dans ce pays très catholique, pour aboutir à une École Laïque, c’est à dire sans enseignement religieux. Ce ne fut pas facile. Des exemples nous furent donnés de communes, où, au lendemain de la guerre, des mesures autoritaires furent prises dans ce sens. Ce fut une levée de boucliers ou plutôt de fourches, pour empêcher d’enlever l’enseignement religieux, surtout dans le sud du pays (cela a dû ressembler à ce qui se passa chez nous dans le Nord-Finistère au moment de la loi de 1905, loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat). Ce n’est qu’à la rentrée de 1962 qu’aboutirent les efforts de nos camarades polonais. Mais il avait fallu employer la manière douce. École par école, classe par classe, il fallut démontrer aux parents que l’intérêt de l’enfant était en jeu. À l’école, le travail proprement scolaire, à l’Église l’enseignement religieux. Les parents furent invités à se prononcer par un vote au sein de chaque école, pour ou contre. On assista alors à un phénomène curieux. Dans une école il pouvait y avoir des classes sans religion et d’autres, avec enseignement religieux.

L’année scolaire 1962 -1963 allait enfin voir aboutir la généralisation de l’École sans religion.

1963 fut l’occasion d’un autre voyage en Pologne : une excursion d’un mois organisée par le cercle de loisirs de Daoulas, dirigé par Claude Bernard, instituteur dans cette commune. Nous parcourûmes de nombreux kilomètres, du sud au nord de la Pologne, dans le car de Jean Le Page, transporteur à Plougastel-Daoulas. Ce voyage faisait suite à mon séjour en Algérie. En 1974, j’eus l’occasion de participer à un autre voyage d’étude en République Démocratique Allemande, avec une délégation de la Ligue Française de l’Enseignement.


1964 à 1967 – Responsable du service culturel de la F.O.L.

 

Ce sont là mes seuls voyages à l’étranger, avec cependant une petite parenthèse. En 1964, un déplacement à Kiel, en République Fédérale Allemande.

Cette année-là, je vais abandonner ma classe de CM1 à l’école des Quatre-Moulins, pour solliciter un poste d’animateur au service culturel de la Fédération des œuvres Laïques.

La Fédération disposait encore d’une vingtaine d’instituteurs appelés « mis à disposition » ; c’était un reliquat de la cinquantaine installée dans les cantons par Jean Debiesse, en 1945. La plupart d’entre eux appartenaient à l’équipe du « cinéma éducateur », postes qui seront supprimés en 1966.

Après des entretiens avec Pierre Hénaff, qui était à l’époque directeur du Centre de Documentation Pédagogique, je faisais ma demande et j’obtenais à la Commission Paritaire, ma nomination comme « délégué UFOLEA », poste laissé vacant par le départ de Salvator Le Sénéchal, qui l’occupait avant moi, à Quimper.

Ce transfert de Quimper sur Brest allait être le début d’un processus de centralisation des différentes sections de la FOL sur Brest. Pendant trois ans, de 1964 à 1967, j’allais mener de pair ma responsabilité de secrétaire général du Comité d’Action Laïque et ma tâche de délégué culturel de la Fédération des œuvres Laïques. J’allais d’ailleurs continuer dans cette nouvelle fonction mon travail d’éducateur.

Le déplacement à Kiel faisait suite à une exposition de dessins d’élèves sur le thème de Brest, ville maritime.

À Kiel, port allemand jumelé avec Brest, le même type d’exposition avait été organisé.

Au Comité de Jumelage, il avait été décidé de rassembler les dessins et d’en faire une vision d’ensemble, d’abord à Kiel, puis ensuite à Brest, avec en supplément, des dessins d’enfants de Finlande, toujours sur le même thème.

Dans le domaine des arts plastiques, quelques artistes amateurs, pour la plupart enseignants, de grande notoriété cependant, m’ont beaucoup aidé. Grâce à eux, continuant sur la spécialité qui était celle de mon prédécesseur, Salvator Le Sénéchal, des expositions de peinture ont pu circuler dans le département, tantôt dans les musées, comme à Quimper, dans des salles municipales, comme à Brest ou dans des lycées et collèges.

C’est ainsi qu’au salon national UFOLEA de Quiberon, j’ai pu rassembler les œuvres de dix-sept peintres du Finistère : Yves Bonraisin (Brest), Jacques Brenner (Pont l’Abbé), Jean Coffinières (Quimper), Raymond Damas (Brest), P. H.Denis (Plomelin), Henri Girard (Châteauneuf du Faou), André Gourvès (Landerneau), Jean Guillou (Brest), Yves-Marie Losse-Le Moal (Concarneau), J-Y Madec (Brest), Paul Marzin (Le Huelgoat), Marcel Miles (Brest), Yves Guéguéniat (Quimper), Albert Quentel (Fouesnant), Bernard Sévérac (Douarnenez), Charles Théréné (Brest), Jean-Marie Morzadec (Quimper).

Très vite, sollicité par le service national de l’UFOLEA, qui avait signé avec différents artistes, un certain nombre de contrats pour l’organisation de « Tournées Culturelles » dans les départements, j’acceptais l’expérience pour le Finistère.

Pendant les années 1964-1965, ce fut à travers le département une série de représentations sur différents thèmes: La Danse avec Michelle Nadal, Yvette Blondel, Michel Garay, la musique avec Jacques Hugot et Michel Roger, les marionnettes de Gilles, le mime avec Isaac Alvarez et sa troupe.

Accompagnant ces artistes dans leur tournée, je pus mesurer l’effort fourni pour mettre à la portée de tous un spectacle de qualité.

Dans le même temps, invité par le Patronage Laïque de Saint-Pierre et des Quatre-Moulins, Jean Ferrat se produisait au cinéma Vox à Brest. Avec Roger Merrand, trésorier du stade Quilbignonnais, co-invitant du gala, nous eûmes la charge de tout préparer : la réception de Jean Ferrat à la gare de Brest, trouver une première partie qui fut confié à notre ami Antonio, préparer la salle… Ce fut un immense succès. Dans la semaine précédant le spectacle, je recevais au siège de la FOL, 8 rue Jean Macé, un grand nombre de réservations par téléphone. Au cours de la soirée, les amis de Jean Ferrat venus (outre les brestois) de Crozon, Plougasnou, Morlaix purent apprécier avec les succès les plus anciens, les nouveautés de l’époque : « Le Sabre et le Goupillon », « Potemkine ». A une heure du matin, nous quittions Jean Ferrat, qui , après une nuit réparatrice à l’Hôtel de France, allait reprendre à 9 heures 30 le train de Paris.

Beaucoup de ses admirateurs de la veille se préparaient à le voir le mercredi 24 novembre à la télévision dans l’émission en direct d’Albert Raisner : « Têtes de Bois, Tendres Années ». Or, le chanteur-compositeur se voyait intimer l’ordre de retirer de l’émission sa chanson « Potemkine ». Cette chanson inspirée à ses auteurs (Ferrat et Georges Coulonges) par le film d’Eisenstein « Le Cuirassé Potemkine », qui avait été projeté sur la seconde chaîne, était parfaitement à sa place dans une émission destinée à la jeunesse.

Le lendemain, dans une lettre au Président du Conseil d’Administration de l’ORTF, Wladimir D’Ormesson. Ferrat et Coulonges affirmaient :

« …avec la meilleure volonté, nous ne voyons pas, nous ne comprenons pas comment l’exaltation du courage, l’exaltation d’un sentiment noble incitant l’homme à se vouloir non du côté de la force mais du côté de la. justice, pourrait être condamnable… »

Le Patronage Laïque de Saint-Pierre et des Quatre-Moulins, dans son assemblée Générale du 26 novembre, protestait près de l’ORTF contre l’interdiction de la chanson de Jean Ferrat.


Expérience des Clubs de Jeunes

 

En 1966, année du Centenaire de la Ligue de l’Enseignement, celle-ci lança la formule des Clubs de Jeunes. La vieille Dame avait besoin de rajeunir. Ce fut une expérience enrichissante. Pour ma part, j’allais y retrouver mon travail d’éducateur. À travers de nombreux stages et week-ends de formation, tant départementaux que régionaux, je mis en pratique une technique qui me semblait convenir à une époque où je découvrais l’usage intéressant du magnétophone.

Lors des tournées Culturelles proposées par l’UFOLEA nationale, l’équipe de Michelle Nadal m’avait confié le soin, en suivant le « conducteur » du programme de danses, de m’occuper de cet appareil qui contenait la musique des Ballets. L’usage de la bande magnétique m’avait beaucoup intéressé.

Je n’hésitais pas dans les stages qui allaient suivre à améliorer ce premier essai : montages audio-visuels avec mixage paroles et musique, montages poétiques, expression corporelle, art théâtral… Tout cela devenait un outil pédagogique du meilleur effet. Après un stage de théâtre à Toulouse, je montai avec le Club de Jeunes du Patronage des Quatre-Moulins, la pièce de l’auteur espagnol Arrabal : « Pique-nique en campagne ».

Avec le Service Départemental de la Jeunesse et des Sports, la FOL organisait chaque année des journées de Formation dans les Ecoles Normales de Quimper. J’utilisai les mêmes techniques ; nous avions la chance de retrouver par la suite des enseignants connaissant bien le mouvement Ligue de l’Enseignement. J’avais pour me parfaire en ce domaine, les conseils d’un technicien de grande valeur : Pierre Hénaff.


Beauregard 1966 : Une expérience enrichissante

 

1966, année du Centenaire de la Ligue de l’Enseignement, créée en 1866 par Jean Macé, fut une année bien remplie. Je le soulignai dans un éditorial de l’Action Laïque d’avril 1966.

