DETOURS ET ALEAS ETHIQUES AUTOUR DE l’HISTOIRE DES INSTITUTEURS PUBLICS

(dossier ouvert)

La lecture successive par le visiteur d’un poème de Victor Hugo (1856) et  d’un extrait de l’allocution prononcée en 2007 par Le Président de la République Française au palais du Latran ( Cité du Vatican) révèle, qu’en un siècle et demi, les invocations du poète- orientées vers le progrès- ont subi bien des vicissitudes…

1856

Dans À propos d’Horace, Hugo crie sa haine des maîtres ignorants, « mauvais et méchants », pédants et bornés, dont il eut à souffrir en pension dans sa jeunesse. Il a formulé divers griefs, et enchaîne : outre les punitions, dit-il, et autres brimades :

J’étais alors en proie à la mathématique.
Temps sombre! enfant ému du frisson poétique,
Pauvre oiseau qui heurtais du crâne mes barreaux,
On me livrait tout vif aux chiffres, noirs bourreaux;
On me faisait de force ingurgiter l’algèbre:
On me liait au fond d’un Boisbertrand  funèbre;
On me tordait, depuis les ailes jusqu’au bec,
Sur l’affreux chevalet des X et des Y;
Hélas! on me fourrait sous les os maxillaires
Le théorème orné de tous ses corollaires;
Et je me débattais, lugubre patient
Du diviseur prêtant main-forte au quotient.
De là mes cris.
Un jour, quand l’homme sera sage,
Lorsqu’on n’instruira plus les oiseaux par la cage,
Quand les sociétés difformes sentiront
Dans l’enfant mieux compris se redresser leur front,
Que, des libres essors ayant sondé les règles,
On connaîtra la loi de croissance des aigles,
Et que le plein midi rayonnera pour tous,
Savoir étant sublime, apprendre sera doux.
Alors, tout en laissant au sommet des études
Les grands livres latins et grecs, ces solitudes
Où l’éclair gronde, où luit la mer, où l’astre rit,
Et qu’emplissent les vents immenses de l’esprit,
C’est en les pénétrant d’explication tendre,
En les faisant aimer, qu’on les fera comprendre.
Homère emportera dans son vaste reflux
L’écolier ébloui; l’enfant ne sera plus
Une bête de somme attelée à Virgile;
Et l’on ne verra plus ce vif esprit agile
Devenir, sous le fouet d’un cuistre ou d’un abbé,
Le lourd cheval poussif du pensum  embourbé.
Chaque village aura, dans un temple rustique,
Dans la lumière, au lieu du magister antique,
Trop noir pour que jamais le jour y pénétrât,
L’instituteur lucide et grave, magistrat
Du progrès, médecin de l’ignorance, et prêtre
De l’idée
; et dans l’ombre on verra disparaître
L’éternel écolier et l’éternel pédant.
L’aube vient en chantant, et non pas en grondant.
Nos fils riront de nous dans cette blanche sphère;
Ils se demanderont ce que nous pouvions faire
Enseigner au moineau par le hibou hagard. 
Alors, le jeune esprit et le jeune regard

Se lèveront avec une clarté sereine
Vers la science auguste, aimable et souveraine
.

Victor Hugo, Les contemplations, 1856

2007

« Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur, même s’il est important qu’il s’en approche, parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance. »

Extrait de l’allocution du Président de la République Française, Nicolas Sarkozy, Palais de Latran, 20 décembre 2007.

UNE REPUBLICAINE – Sous l’œil des Cléricaux

Les journaux cléricaux prennent texte des incidents qui ont éclaté à l’école normale pour vitupérer la laïque et ses maîtres. II n’y a rien de changé dans leur attitude. A toutes les époques, ils ont considéré les écoles de l’Etat comme des foyers de pestilence. Les intolérants ne sauraient tenir un autre langage, puisque les Papes regardent la liberté comme un délire et que les moines qui font les Papes traitent couramment la raison de gueuse effrontée. Les élèves-maîtres de l’école normale doivent aujourd’hui regretter leur escapade. Quelques-uns de leurs camarades avaient eu une attitude incorrecte au cours de précédentes sorties et ils furent punis en conséquence. Du coup, il en résulta un resserrement de la discipline, ce qui ne fut pas du goût de leurs camarades qui revendiquèrent bruyamment les libertés d’antan et eurent la mauvaise inspiration de vouloir se solidariser avec leurs camarades qui n’étaient pas défendables. L’école fut du coup Iicenciée et les jeunes maîtres ont pu, pendant ces vacances d’un nouveau genre, méditer sur les graves inconvénients que présente l’insoumission aux maîtres, aux réglementations de l’école et aux conseils du bon sens et de la raison. Pour comble d’ignominie, une pluie persistante et un temps maussade ont troublé leur quiétude et ne leur ont pas permis de se reposer à l’ombre des grands arbres où le silence dort sur le velours des mousses. Qu’il soit permis à un homme qui les aime bien de leur donner un avis au moment où ils vont quitter la maison d’étude pour le vaste monde. Le divin Platon, dont je lisais au collège les écrits en cachette, nous apprend que sans la vertu toutes les sciences sont vaines et ne peuvent être que nuisibles. Il convient que toujours la raison entreprenne sur le sentiment et les inspirations violentes. C’est en obéissant qu’on apprend à commander, et, le citoyen dans la République est celui qui participe à la fois à l’autorité et à l’obéissance. Les philosophes et les historiens les plus qualifiés de tous les pays et de tous les temps ont pensé ainsi, Aristote, Platon, et Tacite qui vivait sous la tyrannie. L’annaliste immortel ne manquait jamais d’associer ces deux choses: le pouvoir et la liberté, principatum ac libertatem. Ce qui veut dire, en d’autres termes, que le citoyen doit se tenir également éloigné de ces deux abîmes, l’anarchie et le despotisme. Je n’hésite pas à dire à ces jeunes maîtres qui vont devenir, dans quelques mois, les éducateurs de la jeunesse, qu’ils ont commis une faute, et, une faute que les gens d’en face ont tenté d’exploiter aussitôt au profit de leurs établissements. Je préfère, je l’avoue, cette jeunesse un peu bouillonnante à cette autre jeune milice inerte, sortie des mains des jésuites ou des façonniers cléricaux de nos villages,