ÉDITORIAL

POUR UNE FETE FEDERALE

A LA HAUTEUR

DU CENTENAIRE

Dimanche 22 mai 1906 : 12.000 enfants de nos écoles publiques défileront dans les rues de la ville de Brest. La Fête Fédérale de la Jeunesse et des Ecoles Publiques sera en plein développement.

Placée dans l’année du Centenaire de la Ligue de l’Enseignement – 1866-1966 – centenaire dont nous parlions dans le numéro de janvier, cette Fête devrait revêtir un succès sans précédent.

Autour de l’Ecole Publique, ce sera aussi une démonstration de la vitalité de nos Foyers de Jeunes et d’Education Populaire : Amicales et Patronages laïques.

Cependant, le dimanche 22 mai 1966 ne sera pas une journée sans précédents ni lendemains.

Du 9 au 21 mai, à l’Hôtel de Ville de Brest, une Exposition des peintres de l’U.F.O.L.E.A., de dessins d’élèves, de travaux d’ateliers éducatifs, aura permis à de nombreux visiteurs de constater que l’éducation artistique, malgré les difficultés, est en bon rang dans nos préoccupations.

UNE SERIE DE MANIFESTATIONS

L’exposition de Brest sera visible à Quimper (salle du Musée), du 24 mai au 4 juin. Puis une partie des dessins d’élèves prendra la route de Lorient où se tiendra, du 5 au 19 juin, une exposition régionale, sous la présidence de M. le Recteur d’Académie.

« IMAGES FIC 26 ET 27 « 

 Le samedi 21 mai, salle Cerdan, à Brest, ce sera le « Festival des Jeunes et de l’U.F.O.L.E.A. », un gala où alterneront : groupes folkloriques du Centre de liaison U.F.O.L.E.A, chorales (dont l’imposante chorale départementale dirigée par M. Golgevit), ballets et danses, montages, réalisations de Clubs de Jeunes et Mme Simone Bartel, grand prix du Disque 1966, dont nous parlons par ailleurs dans notre page de l’Actualité Musicale.

Le dimanche 22 mai, au matin, outre le traditionnel dépôt de gerbe au Monument aux Morts, une plaque sera officiellement apposée sur l’école Jean-Macé, à Brest, rappelant le souvenir de « Jean Macé (1815 -1894), fondateur de la Ligue Française de l’Enseignement.

Ce sera ensuite la préparation plus poussée du Rassemblement de Beauregard, du 11 au 14 juillet, où 30 jeunes finistériens et finistériennes seront présents. Membres de nos Clubs de Jeunes, ils vivront le premier Rassemblement National de Jeunes, organisé par la Ligue.

Ainsi, toute la série de manifestations que nous venons d’énumérer, et qui se situent sur le plan fédéral, permettront d’affirmer que le Finistère aura rendu un bel hommage à Jean Macé, car nous sommes bien persuadés que dans de nombreuses communes du département, le souvenir du Fondateur de la Ligue Française de l’Enseignement sera présent.

Se servir des leçons du passé pour mieux préparer l’avenir et dans cet avenir faire à la Jeunesse la place qu’elle revendique.

Pour elle, des écoles en plus grand nombre, des maîtres qualifiés mais aussi les moyens d’accéder à une véritable culture.

Certes, la tâche est difficile. Le Président Henri Faure soulignait en ces termes les difficultés à un colloque organisé par le groupe français d’Education Nouvelle et la Société française de Pédagogie :

« Apprendre a un homme à se méfier des slogans, des formules toutes faites, des affiches, de tout ce que l’on dit à la radio, à la télévision, de tout ce que l’on entend, de tout ce que l’on voit au cinéma ; lui apprendre à se méfier des mots à majuscules, ces mots qui ont des galons auxquels leurs galons font dire autre chose que ce qu’ils veulent dire ; c’est cela, pour nous, l’éducation permanente »

Tâche difficile, mais qui mérite qu’on lui consacre beaucoup d’efforts.

Jean NEDELEC    

« Je tiens ici à rendre un hommage particulier à Jean Golgevit, qui dirigea, au Festival UFOLEAdu 21 mai à la salle Cerdan, la chorale qu’il venait de créer dans le département. Pour la première fois, la salle entendit la chanson de Jean Ferrat : « Nuit et Brouillard », harmonisée par notre ami. Les efforts de Jean Golgevit porteront leurs fruits puisque le chant choral s’est particulièrement développé au sein de la FOL. Les chorales UFOLEA ont l’occasion de démontrer chaque année leur vitalité et leur maîtrise.

Un rassemblement national des Clubs de Jeunes était prévu à Beauregard dans la petite commune de Belleu, à deux kilomètres de Soissons dans l’Aisne. Il eut lieu du 11 au 14 juillet 1966 et rassembla pendant quatre jours 2000 garçons et filles dans un vaste camp sous toile de trente-deux hectares. Ils étaient vingt-trois du Finistère : de Brest -Lambézellec : Yannick Philippot, Monique Rohou, Edouard Rohou, de Brest-Saint-Marc : Luc Verveur, Maurice Verveur Joël Moal, Guy Moal, Michelle Calvez, Jacques Glévarec, de Brest-Quatre-Moulins : Jean-Marie Merrand, Jean Forest, Maryvonne Bodénès, de Landrévarzec : Yves Le Moal, de Kernével-Le-Moustoir : Denis Flatrès, de Pouidreuzic : Maurice Hamon, de Carantec :

Martin Corne, Bernard Tanguy, Roger Bernard, de Pont-de-Buis : Jean-Claude Boucher, de Quimper : Georges Charpentier, Denis Coroller, Annie Daniel, Michèle Daniel.

Partie de Brest à cinq heures du matin, cette équipe arrivait à Beauregard à 18h30, après avoir complété le car avec vingt camarades des Côtes-du-Nord.

J’avais été chargé par le service national de la Ligue de recevoir un certain nombre de personnalités que je mettais ensuite en relation avec les groupes disséminés dans le camp. Le vulcanologue Haroun Tazieff, le scientifique Jean Painlevé, le cinéaste Joris Ivens, l’homme de théâtre Gabriel Garrand et bien d’autres, me dirent après les discussions avec les jeunes, combien ils étaient satisfaits de cette expérience toute nouvelle pour eux.

À l’Assemblée Générale qui suivit et qui avait lieu à Paris, je fus chargé de faire un rapport sur l’expérience de Beauregard du 14 au 17 juillet :

« De Beauregard, où je viens de vivre quatre jours que je considère, personnellement, comme réconfortants pour l’avenir de nos Clubs de Jeunes et de la Ligue, je voudrais vous parler « sur le chaud », en particulier des « contacts » des jeunes, par groupes de quarante, avec des personnalités du monde des sciences, du théâtre, du cinéma, du sport, parce que c’était ma responsabilité au rassemblement et parce que cela se place sur le vif dans le cadre de la question à l’ordre du jour. ]’ai vu Monsieur Haroun Tazieff, assis sur l’herbe, parler des volcans qu’il connaît bien… et pour cause ! Monsieur Jean Painlevé debout, les manches retroussées, évoquer la vie des pieuvres et des cachalots, Monsieur Gabriel Garrand traiter de l’expérience du théâtre de la commune d’Aubervilliers, Monsieur le Docteur Hammon, de l’Institut Pasteur, des moustiques et de l’étude des virus et quantité d’autres « contacts », que je m’excuse de ne pouvoir citer ici, faute de temps… »

C’était le début de mon intervention à l’Assemblée Générale.


Des militants du Finistère récompensés

 

À la fin de l’année du Centenaire, la ligue de l’Enseignement avait décidé d’attribuer à des militants chevronnés une plaquette dite du Centenaire. A l’Assemblée Générale de la Fédération des œuvres Laïques, qui se tenait à Quimper le dimanche 27 novembre 1966, le Président Albert Lucas allait donner lecture de la liste des Finistériens et Finistériennes à qui la plaquette était attribuée. Cela mérite de les citer, même si, hélas, beaucoup ont disparu depuis :

Albert Arnaud, de Brest

Mme François Bosser, de Riec-sur-Belon

Corentin Caër, de Morlaix

Pierre Cloarec, de Quimper

Pierre Colette, de Morlaix

François Collobert, de Pont-de-Buis

Jean Cornée (Père), de Daoulas

Thomas Donnard, de St-Guénolé-Penmarc’h

Charles Drapier, de Brest (à titre posthume)

Dr Ary Fichez, de Plougoulm

Pierre Jakez Helias, de Quimper

François Herry, de Logonna-Daoulas

René Illiou, I.D.E.N, de Brest

Emile Lagathu, de Huelgoat

Jean-Désiré Larnicol, de Treffiagat-Lechiagat

Jean Le Gouill, de Brest

M elle Prigent, de Rosporden

Yves Pouliquen, de Commana

Tanguy Prigent, de St-Jean-du-Doigt

Charles Ronel, de Quimper

Thénénan Roump, de Brest

Guillaume Saliou, de Landrévarzec

Roger Sellier, de Brest

Charles Verveur, de Brest

À l’Assemblée Générale du Comité D’action Laïque du 12 février 1967, qui allait être la dernière pour moi en tant que secrétaire général de l’organisation, Alfred Couic, ancien responsable du SNI et Vice-Président de la Fédération des oeuvres Laïques rappela la vie militante de Jean-Désiré Larnicol.

En lui remettant la plaquette du Centenaire, Alfred Couic déclara :

« Jean-Désiré Larnicol est élu Maire de sa commune de Treffiagat-Léchiagat, à l’âge de 25 ans. Durant son mandat, l’École maternelle de Léchiagat est créée et de nouvelles classes pour les garçons sont construites.

Suspendu par décret en 1939, il participe activement à la Résistance durant l’Occupation.

À la Libération, en 1945, il est élu Conseiller Général du canton de Pont-l’Abbé, et, à ce titre, intervient de multiples fois en faveur de l’Ecole Publique et notamment pour la restauration des deux Ecoles Normales endommagées par l’occupation allemande. Dès la Libération, il fonde avec quelques amis, l’Amicale Laïque de Léchiagat.

À la même époque, nommé Délégué Cantonal, il se voit désigné Président de la Délégation de Pont-l’Abbé. Membre du Conseil d’Administration du Comité d’Action Laïque, il succède à Damalix à la Présidence, ce qui lui vaut aujourd’hui encore de diriger les travaux de ce Congrès. « 

Tout le Congres, debout, applaudit longuement l’hommage rendu à son Président. En remerciant Alfred Couic, Jean-Désiré Larnicol évoque les raisons qui l’ont, tout naturellement, mené au combat laïque, premier devoir d’un homme libre. Il considère que cette Plaquette n’est pas destinée en définitive à sa propre personne mais à l’ensemble du C.A.L. qui, aux côtés des autres organisations laïques, poursuit la lutte de Jean Macé.

Pour clore ce chapitre sur mes responsabilités au Comité d’Action Laïque du Finistère, il me faut rappeler le souvenir de ceux qui m’ont précédé : Alain Cariou, Louis Le Roux, Pierre Moalic et remercier ceux qui m’ont aidé dans cette tâche combien exaltante : Jean Kervision qui fut la « cheville ouvrière » de notre journal « L’Action Laïque 29 », Marcel Lucas, Hervé Pennec, André Le Gall, Auguste Tanguy, René Dantec, Jean Bernard, Pierre Guyader, Jean Cornec (père), Charles Verveur, Marcel Vidroc… et bien d’autres sans qui le combat mené pour la défense et la promotion de la Laïcité n’aurait pu avoir lieu avec l’intensité qu’il a connue.


1967 à 1979 – Secrétaire Général de la Fédération des oeuvres Laïques du Finistère

 

Mon élection en 1967 au secrétariat général de la Fédération des œuvres Laïques était l’aboutissement d’une longue marche du plan local au plan départemental.

Conscient des responsabilités à prendre au sein de cette Fédération, bien implantée dans le département, regroupant près de trois cents associations locales, plus de vingt-quatre mille adhérents en 1967, je succédais à trois militants qui, chacun à sa manière, avaient contribué à développer l’organisation.

D’abord Francis Madec, instituteur à Landerneau, où est née la Fédération. Il est le bâtisseur, 26 ans de responsabilités de 1930 à 1956. Puis Louis Fontaine de 1956 à 1961, et Henri Labrousse de 1961 à 1967. Dans le même temps, sept présidents ont mené la barque : Louis Le Quinquis de 1930 à 1932. Jean Julien de 1932 à 1939, Charles Drapier de 1945 à 1963, Louis Fontaine de 1963 à 1965, Albert Lucas de 1965 à 1971, Madeleine Porquet de 1971 à 1978, André Prat de 1978 à 1980.


Louis Le Quinquis

 

Louis Le Quinquis est né en 1880, dans le quartier de Recouvrance à Brest. Issu d’une famille modeste, à force de travail et de persévérance, il réussit à se faire une situation importante : Agent technique de première classe dans la Marine. Il avait participé de 1913 à 1917 à des cours d’adultes à Saint-Pierre-Quilbignon en tant que professeur de géométrie.

Très jeune il se lança dans la politique, et en 1912, à l’âge de 32 ans, il est conseiller municipal socialiste de la commune de Saint-Pierre-Quilbignon. Le sport l’attire et on le voit, dès 1905, jouer au foot-ball sur la plaine de Kérangoff, ou entre les « buttes » du Polygone. Il sera un des créateurs du stade quilbignonnais qui disparaîtra en 1914 et continuera après la guerre sous le nom de d’Union Sportive Ouvrière (U.S.O) qui deviendra l’USOLQ (Union Sportive Ouvrière Laïque Quilbignonnaise) et à nouveau le Stade Quilbignonnais (section sportive du patronage laïque Jean Le Gouill).

Cependant, outre ses activités sportives comme dirigeant et arbitre, Louis Le Quinquis va consacrer son temps libre aux oeuvres péri- et post-scolaires avec son ami Jean Julien. Il sera un des créateurs en 1912 de la Société de Bienfaisance des Écoles Laïques de Saint-Pierre-Quilbignon.

Il entre au conseil d’administration de cette société, la présidence étant confiée à Jean Julien. Après la guerre 1914-1918, Louis le Quinquis prendra la direction du Patronage Laïque de Recouvrance, créé en 1922. C’est à juste titre qu’en 1930, lors de la création de la Fédération des œuvres Laïques, il est élu Président, poste qu’il occupera jusqu’à son décès le 15 février 1932, à l’âge de 52 ans.


Jean Julien

 

Jean Julien est né le 3 février 1874 a Plonéour-Lanvern. Fils d’une famille laborieuse, il fréquente l’Ecole Publique de sa commune natale.

Il entre à l’École Normale de Quimper et obtient son premier poste d’instituteur public à Quimperlé en 1894. Il sera ensuite enseignant à Landerneau en 1896 et finalement à Brest en 1902, où il exercera à l’Ecole Publique de la rue Vauban, puis à l’École de la Communauté, dont il deviendra le directeur en fin de carrière.

Il passera 26 ans de sa vie dans le quartier de Recouvrance et là, outre son métier d’enseignant, il participera activement à la création des œuvres qui aideront l’École Publique à mieux vivre. Avec Louis Le Quinquis, il sera à la création de la Société de Bienfaisance des Écoles Laïques de Saint-Pierre-Quilbignon, dont il devient le Président. Se lançant dans la politique, il est élu conseiller municipal de la commune de Saint-Pierre-Quilbignon. A ce titre, il obtiendra la gratuité des fournitures pour les élèves des Ecoles Publiques et la création de cantines scolaires. À sa retraite, en 1934, il devient conseiller général socialiste du troisième canton.

En 1932, à la mort de Louis Quinquis, il est élu Président de la Fédération des œuvres Laïques, poste qu’il occupera jusqu’en 1939. (J’ai personnellement connu « le père Julien » comme on l’appelait, ayant été élève de l’École de la Communauté jusqu’en 1931, date à laquelle je passai l’examen des Bourses avant d’entrer au Lycée de Brest).


La mort de Charles Drapier

 

C’est avec une grande douleur que tous les laïques du Finistère auront appris le décès, survenu le vendredi 8 octobre, de Charles DRAPIER, président d’honneur de la Fédération des œuvres Laïques du Finistère et du Patronage Laïque de Recouvrance à Brest.

Dans une cérémonie, pleine de dignité et d’émotion, qui s’est déroulée le samedi 9 octobre dans l’enceinte du P.L.R., des voix très autorisées dont celle de M. CHATENAY, Inspecteur d’Académie et Louis FONTAINE, du Conseil Général de la Ligue Française de l’Enseignement ont rendu hommage à l’Enseignant et au Militant des œuvres Post et Péri Scolaires.

Dans ce premier numéro de l’année scolaire 1965-1966, qui s’ouvre ainsi bien tristement, c’est un des créateurs du « Comité d’Action Laïque du Finistère » que nous voulons saluer.

Louis FONTAINE, dans un discours funèbre d’une grande élévation, a noté «qu’issu d’une famille du Nord, Charles DRAPIER, n’en était pas moins un authentique Breton, né en pays bigouden (en 1890), ce qu’il aimait à rappeler sur le ton plaisant. »

Après l’école primaire, il poursuivit ses études au Collège de Morlaix, puis à l’Ecole Normale de Quimper (promotion 1908-1911).

Après un an d’Enseignement, ce fut le service militaire, puis la grande guerre 1914-1918. À la sortie de celle-ci, Charles DRAPIER est nommé à Daoulas avec sa compagne, Léontine DRAPIER-CADEC.

Puis ce fut le séjour au hameau de Kervez en Lopérec, chanté par MmeDRAPIER dans un livre délicieux « Kervez, ce Paradis ».

En 1925, nous le trouvons à Dirinon et enfin à Brest (adjoint à l’école Sanquer et Directeur à l’École de la Communauté).

Louis FONTAINE soulignait dans son éloge funèbre que, Militant du Syndicat National des Instituteurs, du Comité d’Action Laïque, puis de la Fédération des oeuvres laïques,

« Charles DRAPIER s’était voué corps et âme à la défense de l’École Laïque, entreprenant par la plume et la parole, une véritable croisade. Pendant des années, il parcourut inlassablement le département, apportant ici le réconfort, redressant là tort et injustice, redouté et respecté, homme sûr de lui parce qu’il était sûr de la cause qu’il défendait. »

Parlant de ses activités au PL de Recouvrance, Louis FONTAINE note :

« Chaque jour, quel que soit le temps, il traversait la Penfeld, remontait la rue Vauban pour venir s’installer, dans son bureau vétusté, souvent mal chauffé, à une table bancale sur laquelle les papiers s’amoncelaient. C’est là que, peu à peu, jour après jour, il a édifié cet admirable ensemble qu’il voulait encore parfaire et qui constitue déjà aujourd’hui l’un des plus beaux Foyers Laïques Culturels d’Éducation Populaire de la Fédération des œuvres laïques et de la Ligue Française de l’Enseignement. « 

Pour être complet, rappelons que Charles DRAPIER consacrait aussi une grande partie de son temps au Bureau d’Aide Sociale, soucieux d’aider ainsi les malheureux, les plus déshérités.