… toute cette lignée composée de jeunes esprits en uniforme, portant la livrée de la servitude de l’esprit et appelée dans la vie à se comporter comme un bâton aux mains d’un maître… aieut baculum.

Ronsard compare la jeunesse des poètes à la jeunesse des vins : Comme on voit en Septembre des tonneaux angevins bouillir en écumant la jeunesse des vins, Ainsi la poésie en la jeune saison bouillonne dans nos coeurs.

A côté de la jeunesse des poètes, il y a celle des jeunes normaliens qui se forge des mirages et se repait aussi de chimères. Tout cela se dissipera avec le temps… Ce sont brouillards légers que l’aurore soulève et qu’avec la rosée on voit s’évanouir. Après la punition infligée aux jeunes normaliens, j’espère que leur réintégration est proche. C’est la grâce que je leur souhaite à la fin de mon sermon. Les journaux cléricaux, le Progrès du Finistère en fête, ont profité de cette bonne aubaine pour dauber sur le corps enseignant laïque. A l’en croire, dans nos paisibles écoles, l’esprit de révolte soufflerait partout. Il faut être de très mauvaise foi pour conclure et généraliser ainsi. Sans doute il y a quelques très rares instituteurs qui appartiennent à l’idée communiste. Ce n’est là qu’une exception dans un corps enseignant fidèle à sa mission et dévoué passionnément à ses devoirs. Le Progrès du Finistère peut-il d’ailleurs prouver que dans son enseignement l’un de ces maîtres rares ait essayé d’influencer la jeunesse confiée à ses soins ?

Et, voilà l’essentiel !

Ce que les cléricaux incriminent, c’est l’opinion politique de ces maîtres. Il appartient vraiment à ces journalistes de longue ou de courte robe de flétrir ici Ies communistes dont les prêtres séparatistes et leurs affidés sont en Alsace les fidèles alliés dans une sainte alliance contre l’intégrité et l’avenir de la Patrie. En présence de ces inconséquences, je suis tenté de m’écrier avec Zola : « Quels gredins, que les honnêtes gens ! ».

Quoi qu’il en soit, je ne saurais trop recommander la plus grande circonspection aux maîtres qui sont chargés du grand honneur et de la mission redoutable d’instruire la jeunesse, espoir de la République et de la Patrie. C’est par l’éducation des masses que s’accomplira la rénovation sociale, à la fois dans le progrès, dans l’ordre et dans l’harmonie. L’anarchie des esprits ne peut créer que le désordre. Rien ne dure qui n’ait été patiemment édifié. Entre deux attitudes, pour choisir infailliblement la bonne, il n’y a qu’à regarder l’œil de son ennemi quand il luit d’ivresse et de joie, c’est que vous faites fausse route. Instructeurs de la jeunesse, n’oubliez jamais que vous agissez sous l’œil des cléricaux acharnés à votre perte et prompts à profiter de vos faiblesses et de vos défaillances pour discréditer l’enseignement laïque qui est la sauvegarde de la République.

Le Citoyen du 20 juin 1929

Joseph GOURLAY (1906-2005), un « cas d’école » !

Susciter la vocation pour le métier d’instituteur ; le challenge de toute une vie de pédagogue

Joseph Gourlay à sa sortie de l’EN en juin 1925

Joseph Gourlay à sa sortie de l’EN en juin 1925

Originaire de Kergrist-Moëlou (Côtes-d’Armor) et élève de l’EPS de Quimperlé*, J.Gourlay devient normalien en 1922 (voir la photo de sa promotion par ailleurs). Il commence sa carrière d’instituteur à Carhaix. De 1929 à 1932, il est détaché en Indochine et affecté au Cambodge. De retour en métropole, il est nommé directeur successivement à Querrien-La-Clarté puis à Plouhinec. Muté à sa demande au Cours Complémentaire de Scaër (Lettres) en 1938, il est mobilisé en mars 1940 comme matelot sans spécialité.

A partir de 1946 et jusqu’en 1962, il se distingue dans les Cours Complémentaires de Scaër, Huelgoat et Crozon par une implication constante dans la sélection et la préparation de candidats aux concours d’entrée dans les écoles normales primaires. Cinquante six de ses élèves (dont neuf en 1954) en sont lauréats… En 1949, il créa la fanfare laïque de Huelgoat.

*Daniel COURTIN, futur Directeur de l’Ecole Normale d’Instituteurs de Quimper, y était son « frère d’armes ».