Pour notre part, militants actuels du Comité d’Action Laïque du Finistère, nous n’oublierons pas l’un des fondateurs de notre organisation et du journal « La Défense laïque » d’avant 1939.

Nous eûmes avec Charles DRAPIER de longues conversations sur nos conceptions de la lutte, qui se différenciaient parfois, mais se rejoignaient sur le fond.

Reprenant la conclusion de Louis FONTAINE, le samedi 9 octobre au P. L. de Recouvrance, nous dirons :

« Nous pleurons aujourd’hui l’ami disparu, le compagnon de lutte et de travail, qui fut pour nous un exemple et de qui nous étions fiers. Nous en conserverons le souvenir vivace et nous n’oublierons pas la leçon qu’il nous a donnée. »



Évolution de la F.O.L.

 

Quand on examine de près comment, en 1930, est née la Fédération des oeuvres Laïques, on constate que le noyau actif se concentre autour de la commune de Saint-Pierre-Quilbignon et du quartier de Recouvrance à Brest. C’est ainsi que les trois premiers présidents : Louis Le Quinquis, Jean Julien, Charles Drapier sont militants de ces lieux. Ajoutons aussi des responsables du quartier de Saint-Marc, Messieurs Blaise et Le Guen du Patronage laïque et un apport de la Caisse des Écoles de Landerneau avec Francis Madec. D’ailleurs, avant 1930, exactement en 1927, sur l’initiative de Louis Le Quinquis, avait été mis en place un embryon de Fédération avec quatre sociétés : le Société de Bienfaisance de Saint-Pierre-Quilbignon, le Patronage Laïque de Recouvrance, la Maison du Peuple de Brest et la Caisse des Ecoles de Landerneau. En 1930, sur les quinze associations qui ont fondé la FOL, huit étaient brestoises.

Dans l’Histoire de la Fédération des œuvres Laïques que j’ai rédigée pour ses 70 ans en l’an 2000, j’ai noté beaucoup de faits significatifs de son engagement pour la défense et la promotion de l’idéal laïque, sa volonté de rester fidèle aussi aux idéaux des Révolutionnaires de 1789. J’en veux pour preuve 1e compte rendu paru en 1939 dans le numéro 105 du journal « La Défense Laïque du Finistère » sur la préparation du Cent Cinquantenaire de la Révolution de 1789.

« La Ligne de l’Enseignement à laquelle appartient la Fédération des œuvres Laïques du Finistère, présidée par notre camarade Julien, conseiller général de Brest, a décidé de consacrer en 1939, les fêtes de la jeunesse qu’elle organise chaque année, au cent cinquantième anniversaire de la Révolution de 1789…

Cette question a retenu l’attention du Bureau au cours de la réunion du 19 février qui s’est tenue à Quimper… Nous avons tous pensé que la Fête commémorative de la Révolution Française devait être célébrée au chef-lieu de département et, d’accord avec les instructions communiquées par la Ligue de l’Enseignement, il a été décidé de demander à monsieur le Préfet de recevoir une délégation à ce sujet.
Une première entrevue a eu lieu le 16 mars. La création d’un Comité de Patronage et d’un Comité d’Action a été envisagée, et Monsieur le Préfet a estimé nécessaire, avant de poursuivre l’examen de cette affaire, de demander à Paris des instructions complémentaires. »

Le compte rendu continuait :

« La fête du cent cinquantenaire de la Révolution doit être célébrée avec éclat et nous espérons que tous nos camarades voudront s’associer à cette importante manifestation.

Après 150 ans, le privilège de l’argent subsiste encore, la féodalité des trusts a remplace la féodalité seigneuriale, la liberté est loin d’être complète dans notre démocratie où de nombreux pères de famille, cédant à d’intolérables pressions, sont parfois obligés de retirer leurs enfants de l’Ecole Laïque.

La grande Ligue Républicaine que préside Victor Basch publie régulièrement, dans sa revue la manchette suivante :

Les droits de l’homme sont-ils proclamés ?

– Oui

– Sont-ils appliqués ?

– Non »

« Quant à la souveraineté nationale, on l’a vue à plusieurs reprises tenue en échec par les manœuvres de la finance, dressant le Mur d’Argent devant le Suffrage Universel.

Il faut donc continuer et développer l’oeuvre des grandes assemblées de la Révolution. »

N’est-ce pas là un texte prémonitoire, tout à l’honneur des dirigeants de l’époque de la Fédération des œuvres Laïques qui comptait, en 1939, cinquante sociétés affiliées avec cinq fanfares et cinq sociétés de gymnastique.

Comme déjà souligné, de 1939 à 1945, la Fédération des oeuvres Laïques va connaître des moments difficiles. Grâce aux efforts de Jean Debiesse, Inspecteur d’Académie et des militants, les activités vont reprendre, le réseau des associations se reconstituer.

Dès ce moment, on compte 109 sociétés affiliées et 24.000 cartes en circulation. En se restructurant, la Fédération va repartir avec les sections comme elles existaient avant 1939 :

L’UFOLEA (Union Française des œuvres Laïques d’Education Artistique) s’installe à Morlaix. À Landerneau, c’est l’UFOCEL (Union Française des œuvres du Cinéma Educateur Laïque) avec Francis Madec autour du Family Cinéma.

À Morlaix également, on trouve l’UFOVAL (Union Française des œuvres de Vacances Laïques), l’UFOLEP (Union Française des œuvres Laïques d’Education Physique) et le CLAP (Centre Laïque d’Aviation Populaire).

En 1949, la Fédération est dispersée dans le département. Le président Drapier est à Brest et le siège social est à son domicile, 36 rue de Siam, le Secrétaire Général, Francis Madec et le trésorier Caugant à Landerneau, l’UFOLEA et l’UFOLEP à Morlaix, tandis que l’UFOVAL a quitté cette ville en 1952 pour Quimper-Penhars, reprise en mains par un militant qui aura marqué la vie de la Fédération : Emile Gasnier. Il se révélera un grand bâtisseur, un créateur d’oeuvres de vacances. En 1955, il propose l’achat d’une usine à Audierne pour stocker le matériel de vacances, au Conseil d’Administration du 7 décembre 1958, l’achat d’une propriété dans l’Ile des Chevaliers à Pont-1’Abbé pour l’installation d’une colonie de vacances et des terrains ici et là.

En 1955, la trésorerie quittera Landerneau pour Le Guilvinec où Jacques Morvan instituteur dans cette ville remplacera Caugant. Il sera trésorier de 1955 à 1957. Jean Morzadec, instituteur à Brest, lui succédera de 1957 à 1965. Puis suivront comme trésoriers Henri Sabatier, Francis Bodin, Paul Finot, Georges Levenez, Albert Roué…

En 1965, Louis Fontaine (Directeur de l’École Jean Macé et père de la chanteuse Brigitte Fontaine) remplace Francis Madec comme secrétaire général. D’une fédération dispersée dans le département, c’est une fédération qui commence à se regrouper sur Brest.

En 1961, un poste USEP (Union Sportive de l’Enseignement Primaire) est installé à Morlaix pour seconder Yves Priser, responsable du secteur sportif.

C’est également en 1961 que la Fédération va enfin posséder un siège social autre que le domicile du Président. Au Conseil d’Administration du 24 septembre 1961, Louis Fontaine, secrétaire général, propose la location d’un appartement au numéro huit de la rue Jean Macé. Il habitait au rez-de-chaussée de l’immeuble. Ayant déménagé au premier étage, son ancien appartement devenait disponible. Je me souviens être allé chercher des cartes confédérales pour le Patronage Laïque de Saint-Pierre et des Quatre-Moulins dans l’appartement du rez-de-chaussée où Louis Fontaine, d’une écriture soignée, vous délivrait le matériel.

En 1964, le poste UFOLEA, basé à Quimper, était transféré à Brest. Le processus de centralisation sur Brest continuait ; il se terminera en 1976. C’est en 1965 que l’UFOLEP quitte Morlaix pour Brest, de même que l’USEP en 1969.

En 1961, Henri Labrousse, instituteur à l’Ecole Jean Macé est élu secrétaire général de la Fédération. Il marque sa volonté de continuer la centralisation sur Brest, dans le même temps où il veut doter le siège social de moyens techniques : embauche d’une employée secrétaire et achat d’une ronéo électrique (Louis Fontaine œuvrait sans ces moyens).

Après mon élection en 1967 au poste occupé par Henri Labrousse, l’effort de centralisation sera mené à son terme. Cependant le transfert du service Vacances de Quimper sur Brest ne se fera pas dans la facilité. Un premier vote au Conseil d’Administration du 18 avril 1970 s’étant révélé négatif : trois voix pour, onze voix contre, trois abstentions, ce n’est qu’au Conseil d’Administration du 8 juin 1973 que le vote fut favorable: neuf voix pour, huit contre, une abstention.

Le regroupement de tous les services sur Brest enfin mené à bon terme, il n’était plus possible de demeurer au 8, rue Jean Macé. Albert Lucas, Président, demanda l’accord du Conseil d’Administration du 7 juin 1969 pour la recherche d’un nouveau siège sur Brest. Une commission était nommée pour cette recherche.

Notre choix s’est arrêté sur une maison de la rue Dixmude. La propriétaire, veuve depuis peu de temps, était décidée à vendre. Nous lui avons rendu visite plusieurs fois et l’accord fut conclu sur le prix de 135.000 F ce qui avec les frais de 13.200 F montait l’achat à 148.000 F. La somme était payée comptant grâce à un prêt à court terme de la M.A.E. (Mutuelle Accidents Élèves ) de 100.000 F, ceci grâce à son Président Alain Jade, le solde étant pris sur les réserves de la Fédération.

Entre temps j’avais obtenu un prêt de la Caisse d’Épargne de Brest : prêt de 100.000 F en 5 ans au taux de 5,5 pour cent. II fallait, bien entendu, la garantie d’une commune. La Mairie de Brest ayant opposé un premier refus, le Président Albert Lucas intervenant près de monsieur Berest, adjoint de la Ville, réussit à obtenir cette garantie. Le reste du dossier suivit : subvention de la Caisse d’Allocations Familiales, vente de l’Usine d’Audierne (le matériel vacances étant rapatrié dans un local que nous fîmes construire sur la zone industrielle de Kergaradec à Brest).

À la tête de la Fédération depuis 1967, ce fut là une de mes plus grandes réussites, d’autant plus que derrière cette maison existait un grand terrain où furent édifiés des locaux neufs où aujourd’hui fonctionnent dans de bonnes conditions les différents services de la Fédération.

Le centre Fédéral sera inauguré en 1976, en présence de Jean Debiesse, président de la Ligue de l’Enseignement.

SAMEDI 6 DECEMBRE 1976
INAUGURATION DU CENTRE FÉDÉRAL
UN TOURNANT DE LA F.O.L.

Le Samedi 6 décembre était le jour fixé pour l’inauguration du Centre fédéral de la rue Dixmude à Brest. Nombreux étaient les invités qui ont pu dans un premier temps visiter les locaux mis à la disposition des animateurs et des employés.

Chacun a pu apprécier l’agencement très fonctionnel des bureaux, la qualité de l’accueil réservé aux usagers, notamment du service vacances. Un vaste sous-sol permet de ranger le matériel léger, tandis que le matériel lourd est emmagasiné dans l’entrepôt neuf de la zone industrielle de Kergaradec : entrepôt de 500 m2 terminé également avant l’inauguration.

Dans un deuxième temps, une réception était organisée au lycée de Saint-Marc, tout proche, mis aimablement à notre disposition par le Proviseur de l’établissement.

Placé sous la présidence de Monsieur Jean Debiesse, ancien inspecteur d’académie du Finistère – en 1945 – et actuel président de la Ligue française de l’Enseignement et de l’Éducation permanente, cette réception fut marquée par un certain nombre d’interventions : celles du secrétaire général de la F.O.L., Jean Nédélec, qui fit un bref raccourci du développement de la Fédération depuis ce jour du 11 mai 1930 où elle vit le jour à Landerneau. Il n’oublia pas de rappeler le souvenir de quelques militants disparus depuis : Charles Drapier, Francis Madec, Louis Fontaine, Henri Labrousse, Paul Finot.

M. Morel, inspecteur d’Académie du Finistère, tint à souligner tout l’intérêt qu’il portait aux activités de la F.O.L. et à ses réalisations comme ce Centre fédéral et bientôt le Centre de Nature de l’Ile des Chevaliers.
M. Debiesse, après avoir rappelé quelques souvenirs de son passage dans le Finistère en 1945-1946 à une époque où il fallait tout rebâtir, a évoqué un certain nombre de problèmes scientifiques du monde moderne. Chacun sentait que c’était l’ancien directeur du Centre de Saclay qui tenait à fournir à l’auditoire des réflexions personnelles sur ce monde évoluant de plus en plus vite.

Il revenait à la présidente de la F.O.L., Madeleine Porquet, d’analyser le sens profond de cette importante journée.

Après avoir remercié les personnalités présentes et excusé beaucoup d’autres, elle tint à souligner la présence, outre le président de la Ligue : de Paul Liot, président de la F.O.L. du Calvados et vice-président de la Ligue ; de Roger Le Coz, secrétaire général de la F.O.L. de la Manche et membre du C.A. de la Ligue ; de Hervé Le Berre, secrétaire général de la F.O.L. du Calvados ; de Jean Gaillard, délégué régional de la Ligue ; de M.M. Courtillon et Bigot, directeur et directeur-adjoint du cinéma de Rennes.

Elle remercia également les organisations ou collectivités qui ont aidé la F.O.L. pour ces deux réalisations : la Caisse d’Épargne de Brest, la municipalité qui a couvert l’emprunt de la Caisse d’Epargne (M. Bérest, maire de Brest, était présent à la cérémonie), la Caisse d’allocations familiales du Nord-Finistère, le Conseil général, la M.A.E., la Ligue de l’Enseignement.

Puis Madeleine Porquet poursuit :

NOS FINALITÉS

Nous sommes un mouvement d’éducation laïque, non pas neutre, mais résolument engagé dans le combat pour assurer à tous les hommes l’épanouissement le plus large possible, un mouvement ouvert à tous les enfants qui deviendront les hommes nouveaux de demain.

Et je donnerai pour preuve de cette ouverture l’accueil fait à tous les enfants, quelle que soit l’école qu’ils fréquentent, dans nos patronages, nos foyers, nos oeuvres de vacances.

L’action de nos services est orientée par la ligne politique de la Ligue qui s’élabore et se définit dans nos congrès et nos assemblées générales.

Si pendant longtemps cette ligne est restée un peu floue, axée surtout sur le désir de justice sociale, de respect des libertés individuelles et collectives, de refus de toute ségrégation, elle vient, au congrès de Nîmes en juillet 1975, de se préciser et de s’engager résolument par, je cite,

–  » la condamnation de la société capitaliste dans laquelle nous vivons, par la remise en question de notre vie tout entière, de cette vie en miettes, dans la dispersion, avec des temps de vie séparés, sans lien, sans unité profonde, sans responsabilité ni décision personnelle consciente, sans véritable adhésion, sans solidarité. La Ligue doit répondre aux aspirations des travailleurs en lutte pour l’établissement d’une société de type socialiste ou les hommes seront responsables et gestionnaires de leurs entreprises, de leurs unités de production, de leurs loisirs. Elle le fera en visant à la formation de l’homme responsable de lui-même et du monde dans lequel il s’insère, c’est-à-dire capable de se situer dans ce monde et d’agir sur lui, de l’homme solidaire des autres, de l’homme fraternel et créatif qui construira la société de demain. Ce combat n’est-ce pas celui de la quête du bonheur pour tous dont Saint-Just disait en 1793 qu’il était « une idée neuve » dans le monde.

Un bonheur qui passe par une prise en charge par chacun, enfant et travailleur, non seulement de sa propre vie, mais de celle de son milieu naturel et social.

Et par la protection de ce milieu menacé par les entreprises privées à la recherche du profit.

Jouirons-nous encore longtemps, en Finistère, si nous n’y prenons pas garde, de côtes encore intactes, de bois et de sentiers propices aux promenades pédestres ou équestres, des fruits de la mer, de la lumière de nos ciels, de la profondeur de nos silences marins ? La lutte contre la pollution, contre l’implantation de centrales nucléaires sur nos côtes, la défense du droit de chacun à l’environnement, celle de la langue et de la culture bretonnes, l’information sur les problèmes économiques et sociaux, l’aide aux immigrés, l’accueil d’étudiants étrangers, telles sont quelques-une de nos pistes de travail et de réflexion.

Notre ambition : devenir un véritable lieu de vie, de rencontres, de combat, de recherches, d’information, de réflexion, d’amitié, d’expériences créatrices pour les enfants, les femmes et les hommes désireux de changer la vie, de l’éclairer enfin de la lumière nouvelle du bonheur pour tous.

Alors nous pourrons mesurer le chemin parcouru de Saint-Just à Paul Éluard, du visionnaire au poète et redire avec celui-ci : « il ne faut pas de tout pour faire un monde, il faut du bonheur et c’est tout. »


Assemblée Générale à Carhaix, le 3 décembre 1967

 

     C’est la première Assemblée Générale à laquelle je présentai un rapport d’activités. Sous la banderole préparée par nos amis cheminots de Carhaix, on pouvait lire :

« Ensemble, Gagnons la Bataille de l’Éducation Permanente ». Dans mon intervention je remerciai Henri Labrousse, mon prédécesseur, pour les années passées au service de la Fédération. Jean Kervision rappela les liens étroits qui unissaient le Comité d’Action Laïque et la Fédération des oeuvres Laïques (tous deux émanations des Amicales et Patronages Laïques), et évoqua le succès de la manifestation du 22 octobre 1967 à Brest, avec la participation de Jean Cornec fils. Il me remercia pour le travail fourni au Comité d’Action Laïque comme secrétaire général.

Le même jour, se tenait à Carhaix une réunion trimestrielle de travail des chorales UPOLEA sous la direction de Jean Golgevit. Des cars avaient déversé dans la ville, le matin, environ 400 garçons et filles venus de Brest, Quimper, Plougasnou, Daoulas etc.. À nouveau, Nuit et Brouillard de Jean Ferrat, se fit entendre avec beaucoup d’émotion. Le Président Lucas, tint à féliciter Jean Golgevit et les chorales UFOLEA.

Nous avons parlé de la paix (allusion à une partie de mon rapport où je parlais du conflit en Indochine), ils ont chanté la Paix, évoquant le premier canon chanté « Le Temps Viendra ».

De 1967 à 1979, j’allais devenir disponible pour accomplir la tâche de secrétaire général de la Fédération des oeuvres Laïques, et le travail n’allait pas manquer, d’autant plus qu’après avoir été Délégué Régional à la Formation des cadres pour l’organisation des stages régionaux, je prenais pour quelques temps la Fonction de Délégué Régional de la Ligue de l’Enseignement, avant d’être remplacé par Jean Gaillard, secrétaire général de la Fédération des oeuvres Laïques des Côtes-du-Nord. Tout cela allait m’occasionner de nombreux déplacements à Paris et à travers la France, lors des Assemblées Générales et Congrès de la Ligue de l’Enseignement. Une des premières mesures adoptées, lors du Conseil d’Administration du 27 janvier 1968, fut de rétablir le titre du journal l’Action Laïque, « organe du Comité d’Action Laïque et de la Fédération des oeuvres Laïques ». Cette dernière partie ayant été supprimée en 1958, a la demande de Charles Drapier, alors Président de la Fédération. Le journal était devenu une revue régionale éditée chaque mois par les Fédérations du Finistère des Côtes-du-Nord et de l’Ille-et-Vilaine. Il y avait une partie générale pour les trois départements et un cahier spécial pour chacun d’en- tre eux.

La proposition du Bureau de la FOL de redonner au journal le sous-titre d’avant 1958 fut adoptée à l’unanimité par le conseil d’administration.


Mai 1968

 

En cette année 1968, la situation politique allait s’alourdissant et, en mai, allait éclater la colère des Français contre un Pouvoir rejeté par une grande partie de la Population. La Fédération des oeuvres Laïques n’allait pas rester inactive, et elle joua son rôle dans ces journées mouvementées.

Tous les jours, ou presque, se tenait le rassemblement des grévistes sur la place devant la Poste Centrale de Brest. La Fédération disposait de moyens sonores, ils furent mis à la disposition des orateurs, les camarades de l’EDF installant les haut-parleurs au sommet des poteaux électriques. Avec l’estafette de la Fédération, Raymond Pouliquen, un de nos animateurs, partait en campagne pour chercher du ravitaillement pour alimenter les cantines scolaires. Il faut souligner le rôle de Madeleine Porquet, Inspectrice des Écoles Maternelles, qui deviendra Présidente de la FOL, en 1971, qui sera très active pendant toute cette période. Elle organisera, après ces journées de mai 68, des classes de mer gratuites pour les enfants des grévistes à la propriété de l’Ile des Chevaliers avec l’aide de ses amis de Landerneau : monsieur et madame Coatanéa.

En mai 68, il m’est arrivé une drôle d’aventure : je n’avais plus de permis de conduire.

En 1967, alors que j’étais délégué UFOLEA, je m’étais rendu à Rennes avec Yvonne Le Cann, animatrice à la FOL, pour le vernissage d’une exposition régionale de peinture, prévue à 17 heures. Partis relativement tard de Brest, nous roulions à vive allure, dans le brouillard. Finissant de doubler un camion en haut d’une côte et suivi depuis un certain temps par une voiture de gendarmerie, le PV était inévitable. La suite ? Ce fut une convocation au Tribunal de Rennes. J’y suis allé parce que le même jour j’étais convoqué à une réunion du Conseil d’Administration de l’OROLEIS (Office Régional des œuvres Laïques d’Éducation par l’Image et le Son). Je quittais cette assemblée pour me présenter devant le juge. N’ayant pas d’avocat, l’affaire fut vite réglée : amende et suspension du permis de conduire pour un mois.

Le plus drôle, c’est au début du mois de mai que les gendarmes vinrent m’enlever mon permis. Heureusement, mon ami Raymond Pouliquen, celui qui conduisait l’estafette de la Fédération, me prêta un solex, ce qui me permit de circuler dans les rues de la ville et en particulier de naviguer, aux derniers jours du conflit, entre les deux défilés pour éviter qu’ils ne se rencontrent. Le cortège des partisans du Général De Gaulle, descendait près de la Poste, le nôtre étant arrêté au niveau du bas de la rue Jean Jaurès. Faisant la navette entre les deux, je pus signaler le moment où nous pouvions reprendre notre marche.

1968 fut décidément riche en rebondissements, ce devait être l’année de le Fête Fédérale, prévue à Morlaix. Je m’étais donc rendu a l’Ecole Gambetta de cette ville, pour la préparation de cette manifestation qui rassemblait chaque année Ecoles Publiques et associations Laïques. Il y avait là les directeurs et directrices des Ecoles de la circonscription avec l’Inspecteur de l’Enseignement. La première partie de la réunion se passa dans un brouhaha continuel, les enseignants présents écoutant si peu leur inspecteur. Quand ce dernier me passa la parole, je commençai par ne rien dire, ce qui ramena le calme (vieille méthode pédagogique) et je pus expliquer dans le silence le programme de la fête.

Mais cette fête n’eut pas lieu pour cause de mai 68 !

C’est alors que me revint en mémoire une idée lancé par Charles Drapier et Jacques Kerhoas au Conseil d’Administration de la Fédération du 24 septembre 1961 :

l’idée d’un rassemblement laïque dans le forêt du Cranou.

Pourquoi ne pas remplacer la Fête Fédérale par ce rassemblement ? La femme de Charles Drapier était originaire d’un lieu-dit, entre Le Faou et Rumengol, appelé Pont De Bois, tout près de la forêt du Cranou. Léontine Drapier-Cadec était connue dans le département comme enseignante, mais surtout comme écrivain. D’une plume alerte, elle avait écrit plusieurs ouvrages sur Kervez en Lopérec, où elle avait enseigné avec Charles (« Kervez ce Paradis »), sur Recouvrance, qu’elle aimait beaucoup. Pour l’Action Laïque 29, elle avait confié plusieurs contes : La Maison Rouge du Cranou, Gibraltar de Recouvrance et le dernier en date qu’elle m’avait remis lors d’une visite que je lui avais rendue au 36 rue de Siam : Le Retour du Marin, paru dans le numéro de novembre 1977 du journal, illustré par Georges Nédélec, mon cousin germain.

Jacques Kerhoas, était natif du Faou, instituteur à Daoulas et créateur du Centre Nautique de Moulin-Mer et initiateur des classes de Mer avec René Le Corre qui fut à un moment de sa carrière, délégué UFOLEP. Autant dire que le choix de la Forêt domaniale du Cranou comme lieu de rassemblement des laïques du département venait de militants connaissant bien le secteur.

C’est pourquoi le Bureau de la FOL ayant eu connaissance des projets de Charles Drapier et Jacques Kerhoas décida de lancer dès 1968 la fête fédérale du Cranou. Et ce furent sept années de retrouvailles pour les laïques venus de tout le Finistère, de 1968 à 1974.


Les réunions de secteurs

 

Parmi les réunions auxquelles participe un secrétaire général de la Fédération des œuvres Laïques, les plus importantes sont certainement celles qui concernent le contact avec les militants de base. C’est pourquoi la FOL du Finistère décidait dans les années 1973-1974 une série de réunions de secteurs qui allaient regrouper plus de 500 adhérents ou autres militants laïques venus de plus de 200 associations. Y participèrent des membres du Conseil d’Administration, des animateurs dont en particulier Jean-Pierre Le Gall, délégué UFOLEP, qui fut pour moi d’une aide précieuse. Nous partions le soir de Brest pour parcourir le département avec un document, un film mis à notre disposition par la Ligue de l’Enseignement : « Le Temps des Questions », qui situait la place d’une Amicale Laïque dans une société en évolution et du rôle du bénévolat. Ce pouvait être aussi un montage audiovisuel réalisé par nous sur la Fédération et ses services. Jean-Pierre Le Gall durant les années passées au service du sport dans le Fédération, par son contact avec les sections sportives aura fourni des bases solides pour l’extension de l’UFOLEP.

En plus des réunions de secteurs, stages et journées d’études étaient organisés pour une meilleure connaissance de la vie fédérative : stage sur les problèmes économiques en juin 1969 à Trégunc, journées d’études départementales sur l’action socioculturelle au centre nautique de Moulin-Mer les 10 et 11 novembre 1970, avec un représentant de la Ligue de l’Enseignement, Gilbert Thévenard…

D’autres batailles étaient menées sur le plan scolaire pour la réouverture d’Ecoles Publiques notamment dans le nord Finistère. Il y eut d’abord Rédéné, dans le sud, puis Ploudalmézeau, Plabennec, Plouguin, Bourg-Blanc, Locmaria-Plouzané, Milizac et aussi la glorieuse histoire de Plogonnec qui valut à notre Inspecteur d’Académie, monsieur Morel une chanson humoristique sur cette affaire, gravée sur un disque, édité par les soins de l’œuvre des Pupilles.

Je ne saurais oublier dans cette série d’activités auxquelles j’ai participé, les nombreux stages de « restaurants d’enfants » organisés par Andrée et Pierre Decuq, Instituteurs à Névez. Ils ont formé un grand nombre de cuisiniers, cuisinières, gérants de cantines scolaires. J’ai assisté à plusieurs sessions de Formation, à des Conférences sur la Diététique et je puis certifier des efforts fournis par ces deux militants au service de la santé de nos enfants.


En souvenir

 

Arrivé à ce point de mon parcours de militant, je ne puis conclure sans rappeler le souvenir des camarades disparus qui ont œuvré avec moi pour le maintien et la progression de la Fédération des œuvres Laïques. J’ai travaillé avec deux présidents, tous deux hélas disparus.

Albert Lucas : à la mort de Charles Drapier, dont il est question par ailleurs et après le départ de Louis Fontaine pour Paris, où il travaillera an Centre Confédéral de 1967 à 1973 et où j’aurai l’occasion de le retrouver, Pierre Hénaff recherchera un président issu de l’Université de Bretagne Occidentale, afin de donner avec juste raison, plus de poids à la Fédération. Il obtient l’accord d’Albert Lucas, fils d’instituteurs, qui se révélera un président efficace. Né à Guilers, le 7 août 1928, agrégé de l’université, docteur es sciences, maître de conférences à la Faculté de sciences, il fut de tous les combats de la Fédération : mai 1968, Présidence du meeting de la manifestation du 22 octobre 1967 à Brest…

Ardent défenseur de la Nature, dirigeant de la SEPNB (Société pour l’Étude et la Protection de la Nature en Bretagne), il fournira à notre revue Action Laïque Bretagne, après avoir quitté la présidence de la FOL, deux articles sur la Nature et l’Environnement.

Fauché en pleine force de l’âge, il repose au cimetière du Relecq-Kerhuon.

Madeleine Porquet : Inspectrice des Ecoles Maternelles, elle devient présidente de la Fédération, après le départ d’Albert Lucas. Amie intime d’Elise et Célestin Freinet, elle raconte dans un livre paru en 1981, « Un Certain Goût du Bonheur, sur Les Pas de Freinet », son parcours de militante. Elle y parle notamment de son action pour les cantines scolaires en mai 1968, de son expérience des classes de mer pour la petite enfance à l’Ile des Chevaliers. Son nom a été donné à une école maternelle de Brest. Pour des raisons de santé, elle quittera la présidence de la FOL et sera remplacée par André Prat, responsable de l’Amicale Laïque de Plouzané.

Le départ de la Présidente

     Au début du Conseil Fédéral, la lettre suivante a été lue La présidente, Madeleine Porquet y annonce son départ pour raisons de santé :

Cher camarades.

Je vous prie de bien vouloir excuser mon absence au Conseil Fédéral du 25 mars 1978. Des raisons de santé font qu’il m’est très difficile désormais de participer aux activités de la Fédération.

Or je ne peux concevoir le rôle de présidente que d’une façon active.. C’est pourquoi je vous remets ce soir mon mandat, devançant d’un an l’échéance.

Je pense l’avoir exercé pendant 7 ans aussi bien que je l’ai pu et vous avoir aidé à faire de notre Fédération une œuvre vivante active, au service des enfants et des adultes soucieux d’une vie plus ouverte et meilleure pour tous. Notre fédération est désormais bien implantée à Brest, à Quimper et au Centre de Nature de l’Ile des Chevaliers dont la réalisation nous a donné à la fois tant de travail et tant de joie.

Je suis heureuse de savoir que. pour sa première année de fonctionemment, il tourne à temps plein et apporte à plusieurs centaines d’enfants 15 jours de vie largement ouverte sur la mer, la nature et l’amitié. (La présidente donne ensuite quelques idées pour son remplacement et termine en souhaitant à tous de longues années de travail au service de la Fédération )

Madeleine PORQUET

Le Conseil Fédéral tient à adresser à Madeleine Porquet qui n’a pas ménagé sa peine à la tête de la F.O.L., ses vifs remerciements pour avoir pris la direction à un moment difficile. Tous les adhérents de la Fédération lui souhaitent après un moment de repos, de retrouver une bonne santé.

Décès de Mlle Madeleine Porquet, 

ancienne inspectrice 

des écoles maternelles

Mlle Madeleine Porquet, ancienne inspectrice des écoles maternelles à Brest, vient de décéder au cours d’un séjour dans le sud de la France.

Née dans les corons du Nord, Mlle Porquet aura marqué son passage dans le Finistère par son activité de pédagogue et de militante laïque. Elle débuta en 1935 comme institutrice à Masnières, dans la région de Cambrai. Marquée par la guerre 39-45, puisqu’elle fut déportée en Allemagne, elle devient après cette douloureuse période inspectrice des écoles maternelles. Nommée dans le Finistère en 1957, elle y exerça ses fonctions jusqu’en 1971. Elle travailla sans répit en faveur de la méthode Freinet.

En mai 1968, elle eut une attitude courageuse, se dévouant sans compter pour l’organisation des repas aux enfants de grévistes. Ayant élu domicile à Plougastel-Daoulas au village de Kerdraon-Vras, elle s’était bien intégrée à son pays d’adoption.

Sa retraite, en 1971, n’était pas synonyme d’abandon. Elle fut élue à cette date présidente de la Fédération des œuvres laïques du Finistère, responsabilité qu’elle assuma jusqu’en 1978. C’est sous sa présidence que furent menés à bien les travaux de rénovation du centre de la petite enfance de l’Ile des Chevaliers à Pont-1’Abbé, projet qui lui tenait particulièrement à cœur. Ce centre accueille maintenant les élèves de la maternelle à la classe de 3e et des colonies de vacances. Madeleine Porquet nous a laissé un ouvrage où elle a laissé parler son cœur : « Un certain goût du bonheur ».

Ses obsèques ont eu lieu dans le Var, à Gonfaron.

Francis Madec : Le 9 juillet 1971, on apprenait le décès du premier secrétaire général de la Fédération des œuvres Laïques, qui exerça cette fonction de 1930 à 1956, soit pendant 26 ans. À défaut de pouvoir lui rendre hommage, à l’occasion de ses obsèques, la FOL faisait paraître dans la presse le communiqué suivant :

COMMUNIQUÉ

À la suite du récent décès à Landerneau de M. Francis Madec, et malgré la retraite totale de la vie publique qu’il avait choisie et le fait que ses obsèques se soient déroulées dans la plus stricte intimité, la F.O.L. du Finistère tient à rendre un dernier hommage à celui qui, avec quelques autres précurseurs, dont Charles Drapier, l’a créée voilà plus de quarante ans. Francis Madec a été son premier secrétaire général et son animateur pendant plus de vingt ans.

Le bureau fédéral tient en la circonstance à rappeler l’homme de cœur mais aussi l’homme clairvovant et d’action qui a été à l’origine de plusieurs créations importantes dont notamment : l’Office régional du Cinéma Éducateur de Rennes (aujourd’hui O.R.O.LE.I.S.) et, sur le plan national, de la société Citevox dont la vocation est d’aider les fédérations des œuvres laïques en faisant pour elles les opérations à aspect commercial que leurs statuts leur interdisent et qui sont néanmoins indispensables a une politique culturelle cohérente

Le bureau fédéral s’incline devant le militant dont le souvenir et l’œuvre sont, une génération plus tard, très vivaces.

Autres disparus :

Louis Fontaine, décédé le 29 janvier 1974, à l’âge de 67 ans. Il avait succédé à Francis Madec, avant de devenir président en 1963. De 1967 à 1973, il avait travaillé au Centre Confédéral à Paris.
Henri Labrousse, disparu le 2 décembre 1974, à l’âge de 62 ans. Il était élu secrétaire général en 1961. Venu du Bordelais, né à Sainte-Foy-La-Grande, comme il aimait à le rappeler, de son accent chantant, avec lequel il disait aux Parisiens : « Nous en Bretagne ».

Et puis notre regretté Inspecteur d’Académie de 1945 : Jean Debiesse, décédé en octobre 1978, Emile Gasnier, le bâtisseur de Centres de vacances, le 17 septembre 1978, Roger Sellier, le 28 janvier 1979.


DÉCÈS DE ROGER SELLIER

 

Nous avons appris. !e 26 janvier 1979, le décès de Roger Sellier. Enlevé à l’affection des siens par une cruelle maladie, Roger avait joué dans notre Fédération un rôle prépondérant. Type parfait du bénévole ne mesurant ni son temps, ni sa peine, pendant plus de vingt ans il a animé la section C.L.A.P. (centre laïque d’aviation populaire). Professeur au C.E.T. du Bouguen, devenu ensuite C.E.T. Dupuy de Lome, notre regretté camarade passait de longues heures à la Fédération et sur les terrains avec les clubs d’aéromodélisme.

Membre élu du conseil d’administration de 1966 à 1973, Roger Sellier avait abandonné ses fonctions lors de son départ pour le Morbihan, à l’occasion d’une mutation qui le rapprochait de Quiberon où il développait également une grosse activité au sein de l’Aéro-Club.

Dans le Finistère Roger n’avait pu voir l’aboutissement d’un projet qui lui tenait à cœur : le Centre d’aviation et de plein air du Menez Hom dont il était le promoteur mais qui rencontra des interdits venant du Ministère de la Marine. C’était en 1965.

Le samedi 27 janvier 1979, une foule nombreuse assistait aux obsèques civiles de notre camarade. Une délégation de la F.O.L. du Finistère était présente. Dernier hommage : un avion de l’Aéro-Club de Quiberon tournoyait dans le ciel froid et triste de l’hiver et saluait la dépouille mortelle.


Assemblée Générale de la Ligue Française de l’Enseignement et de l’Éducation Permanente du 2 au 7 juillet 1979

 

Point final de cette aventure qui m’a mené pendant 60 ans des quais de la rivière du Faou au secrétariat général de la Fédération des œuvres Laïques du Finistère, c’est l’organisation et le déroulement de cette Assemblée Générale.

Cela faisait longtemps qu’aux réunions nationales de la Ligue, des Camarades bien intentionnés me questionnaient : « quand irons-nous à Brest pour l’Assemblée Générale ? » Avant de prendre ma retraite d’enseignant, avec mes 37 annuités et demie de service, j’acceptais enfin de satisfaire à leur demande.

Mes remerciements vont ici à monsieur Monange, doyen de la Faculté des Lettres, qui mit aimablement les locaux de la Faculté des Lettres à notre disposition. Les travaux se déroulèrent dans d’excellentes conditions. Entre temps, était intervenu un changement dans les responsabilités à la Fédération. Un nouveau bureau avait été élu. Nicole Poulmarc’h devenait secrétaire générale et j’occupais le poste de vice-président.

À l’ouverture d’une Assemblée Générale de la Ligue de l’Enseignement, c’est le président de la Fédération qui prononce le discours de bienvenue. André Prat me confia la tâche d’accueillir les délégués. Dans mon intervention, je parlais essentiellement des luttes menées dans le département pour la défense et la promotion des Ecoles Publiques, surtout dans le nord Finistère, que nous étions en train de reconquérir, et je citais l’exemple de Plourin-Ploudalmézeau, qui était de pleine actualité.

Au lendemain de l’Assemblée Générale, c’est une sortie à Ouessant qui était organisée. La traversée se fit par un temps trop calme au dire de certains, mais un repas typiquement îlien, au mouton d’Ouessant avait été concocté par le directeur de l’École Publique, monsieur Normand.


Départ en retraite

 

Le (demi) départ en retraite de M. Jean Nédélec secrétaire général de la F.O.L.

« Comment imaginer Jean Nédélec en retraité, lui qui a manifesté tant de vitalité pour l’école publique, l’action syndicale, les organisations laïques ? » s’est exclamé M. Maille, adjoint au maire, devant les nombreux amis et militants de l’ancien secrétaire général de la Fédération des œuvres laïques, réunis mercredi soir, à l’hôtel de ville, pour lui témoigner leurs sentiments à l’occasion de son départ en retraite.

« II a toujours fait preuve d’un grand esprit d’ouverture, de tolérance »,  a dit encore M Maille « Nul ne saurait lui reprocher de s’être détourné de son action pour des intérêts partisans. » Puis : « Je suis persuadé qu’on le rencontrera encore partout où l’on se bat pour la liberté de l’homme, sa prise de responsabilité. »

S’exprimant à son tour, M. Nédélec associa à l’hommage qu’on lui rendait « les dirigeants, les élus et les milliers de bénévoles engagés dans la même action ». Il évoqua ensuite les débuts « héroïques de sa carrière », soulignant le précieux concours d’un inspecteur d’académie, M. Jean Debiesse, alors qu’il faisait ses premiers pas de militant laïc à Collorec, au lendemain de la guerre, à une période particulièrement tendue et l’aide, plus tard, de M. Jean le Gouill, celui-ci l’incitant à entrer au conseil d’administration de la F.O.L.. et à prendre le poste de secrétaire général du Patronage des Quatre Moulins.

Agé de 59 ans, M. Jean Nédélec est originaire du Faou mais a passé l’essentiel de sa jeunesse à Brest. Instituteur à partir de 1939 il exerça successivement à Concarneau, au Trévoux et à Plogoff avant d’être mobilisé (en 1940). Reprenant l’enseignement en 1944, il eut un poste de suppléant à Brest et fut évacué avec ses élèves à Landeleau. Plus tard il fut nommé à Saint-Nic, Loqueffret, Collorec et, enfin, Brest, à l’école des Quatre-Moulins.

A Collorec, il exerça durant sept ans, de 1945 à 1952. Cette période marqua ses débuts de militant de la F.O.L. Il créa dans cette petite localité une Amicale laïque dont le théâtre était une des activités les plus appréciées. Entre 53 et 63, il fut secrétaire général du patronage des Quatre-Moulins, de 60 à 67, secrétaire général du Comité d’action laïque du Finistère, en 1963, on lui confia un poste d’animateur à l’U.F.O.L.E.A. ; enfin quatre ans plus tard, il devint secrétaire général de la F.O.L..

M. Nédélec n’abandonne pas toutes activités. Vice-Président de la F.O.L. depuis la dernière assemblée générale, il préside la commission culturelle du mouvement.

Son Successeur en tant que secrétaire général est une femme de 32 ans, Mme Nicole Louarn, originaire du Relecq-Kerhuon. Elle a enseigné à partir de 1967 à Landerneau, Guipavas, Coataudon, Brest et dans le Morbihan. Son dernier poste était à l’école primaire de Lambézellec. Elle est, depuis 1974, à la disposition de la F.O.L., spécialement au service « Vacances » (U.F.O.V.A.L.).

Ecrit à 82 ans, ce résumé de ma vie militante m’amène à quelques réflexions.

La chance et le hasard vous conduisent à un destin que vous ne pouviez imaginer. La chance : c’est d’avoir eu à 11 ans un « mentor », qui vous fait découvrir ce qu’il y a de beau dans la vie et vous pousse à entamer une éducation pour laquelle vous ne vous sentiez pas prédisposé. Le hasard : la guerre qui vous déracine et vous transporte dans des lieux inconnus.

J’ai pris des responsabilités, je les ai assumées de mon mieux, conscient d’avoir été un maillon de la chaîne de solidarité qui unit entre eux les femmes et les hommes de bonne volonté, d’avoir apporté ma pierre à la construction d’un monde meilleur, d’une France Laïque, tolérante, luttant contre le racisme, pour la paix dans le monde, essayant d’établir une égalité des citoyens et des citoyennes en tous domaines, ce qui est hélas loin d’être réalisé, mais pourquoi pas…

VIVE L’UTOPIE !


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 SOMMAIRE

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La petite enfance au Faou

Enfance et adolescence à Recouvrance

Perte de la foi catholique

Guerre scolaire déjà

1931 : Année décisive

Apprentissage de la Musique

Les années de lycée

1936 : Le Front Populaire

1938 : Les Accords de Munich

Distribution des prix

Ma vie au Lycée de Brest

Souvenirs de quelques professeurs du lycée de Brest

Entrée dans l’éducation nationale

Juin 1940 – Mobilisation

Dimanche 6 octobre 1940

Lundi 7 octobre 1940

Passage de la ligne de démarcation

En guise de conclusion sur cet épisode de Simandre-sur-Suran

Janvier 1941 : Retour à Brest

1942 – Nouveau départ dans l’Éducation Nationale

1943 – Bombardements américains

Visite de la Gestapo

Histoires familiales

Découverte de la radio

Départ de Brest et nomination à Landeleau

Trajet du Faou à Landeleau

Un personnage atypique : Louis Quelfennec

La vie à Landeleau

Une nouvelle famille

Étranger dans mon pays

Le mariage pendant la guerre

Reprise de l’enseignement à Saint-Nic

La vie à Saint-Nic

Contacts avec les Allemands

1944 – Entrée dans la Résistance

Une classe sauvage

Sauvetage d’un aviateur allié

Nomination à Loqueffret

Au camp de prisonniers de guerre allemands d’Erquy

Nomination à Collorec

Collorec (1945 à 1952)

L’École des filles

École de Garçons

L’école privée catholique

Progression de l’École Publique

L’adhésion au Parti Communiste Français

La réunion à Collorec de Monteil, député M.R.P.

Leçon de morale dans un champ

Importance du breton en réunion publique

Création de l’Amicale Laïque

Théâtre en breton

Une veillée à Rosconval en Plouyé

L’Union Sportive de Collorec

Rencontre avec l’abbé Dolou

La vie scolaire

Un élève inattendu

Morale et religion

Dimanche 10 septembre 1950 : Tragique accident

Le bal de la cantine

Rencontre avec Jean Debiesse, Inspecteur d’Académie

Affrontement avec le Directeur de l’Ecole Privée

Retour vers Saint-Herbot

L’inauguration de l’École Publique de Saint-Herbot

Dernières rencontres avec Jean Debiesse

Des visites nocturnes

Arrivée dans notre foyer de Jean-Pierre et Yannick

Progrès électoraux

Quelques difficultés

Problèmes au sein du Parti Communiste

Activités syndicales

1947 : création de la F.E.N.-C.G.T.

Le train raté et ce qui s’ensuivit

Départ de Collorec pour Brest

1953 : Une année mouvementée

Août 1953 – Heureuse rencontre à Kerlouan

1954 : Coup d’arrêt à la FEN-CGT

Combattant de la paix : La guerre d’Algérie

Un mot d’histoire

Procès Henri Martin

Algérie : 1963

Jean NEDELEC nous écrit d’Algérie…

5 juillet 1830 – 5 juillet 1963 – GLOIRE À NOS MARTYRS

Laïcité : Notre héritage

CONDORCET

Victor Hugo

Jean Macé

L’épisode de la Commune de Paris

Jules Ferry

Léon Gambetta

Emile Zola

Jean Jaurès

Premiers engagements dans le militantisme Laïque

Premiers combats

1922 : Création d’un Comité de Défense Laïque

1930 : Création de la Fédération des Œuvres Laïques

Septembre 1939

1945 : Le renouveau du mouvement laïque

1948 : Entrée dans les organisations laïques

28 septembre 1958

26 octobre 1963 – Manifestation laïque à Brest

Dernier EpisodeResponsabilités à la Fédération des Oeuvres Laïques

Vie scolaire aux Quatre-Moulins

Le Patronage Laïque de Saint-Pierre et des Quatre-Moulins

Mes activités au Patronage Laïque de Saint-Pierre et des Quatre-Moulins

1951 : Difficultés pour le Patronage Laïque de Saint-Pierre et des Quatre-Moulins

1961 : Election au Conseil d’Administration de la Fédération des oeuvres Laïques

1962 à 1963 – Voyages à l’étranger

1964 à 1967 – Responsable du service culturel de la F.O.L.

Expérience des Clubs de Jeunes

Beauregard 1966 : Une expérience enrichissante

Des militants du Finistère récompensés

1967 à 1979 – Secrétaire Général de la Fédération des oeuvres Laïques du Finistère

Louis Le Quinquis

Jean Julien

La mort de Charles Drapier

Évolution de la F.O.L.

Assemblée Générale à Carhaix, le 3 décembre 1967

Mai 1968

Les réunions de secteurs

En souvenir

DÉCÈS DE ROGER SELLIER

Assemblée Générale de la Ligue Française de l’Enseignement et de l’Éducation Permanente du 2 au 7 juillet 1979

Départ en retraite

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